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délivra le prisonnier. Il fut arrêté de nouveau. Du fond de sa prison, Marot écrivit à son ami Lyon-Jamet une de ses épitres les plus spirituelles. Il lui raconte la fable du « Lion et du Rat », qu'il applique heureusement à sa situation il prie son ami « Lyon » de faire le « lion » et de délivrer le « rat » prisonnier. Marot adressa aussi à François Ier une épître charmante, pour l'intéresser à son sort. Le roi écouta la plainte de son poëte favori, et écrivit de sa propre main pour le faire mettre en liberté.

Les liaisons de Marot avec les Réformés ne tardèrent pas à lui attirer de nouvelles persécutions. Il prit la fuite et alla chercher un asile à la cour de Renée de France, sœur de la reine et duchesse de Ferrare. Il s'ennuya bientôt de l'exil, et sollicita son retour dans la «< gaie cour de France ». On le lui accorda, à condition qu'il abjurerait la doctrine réformée; il y consentit, et revint avec joie dans sa patrie..

Marot retrouva à Paris la faveur du roi ; mais il y retrouva aussi la haine de la Sorbonne, qu'il avait raillée, et le ressentiment de Diane de Poitiers, autrefois son «amie » et sa « dame », qu'il avait délaissée et qui brûlaît de se venger. La traduction des Psaumes, entreprise pour les Réformés, le força de s'exiler de nouveau; et il se retira à Turin, où il mourut à l'âge de quarante-neuf ans.

Le caractère de la poésie de Marot est un mélange de grâce et de malice, d'élégance et de naïveté, de familiarité

et de convenance, de finesse et de naturel. Il n'a été surpassé ni dans l'épigramme, ni dans le madrigal, ni dans l'épître familière. Le chef-d'œuvre de ses épîtres est celle où il raconte à François Ier comment il a été volé par son domestique. C'est un modèle de narration, de finesse et de bonne plaisanterie. Le portrait de son valet de Gascogne » est connu de tout le monde :

J'avois, un jour, un valet de Gascogne,
Gourmand, ivrogne et assuré menteur,
Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart 2 de cent pas à la ronde,
Au demeurant, le meilleur fils du monde.

Ce dernier vers, si plaisant après l'énumération des mauvaises qualités de ce valet, est devenu proverbe. Marot fait au roi une demande d'argent fort ingénieuse, où il donne à la louange une tournure délicate dont on trouve bien peu d'exemples:

Je ne dis pas,si voulez rien prester,

Que ne le prenne : il n'est point de presteur,
S'il veut prester, qui ne fasse un debteur.
Et savez-vous, sire, comment je paie ?
Nul ne le sçait si premier ne l'essaic.
Vous me debvrez, si je puis, du retour,
Et vous ferai encores un bon tour;

1. Pipeur, trompeur au jeu,

g. La hart», la corde.

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Parmi les épigrammes de Marot, Voltaire considère comme un chef-d'œuvre celle qu'il fit contre le lieutenant-criminel Maillard, qui avait conduit au supplice Semblançay, surintendant des finances, condamné à mort injustement, et qui avait eu le tort, bien plus grave aux yeux de notre poëte, de le faire enfermer lui-même dans la prison du Châtelet:

Lorsque Maillard, juge d'enfer, menoit
A Montfaucon Semblançay l'âme rendre,
A votre avis lequel des deux tenoit

Meilleur maintien ? - Pour vous le faire entendre,
Maillard sembloit l'homme qui mort va prendre,
Et Semblançay fut si ferme vieillard,

Que l'on cuidoit pour vray, qu'il menast pendre
A Montfaucon le lieutenant Maillard.

La naïveté, si aimée dans Marot, est chez lui un don naturel comme dans La Fontaine. Il reste naïf, lors même qu'il exprime les idées les plus fines, les plus déliées. On a souvent essayé d'imiter ce style, appelé « marotique », qui consiste dans l'emploi de certains mots vieillis, comme

4. Los", gloira

« servage, pâtir, dolent, allégeance », etc., dans des tournures anciennes pleines d'une grâce naïve, dans la süppression de l'article et dans quelques inversions qui rendent l'expression plus vive et plus piquante. La Fontaine est le seul poëte qui ait excellé dans cette imitation.

De Marot à Ronsard, aucun nom ne mérite d'être cité. Tous les autres poëtes de la première moitié du xvi⚫ siècle sont remplis d'affectation, de pensées puériles et de pénibles jeux de mots. La prose continuait de précéder la poésie. Les Réformés ayant adopté l'usage du français, les catholiques se virent obligés de les combattre avec les mêmes armes, et la langue fut redevable de grands progrès aux discussions religieuses. Le chef des Réformes, Calvin, qui, de l'aveu de Bossuet, écrivait aussi bien qu'homme de son temps, est un des meilleurs prosateurs de tout le xvIe siècle.

Calvin ou Cauvin, né en 1509, était fils d'un tonnelier ou d'un procureur fiscal de Noyon. Il montra fort jeune des talents précoces et fit de brillantes études à Paris, à Orléans et à Bourges, où était alors la meilleure école de droit qu'il y eût en France. C'est à Bourges qu'il fut initié dans les principes de la Réforme par un luthérien allemand, qui lui enseignait le grec. Il se mit à travailler lui-même. à la propagation de cette doctrine. La rigueur des édits le força de se cacher, puis de fuir. Il se retira successive

ment à Nérac, auprès de Marguerite de Valois, reine de Navarre; à Ferrare, à la cour de Renée de France, à Bâle et à Strasbourg. C'est à Bâle qu'il publia, en 1535, son Institution chrétienne », ou Exposition des principes de la Réforme. Ce livre volumineux est écrit tout entier d'un style ferme, nerveux, précis, avec plus d'un trait de haute éloquence.

En 1541, les habitants de Genève appelèrent Calvin, et le nommèrent leur pasteur. Il alla s'établir dans leur ville, où il exerça l'autorité de premier magistrat, sans en avoir le titre. Homme austère et violent dans ses opinions, il exagéra la réforme de Luther: il supprima les formes extérieures et les cérémonies par lesquelles le culte religieux s'adresse au sentiment et à l'imagination; il poussa jusqu'au fatalisme les principes sévères de saint Augustin sur la grâce, la prédestination et le libre arbitre. Calvin n'admettait pas la tolérance. Il réclame l'indulgence pour ses frères persécutés, parce que leur doctrine est bonne et vraie. S'ils étaient dans l'erreur, ils mériteraient d'être réprimés et punis. Calvin fut lui-même persécuteur: il infligea des peines rigoureuses à ses adversaires, et fit brûler Servet, parce que ce médecin espagnol n'expliquait pas comme lui le mystère de la Trinité.

Disons, à sa louange, qu'il montra un désintéressemen. parfait, une frugalité exemplaire et une immense activité. On a de la peine à comprendre comment le même homme

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