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plus hideux. Ses moindres larcins étaient de voler le vin du cabaretier, le poulet du rôtisseur ou le poisson des femmes de la halle. Enfin ses tours d'escroquerie et ses vols lui valurent la prison et une sentence de mort. Sous les verrous du Châtelet, Villon conserva sa verve, son esprit, son insouciance, sa bouffonnerie poussée jusqu'au cynisme. Il fait son épitaphe et son testament en vers. Il lègue à son procureur une ballade en guise de paiement; aux cabaretiers, ses dettes; à un ivrogne, son tonneau vide; aux joueurs, ses cartes et ses dés; sa malédiction à l'archer qui l'a arrêté ; deux procès à un ami trop gras, pour corriger son embonpoint; et enfin son corps à « notre grand'mère la terre », plaignant les vers qui n'y trouveront pas grande graisse, tant la faim lui a fait dure guerre ». Il plaisante sur le gibet de Montfaucon, « où son corps sera lavé de la pluie, desséché du soleil, poussé çà et là par le vent, déjà cendre et poudre ». Villon est prêt à mourir comme il a vécu. Il demande seulement << à ses frères humains qui vivent après lui de prier Dieu qu'il le veuille absoudre; et, s'ils s'offensent de ce nom de frère dans la bouche d'un homme occis par justice, qu'ils se rappellent que tous les hommes n'ont pas le sens rassis; et que lui surtout n'a eu de bon sens que le peu que Dieu lui en a prêté; » et il ajoute, en vrai satirique, qu'il n'a pu, et pour cause, en emprunter à ses contemporains. Villon ne fut pas pendu. Il fit appel, et le jugement

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fut cassé. A peine libre, il reprit sa vie de débauché et de voleur. Il fut arrêté de nouveau, et il se trouva sous le coup d'une seconde condamnation capitale. Cette foisci, il se considérait comme perdu sans espoir, et il écrivait ses adieux à la vie, lorsque Louis XI, que le récit de ses « gentillesses amusait, lui fit grâce. On ne sait comment finit ce poëte voleur.

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Au milieu de cette vie passée entre la faim, la prison et la potence, Villon se montre quelquefois poëte gracieux et délicat comme Charles d'Orléans. Tout le monde connaît la charmante « Ballade des Dames du temps jadis ». Il évoque toutes les beautés célèbres, il compare leur souvenir à une ombre, à un son fugitif qui répond à la voix sur la rivière ou sur l'étang, et il termine chaque strophe par un refrain touchant qui les envoie toutes au néant, comme les « neiges d'antan» (ante annum), c'est-à-dire de l'an passé.

Ces idées de fragilité humaine reviennent souvent sous la plume de Villon, et donnent à ses vers des traits de verve et une teinte de philosophie inconnus à Charles d'Orléans. Ainsi, tout en chantant les rues et les car

refours de Paris, il dit, à propos du cimetière des Innocents « Là sont des têtes qui jadis s'inclinaient l'une vers l'autre, les unes maîtres, les autres valets. Plaise au doux Jésus les absoudre!» ajoute-t-il en bon chrétien.

Il décrit avec une verve admirable la destruction de l'homme. Rien n'est oublié, ni« les sueurs de la mort, ni les frémissements, ni les veines qui se tendent, ni le cou qui s'enfle, ni la chair qui s'amollit, ni le désespoir, ni le fiel qui crève le cœur, ni l'abandon des enfants, des frères et des amis; » car

Et même Pâris ou Hélène,

Quiconque meurt, meurt å (avec) douleur.

On croirait entendre Bossuet avec sa tristesse chrétienne.

Villon s'élève à des réflexions philosophiques dont les exemples sont rares avant lui, et elles lui viennent même dans les pièces où il raconte sans pudeur sa vie de vagabond et d'escroc. Ainsi, tout en vantant son adresse

A voler devant et derrière,

il ajoute, comme pour se justifier:

Hélas! pauvreté fut mon héritage;
Et l'on sait que dans pauvreté
Ne git pas trop grand'loyauté.

C'est l'idée que Shakspeare prêtera plus tard au pauvre apothicaire vendant, contre sa conscience, du poison à Roméo My poverty, dit-il, but not my will, consents.»

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C'est la même réflexion que fera Molière en trouvant un pauvre qui porte la probité jusqu'à la délicatesse : « Où la vertu va-t-elle se nicher ! »>

Si Villon est le poète le plus sérieux et le plus grand de notre littérature au moyen âge, Philippe de Commines, ministre et historien de Louis XI, en est le meilleur prosateur et le plus solide penseur, avant Montaigne: Philipppe de Commines naquit, en 1445, au château de ce nom, situé sur la Lys, à trois lieues au nord de Lille. Il entra fort jeune au service de Charles le Téméraire, et il ne tarda pas à prévoir que la folle présomption de ce prince finirait par le perdre. Il profita de la première occasion qui se présenta pour le quitter, et il s'attacha au roi de France (1472). Il se trouva bien de ce changement. Louis XI, qui payait largement les gens utiles, le nomma son chambellan et son ministre, sénéchal du Poitou, le combla de biens et l'employa dans plusieurs négociations importantes en Angleterre, à Florence, à Venise et en Savoie.

Après la mort de Louis XI, Commines entra dans la ligue des princes contre Anne de Beaujeu, régente pour son frère Charles VIII. Il fut arrêté et enfermé dans une de ces cages de fer, « de quelque huit pieds en carré, et de la hauteur d'un homme, et un pied de plus. Plusieurs l'ont maudit, et moi aussi, dit-il, qui en ai tâté sous le roi d'à présent, l'espace de huit mois. » Il parle sans

rancune de cette manière barbare de traiter les prisonniers; elle était dans les mœurs du temps, et elle lui paraît toute naturelle. Commines fut mis en jugement et absous, et il entra au service de Charles VIII. Il ne paraît pas qu'il fût employé par Louis XII. II mourut en 1509, dans son château d'Argenton, dans les Deux-Sèvres.

Les Mémoires » de Commines sont au nombre de nos livres historiques les plus estimés. Froissart n'est qu'un troubadour qui se plaît à raconter les tournois et les batailles; c'est le plus grand des chroniqueurs du moyen âge. Commines est le créateur de l'histoire politique en France. C'est un homme d'État qui, au récit vivant et naïf des événements arrivés sous ses yeux, joint une profonde connaissance des hommes et des choses. Il juge parfaitement la forme et le but des gouvernements; il explique les négociations et les intrigues, et il comprend à merveille la politique machiavélique de Louis XI et de ses contemporains, code de violence et de perfidie, où la ruse du renard s'alliait à la férocité du tigre. Accoutumé à préférer le succès à tout, il s'indigne peu de la tyrannie et des vices de son maître, pourvu que le succès l'accompagne. Commines est, sans le savoir, le Machiavel de la France. Il est vrai qu'il estime beaucoup ce qui est honnête, mais il estime encore davantage ce qui est utile.

A la tyrannie ombrageuse et cruelle de Louis XI, il

T. J

2.

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