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DES

PRINCIPAUX ÉCRIVAINS

FRANÇAIS

I

MOYEN AGE

ORIGINE ET FORMATION DE LA LANGUE

Il n'y a pas d'époque précise où l'on puisse dire : là commence la langue française. La formation de la langue n'a pas plus de date fixe que celle de la monarchie. Depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du x siècle, notre histoire est gauloise, romaine, franke, gallo-romaine ou gallo-franke. Avec les Capétiens commence l'histoire vraiment française. A cette époque, il se forme un petit peuple, dont Paris est le centre, et qui a pour chef le petit souverain du duché de France. Ce peuple n'est ni gaulois, ni romain, ni frank, bien qu'il se compose de Gaulois, de Romains et de Franks. En même temps on voit

naître une langue qui se forme avec des mots celtiques, des mots latins et des mots tudesques, et qui, cependant, n'est ni celtique, ni latine, ni germanique. Cette nouvelle langue reçut le nom de « romane », parce qu'elle s'était formée de la corruption du latin, qui lui avait fourni les trois quarts de ses mots.

La formation de cette langue, appelée romane,ne s'opéra pas de la même manière dans la Gaule du nord et dans celle du midi. Au nord de la Loire, la langue est sèche, âpre et sans accent; on y remarque des sons durs, des syllabes sourdes et nasales; elle s'éloigne davantage du latin. Celle du sud éprouva des altérations plus lentes et moins fortes; elle est plus riche, plus douce, plus harmonieuse, plus savante. On distinguait ces deux idiômes par le mot qui, dans chacun, exprimait l'affirmation « oui», et qui se disait « oyl» dans le nord, et « oc »> dans le sud. De là les noms de « langue d'oyl» et de « langue d'oc ».

Le plus ancien monument de la « langue d'oyl », appelée d'abord « roman rustique » et « roman wallon », c'està-dire gaulois, est le serment de Strasbourg, que Louis le Germanique prêta, en 842, à Charles le Chauve, au moment où ils marchaient contre leur frère Lothaire. On n'y voit plus de désinences variables dans les noms, mais elles ne sont pas encore remplacées par les articles.

SERMENT DE LOUIS LE GERMANIQUE

• Pro Deo amur, et pro christian poblo, et nostro commun salvamento; d'ist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, ⚫ si salvarai io cist meon fradre Karle, et in adjudha, et in cadhuna « eosa, si cun om per dreit son fradre salvar dist, in o quid il mi al«<tre si fazet. Et ad Ludher uul plaid nunquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit 1. »

Après ce fameux serment, on ne trouve dans les chroniques latines du ix, du xe et du xie siècle, que quelques mots épars du roman rustique ou wallon. Au Xe siècle, les Normands, conquérants de la Neustrie, en adoptèrent la langue, et ils la dotèrent d'une littérature qui devint riche en récits épiques. Le plus ancien est la « Chanson de Roland », que les soldats de Guillaume le Bâtard chantaient en marchant à l'ennemi le jour de la bataille de Hastings (1066). On y trouve des sentiments d'une élévation vraiment héroïque. Au xe siècle, ces récits, appelés « romans» de chevalerie, du nom de la langue dans laquelle ils étaient écrits, abondent chez les Normands. Parmi ces grossiers poèmes épiques, on dis

« Pour l'amour de Dieu, et pour notre commun salut et celui du peuple chrétien, dorénavant, autant que Dieu me donnera savoir « et pouvoir, je préserverai mon frère Karl que voilà, et par aide et par toute chose, ainsi qu'on doit, par devoir, préserver son « frère, pourvu qu'il en fasse de même pour moi; et ne prendrai jamais avec Ludher (Lother) aucun accommodement qui, par ■ ma volonté, soit au préjudice de mon frère Karl ici présent.»

tingue le << Roman de Rou», chronique versifiée par Wace, de Jersey, clerc de Henri II, où sont racontées les actions de Rou ou Rollon, premier duc normand, et de ses successeurs; la « Légende du voyage de Charlemagne », ou récit des exploits du grand empereur, de ses paladins et de son neveu Roland; et le « Roman de Brut », légende fabuleuse des rois d'Angleterre, depuis Brut, fils d'Ascagne et petit-fils du pieux Enée. On y voit des fictions, des îles enchantées, des palais merveilleux, des entreprises bizarres, des aventures incroyables, l'institution de la « Table ronde », l'histoire du roi Artus ou Arthur, et celle de l'enchanteur Merlin, un des personnages les plus populaires du moyen âge. Toutes ces fictions étaient historiques pour les imaginations de cette époque, et les romans de chevalerie remplacèrent longtemps l'histoire. En effet, la chevalerie est une imitation fort expressive de la vie contemporaine; c'est la réunion des deux choses qui passionnaient le moyen âge: la religion et la guerre. Le moyen âge, avec ses mœurs rudes, ses joûtes, ses combats, son recours continuel à la force brutale, est plus fidèlement représenté dans ces romans, écrits par des hommes d'action, que dans les froides annales ou chroniques composées dans la retraite et le calme de la vie monastique.

Le règne de Philippe-Auguste (1180-1223) fut une époque fertile en écrivains de romans chevaleresques

C'est par milliers que l'on en compte les manuscrits dans la Bibliothèque impériale, à Paris. A la même époque, vivait Geoffroi de Villehardouin, auteur de la première chronique en langue romane. Il naquit en 1160, au château de son nom, entre Arcis et Bar-sur-Aube, et vers 1190, il succéda à son père, en qualité de maréchal de Champagne. Il prit une grande part à la croisade de 1200, qui aboutit à la prise de Constantinople et à la fondation de l'empire latin, et il devint maréchal de Romanie. On croit qu'il mourut vers 1213. Son « Histoire de la conquête de Constantinople » comprend neuf ans, de 1198 à 1207, et commence la longue et riche série de nos mémoires historiques. C'est le récit de tous les événements de la croisade auxquels il avait pris part. Les prédications de Foulques de Neuilly, l'ambassade de Venise, les préparatifs, les embarras de l'expédition, les jalousies des chefs, le siége de Zara, la prise de Constantinople, le pillage de cette riche cité, l'élection de Baudoin Ier, le , partage de la conquête, l'établissement de la féodalité française sur les ruines de l'empire grec, tout cela est raconté avec une naïve simplicité, avec une noble bonhomie, dans une prose informe et aujourd'hui difficile à comprendre. Sa plus belle page est peut-être celle où il peint l'impression produite sur les croisés par la première vue de Constantinople:

T. I

1.

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