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même. Nous aurons bien quelques boutades à essuyer de leur part, dit d'Alembert je m'y attends, «ce sont des élèves dont la philosophie >> ne doit pas trop se vanter: mais que voulez>> vous ? Il faut aimer ses amis avec leurs défauts. >> (4 oct. 1764.)

Prenons patience, repartit Voltaire, jusqu'à ce que «<les philosophes soient assez nombreux, » assez zélés, assez riches, pour aller détruire » avec le fer et la flamme la secte abominable des » Chrétiens, ces ennemis du genre humain. Heu» reusement ce ne sera pas long; nous sommes » venus dans des circonstances qui nous sont fa>vorables; les frères seroient bien abandonnés de » Dieu, s'ils n'en profitoient pas. Les Jansenistes » et les Molinistes se déchirent, et découvrent » leurs plaies honteuses: nous n'avons plus qu'à » tirer sur ces bêtes féroces pendant qu'elles se » mordent, et que nous pouvons les mirer à » notre aise. Allons, mes amis, il faut les écraser » les uns par les autres, et que leur ruine soit le » marche-pied du trône de la vérité. » (Lett. à Damil., 30 janv., 26 juin 1762 et ailleurs.)

Et des boyaux du dernier prêtre
Serrons le cou du dernier roi,

s'écria de nouveau Diderot, avec enthousiasme. Ceux qui étoient présents répétèrent ces deux vers, (Euv. choisies de La Harpe, t. 1.) dans les

quels est renfermé tout l'esprit de la philosophie, de l'aveu même d'un de ses héros. (Enc. méth., art. philosophie anc. et nouv., t. 3, p. 329.)

<< Allons, brave Diderot, continua Voltaire, » intrépide d'Alembert, joignez-vous à mon cher >> Damilaville, courez sus aux fanatiques et aux » fripons. » (Lett. à Damil., 1765.)

Allons, dirent les philosophes en poussant un cri de rage, courons sus aux fanatiques et aux fripons; ils y coururent en effet.

Qu'auroit pensé un homme de bon sens, en les voyant partir pour une telle entreprise? Les François, auroit-il dit, sont spirituels et éclairés. Ils seront révoltés de tous ces systèmes pernicieux, aussi opposés à la saine raison qu'au bien de la société. Ils sont nés malins: les sifflets et un ridicule inévitable attendent ces champions de la philosophie, et les forceront à se taire ou à revenir au bon sens auquel ils paroissent avoir renoncé. Combien une telle attente auroit été déçue! Indépendamment de leurs systèmes, les philosophes avoient des ressources qui rendoient leur succès assuré. Ils se ménagèrent adroitement la faveur des grands assez inconsidérés pour ne pas voir quels serpens ils réchauffoient dans leur sein. Sous leur funeste protection, ils répandirent avec la plus étonnante rapidité des maximes destinées à préparer une révolution dont ces grands devoient être les premières victimes. Pour comble

de malheur, la France étoit alors surchargée d'un grand nombre de ces êtres bizarres, aussi méprisables qu'orgueilleux, fléaux des sociétés dans lesquelles ils s'introduisent, et qui les perdent infailliblement lorsqu'ils parviennent à exercer sur elles quelque influence. C'étoient des beaux esprits, c'est-à-dire, des hommes en qui ce qu'on appelle l'esprit dominoit ou même se trouvoit seul à l'exclusion du bon sens et des mœurs. La philosophie leur parut un moyen prompt et sûr de se distinguer : ils se hâtèrent de grossir son parti. Les philosophes ainsi fortifiés poussèrent vivement l'exécution de leurs projets en peu de temps ils inondèrent la France d'une multitude de brochures, qui devenoient chaque jour plus audacieuses. Leurs nombreux émissaires parmi lesquels étoient des précepteurs, des instituteurs particuliers, des professeurs de colléges, et jusqu'à des maîtres d'école de village, quelques abbés, et surtout des journalistes, fidèles à la mission qu'ils avoient reçue de leurs maîtres, préparoient tout, et hâtoient, chacun selon son pouvoir le succès de ces perfides productions. Ils entraînèrent une grande partie de tout ce qu'il y avoit en France d'hommes imprudents, ou livrés à leurs passions, ou peu instruits de leur religion, et des vrais principes de la morale et du raisonnement. Le nombre en étoit déjà bien considérable : sous les auspices de la philosophie, il s'accrut à l'infini. Les gens

de bien, les hommes zélés pour la cause du bon sens, de la morale, et de la religion, tentèrent de s'opposer à la violence du torrent. Leurs efforts furent inutiles, ou du moins ils n'eurent qu'un succès très-médiocre. Le mal gagna comme la gangrène les philosophes furent élevés par l'intrigue, par l'enthousiasme, et par l'ignorance, au rang des grands hommes de leur nation, et bientôt ils occupèrent ce rang seuls et sans partage. On vit leur secte toujours plus entreprenante usurper insolemment le sceptre de notre littérature, la gouverner en despote; non pour favoriser les vrais talens, mais pour les étouffer; non pour faire servir les lettres au maintien des bonnes mœurs, mais pour les renverser et les détruire. Ce fut fait de la France: elle changea entièrement de face. Selon le nouveau code qu'elle venoit de recevoir, la vertu n'étoit plus qu'un nom; ou si, pour sauver les apparences, on en rappeloit encore les devoirs, on ne lui donnoit ni base, ni motifs. Les enfans se voyoient déchargés de la pénible obligation d'aimer leur père et leur mère, de les respecter, de les assister dans leurs besoins. Les pères et les mères étoient déchargés de celle de les élever et de s'intéresser à leur sort. A la vérité, il existoit encore peu d'ames assez fortes pour s'élever à toute la hauteur d'une telle philosophie; mais cette philosophie existoit, et son influence sur l'éducation et sur

les sentimens qui devoient animer et unir les pères et les enfans, se faisoit sentir d'une manière terrible. Les peuples apprenoient à mépriser l'autorité et à la regarder avec dédain, jusqu'à ce que des circonstances favorables les missent en état de la renverser et de la fouler aux pieds. Bon Dieu s'écrièrent les observateurs effrayés ; à présent que la France s'est mise à penser, que va-t-elle devenir ? Et qu'est-elle

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devenue ?

...

CHAPITRE XVI.

Conclusion.

Icr finit le second écrit de Clairville; et lå se termine aussi le Recueil que je vous adresse. Je pense, mon cher Belmont, qu'il est inutile d'y joindre aucun commentaire. Les passages que je viens de mettre sous vos yeux sont clairs et précis: mieux que le grand et sublime livre de la nature, ils parlent un langage intelligible à tous les esprits: ils rendent sensible à tout homme de bonne foi, la vérité de ce que dit Pascal des ennemis du Christianisme; «si on leur fait rendre » compte de leurs sentimens et des raisons qu'ils » ont de douter de la religion, ils diront des » choses si foibles et si basses qu'ils persuaderont >> plutôt le contraire. » Et je ne doute pas qu'en

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