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PENSÉE. Il ne faut pas guinder l'esprit ; les manières tendues et pénibles le remplissent d'une sotte présomption par une élévation étrangère et par une enflure vaine et ridicule, au lieu d'une nourriture solide et vigoureuse. L'une des raisons principales qui éloignent le plus ceux qui entrent dans ces connoissances, du véritable chemin qu'ils doivent suivre, est l'imagination qu'on prend d'abord que les bonnes choses sont inaccessibles, en leur donnant le nom de grandes hautes, élevées, sublimes. Cela perd tout. Je voudrois les noinmer basses, communes, fami lières ces moms-là leur conviennent mieux; je hais les mots d'enflure.

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NOTE. C'est la chose que vous haïssez; car pour le mot, il vous en faut un qui éxprime ce qui vous déplaît. ( Voltaire.)

OBSERVATION. On ne voit pas en quoi cette note contredit le texte.

NOTE. Voici un moyen de découvrir la vérité, qui me paroît avoir échappé à tous les philosophes. Il est tiré de la relation d'un voyage fait aux Moluques, en 1769, par le capitaine Dryden.

« On emploie dans ces îles une singulière méthode de découvrir » la vérité; voici en quoi elle consiste : quand on veut savoir si un » homme a commis ou n'a pas commis une certaine action, et » que des gens qui ont acheté, pour une somme assez modique, le » droit de s'en informer, n'ont pas eu l'esprit de découvrir la » vérité, ils font lier fortement les jambes de l'accusé entre des » planches; ensuite on serre entre ces planches un certain nombre » de coins de bois à force de bras et de coups de maillet Pendant > ce temps-là les rechercheurs interrogent tranquillement le patient, » font écrire ses réponses, ses cris, les demi-mots que les tourmens » lui arrachent, et ils ne le laissent en repos qu'après être parvenus » à le faire évanouir deux ou trois fois par la force de la douleur,

» et que le médecin, témoin de l'opération, a déclaré que, si » on continue, le patient mourra dans les tourmens. Quelquefois il » arrive que les rechercheurs n'ont pas eu besoin de recourir à ce >> moyen pour se croire sûrs de la vérité, mais qu'il leur reste un » léger scrupule; alors ils ordonnent qu'avant de punir l'accusé, » on recourra à la méthode infaillible des maillets et des coins. A » la vérité, ils remplissent de tourmens horribles les derniers » momens de cet infortuné; mais ces aveux, extorqués par la » torture, rassurent leur conscience; et au sortir de là, ils en dînent » bien plus tranquillement : quand ils voient que l'accusé a pu » avoir des complices, ils ont grand soin de recourir à leur mé>thode favorite. Enfin, il y a des crimes pour lesquels on l'ordonne >> par pure routine, et où cette clause est de style.

» Ces rechercheurs, aussi stupides que féroces, ne se sont pas > encore avisés d'avoir le moindre doute sur la bonté de leur mé>thode. Ils forment une caste à part. On croit même, dans ces >> îles, qu'ils sont d'une race d'hommes particulière, et que les » organes de la sensibilité manquent absolument à cette espèce. En » effet, il y a des hommes fort humains dans les mêmes îles. La » première caste même est formée de gens très-polis, très-doux et » très-braves. Ceux-là passent leur vie à danser; et portant de » grands chapeaux de plumes, ils se croiroient déshonorės, s'ils » dansoient avec un homme de la caste des rechercheurs ; mais ils » trouvent très-bon que ces rechercheurs gardent le privilége ex»clusif d'écraser, entre des planches, les jambes de toutes les

>> castes.

» On m'a assuré que, quelques personnes de la caste des lettrés » s'étant avisées de dire tout haut qu'il y avoit des moyens plus » humains et plus sûrs de découvrir la vérité, les rechercheurs à » maillets les ont fait taire, en les menaçant de les brûler à » petit feu, après leur avoir PRÉALABLEMENT brisé les jambes; car » le crime de n'être pas du même avis que les rechercheurs est » un de ceux pour lesquels ils ne manquent jamais d'employer leur méthode.

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» Des politiques profonds prétendent que, depuis ce temps-là, > les rechercheurs sont eux-mêmes convaincus de l'absurdité de leur » méthode; que, s'ils l'emploient encore de temps en temps sur » des accusés obscurs, c'est afin de ne pas laisser rouiller cette » vieille arme, et de la tenir toujours prête pour effrayer leurs Y ennemis, ou pour s'en venger.

» J'ai lu qu'il y avoit eu autrefois en Europe des usages aussi abominables, mais ils n'y subsistent plus depuis long-temps. » Pour les conserver au milieu d'un siècle éclairé, et des mœurs » douces de l'Europe, il auroit fallu, dans les magistrats de ce » pays, un mélange d'imbécillité et de cruauté, portées toutes » deux à un si haut point, que ce seroit calomnier la nature » humaine que de l'en supposer capable. » (Condorcet.)

OBSERVATION. Voici un moyen d'établir la vérité qui me paroît aussi avoir échappé à tous les vrais philosophes anciens et modernes. Il consiste à briser toute espèce de frein qui sert à contenir les scélérats, à les lâcher ensuite sur la classe des honnêtes gens, et à les autoriser à employer tour à tour la lanterne, les sabres, les guillotines en permanence, les fusillades, les canonnades, les noyades et généralement tous les crimes que l'enfer peut inventer, et tout cela pour réaliser je ne sais quels rêves absurdes et atroces d'impiété et de démagogie. J'ai lu que ce moyen avoit été parfaitement connu de quelques soi-disant philosophes français et nommément de Condorcet, qui en a été ensuite la victime ainsi que plusieurs de ses complices; mais j'ai peine à le croire : pour se porter à de tels excès au milieu d'un siècle éclairé et des mœurs douces de la France, il auroit fallu dans ces philosophes un mélange d'imbécillité et de cruauté, portées toutes deux à un si haut point que ce seroit calomnier la nature humaine que de l'en supposer capable.

PENSÉE. La première chose qui s'offre à l'homme quand il se regarde, c'est son corps, c'est-à-dire, une certaine portion de matière qui lui est propre. Mais, pour comprendre ce qu'elle est, il faut qu'il la compare avec tout ce qui est au-dessus de lui et tout ce qui est au-dessous, afin de reconnoître ses justes bornes.

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Qu'il ne s'arrête donc pas à regarder simplement les objets qui l'environnent ; qu'il contemple la nature entière dans sa haute et pleine majesté qu'il considère cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers ; que la terre lui paroisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit ; et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour n'est lui-même qu'un point très délicat à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre. Elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce que nous voyons du monde n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'approche de l'étendue de ses espaces. Nous avons beau enfler nos conceptions, nous n'enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c'est un des plus grands caractères sensibles de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.

Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature; et que de ce que lui paroîtra ce petit cachot où il se trouve logé, c'est-à-dire, ce monde visible, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes, et soi-même, son juste prix.

Qu'est-ce que l'homme dans l'infini ? Qui peut le comprendre? Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connoît les choses les plus délicates. Qu'un ciron, par exemple, lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces et ses conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours. Il pensera peut être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir làdedans un abîmne nouveau. Je veux lui peindre, non-seulement l'univers visible, mais encore tout ce qu'il est capable de concevoir de l'immensité de la nature, dans l'enceinte de cet atome imperceptible. Qu'il y voie une infinité de mondes, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre,, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné, trouvant encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos. Qu'il se perde dans ces merveilles aussi étonnantes par leur petitesse que les autres par leur étendue. Car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt

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