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» de Dieu, ce monstre est son dieu à lui-même >> il s'immole tout ce qu'il désire, ou tout ce >> qui lui fait obstacle. Les meilleurs raisonnemens » ne peuvent pas plus sur lui, que sur un loup » affamé de carnage.

>> Le sénat de Rome étoit presque tout com» posé d'athées de théorie et de pratique, c'est» à-dire, qu'il ne croyoit ni à la providence, ni » à la vie future. Le sénat étoit une assemblée » de philosophes, de voluptueux, d'ambitieux, » tous très-dangereux, et qui perdirent la répu»blique factieux dans le temps de Sylla et de » César, ils furent sous Auguste et Tibère, des >> esclaves athées.

» Je ne voudrois pas avoir affaire à un prince >> athée, qui trouveroit son intérêt à me faire piler dans un mortier, je suis sûr que je serois » pilé. Je ne voudrois pas si j'étois souverain, > avoir affaire à des courtisans athées, dont » l'intérêt seroit de m'empoisonner; il me faudroit » prendre au hasard du contre-poison tous les >> jours.

» Il est donc absolument nécessaire pour les >> princes et pour les peuples, que l'idée d'un » Être-suprême, créateur, gouverneur, remu» nérateur et vengeur, soit profondément gravée >> dans les esprits. >>

Telles étoient les pensées qui agitoient Voltaire, pendant que ses amis clabaudoient contre

Dieu. Il trouvoit pour cette raison qu'ils s'abandonnoient trop à leur zèle. D'ailleurs, leur imprudence trahissoit le secret de la philosophie. II en fit ses doléances à son ami d'Alembert.

<< Sur l'existence de Dieu, lui dit celui-ci, ils >> me paroissent trop fermes et trop dogmatiques, > et je ne vois en cette matière que le scepticisme » de raisonnable. Non en métaphysique ne me » paroît guère plus sage que oui: non liquet est » la seule réponse raisonnable à presque tout. » D'ailleurs, indépendamment de l'incertitude de » la matière, je ne sais si on fait bien d'attaquer >> directement et ouvertement certains points aux» quels, il seroit peut-être mieux de ne pas » toucher.» (25 juillet et 4 août 1770.)

Rien de mieux imaginé que cette philosophie de d'Alembert elle a tous les avantages de l'athéisme, puisque douter de l'existence de Dieu, au fond c'est la nier; et elle n'en a pas les inconvéniens, puisque par-là, on se dispense d'entrer en discussion avec les défenseurs de ce dogme ; ce qui peut devenir embarrassant. Aussi a-t-elle été adoptée, ou à peu près par nos athées modernes. Demandez-leur pourquoi les choses sont: elles sont, vous répondront-ils, parce qu'elles sont. -Ont-elles une cause? Oui, si elles en

ont une.

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- Elle

Et cette cause quelle est-elle ? est ce qu'elle est. <<< La matière mue, disent les >> théistes, nous montre une volonté ; la matière

>> mue selon de certaines lois nous montre une » intelligence.»> La cause première est donc intelligente. Qui si elle existe et si elle est intelli

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- Mais enfin, raisonnons. Mais enfin, gente. nous ne voulons pas raisonner, parce que « nous »> ne voyons en cette matière que le scepticisme >> de raisonnable. » D'ailleurs, abrutis comme vous l'êtes par vos vils préjugés, que pourriezvous comprendre à notre langage ? Et tout fiers de cette force d'esprit qu'ils viennent de déployer, ils vous imposent silence, en vous lançant de cette hauteur à laquelle leur sublime génie s'est guindé, un regard de cette pitié insultante qu'un philosophe doit concevoir naturellement pour un homme qui ne l'est pas.

CHAPITRE VI.

Suite de la sixième séance. Foible résistance que les déistes opposent aux athées. -Efforts de Rousseau et de Voltaire, pour les réconcilier ensemble.

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Opinions de Voltaire sur Dieu et sur l'athéisme.—Sortie de Rousseau contre les athées. — Schisme qu'il fait avec eux, et avec les autres philosophes.

A force de clameurs, les athées s'étoient enfin rendus presque entièrement maîtres du champ de bataille. Les déistes cependant leur résistoient encore. Alors Rousseau, s'avança au milieu de l'assemblée. «< Son objet étoit de rapprocher les >> deux partis par une estime réciproque, et » d'apprendre aux philosophes qu'on peut croire » à Dieu sans être hypocrite, et qu'on peut être » incrédule (ou ne pas y croire,) sans être un » coquin.» (lett. à Vern.) Il avoit pour cela conçu le plan d'un roman dont les personnages, tous hors de la nature, devoient selon lui, rendre sensible cette grande vérité. L'un d'eux étoit un athée assez peu délicat, pour épouser malgré elle une fille dont il savoit les aventures, et qui faisoit venir auprès d'elle l'amant dont elle étoit

encore éprise, au demeurant homme d'un sens droit et d'une vertu accomplie. On sent qu'en effet deux amans traités avec tant d'égards n'avoient que faire d'être hypocrites, et que ce bon Wolmar, qui leur montroit une si grande confiance, ne pouvoit être un coquin à leurs yeux.

Voltaire se moquoit intérieurement du roman de Rousseau, qu'il regardoit comme le comble de l'extravagance; mais il goûta beaucoup ce projet de réunir les déistes et les athées : il faisoit dépendre de là le succès de sa conjuration. Après avoir loué les bonnes intentions de Rousseau, mes amis, dit-il, « ce seroit bien dom>> mage que Jean-Jacques, Diderot, Helvétius, » d'Alembert, avec tous les autres philosophes >> athées ou déistes, ne s'entendissent pas pour » écraser l'infâme. Le plus grand de mes chagrins » est de voir les imposteurs unis, et les amis du » vrai divisés.» (156 lett. à d'Al. an. 1765.) Deux larmes alors coulèrent de ses yeux les athées en furent attendris. Le grand homme enhardi par ce succès, poursuivit ainsi son discours.

Je vous ai donné dans le cours de cette séance

des preuves assez fortes, ce me semble, de l'existence de Dieu; et ce ne sont pas les seules à beaucoup près que j'ai répandues dans mes écrits. Mais je ne sais dans ce moment quel nuage s'élève entre ces preuves et moi : elles m'échappent entièrement. Je vois que «tout ce qui nous

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