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règne de la philosophie, comme destiné à ramener l'âge d'or sur la terre, et de l'autre le rétablissement de la religion, comme le plus grand fléau qui puisse peser sur nos têtes. S'il a lieu aujourd'hui, demain «nous serons livrés aux bourreaux » et aux prêtres, plus cruels qu'eux; demain >> nous tomberons en holocauste sous le couteau » de nos prêtres descendus de ces féroces druides, >> qui arrosoient de sang humain l'autel de leur » dieu Mars; (Rel. univ., t. 5., p. 449.) demain >> nous verrons par milliers des auto-da-fé, et des >> Saint-Barthélemi: demain la terre sera couverte » de sang et de cadavres. » (Le Cit., c. 2.) Estce là, savoir montrer à ses adversaires un front menaçant? Est-ce là, être philosophe ?

Où en sommes-nous ? disois-je en moi-même, pendant que Valcourt parloit; est-ce donc ainsi que la philosophie se joue du public? Elle a su se faire un front à ne rougir jamais; insolemment assise sur les débris des temples des Chrétiens qu'elle a pillés, dégradés, renversés, elle ose leur reprocher leur prétendue intolérance. Sa bouche impure est encore toute souillée des sanguinaires décrets qu'elle a vomis contre les prêtres, ses mains sont rougies de leur sang, et elle a l'effronterie de les accuser dans ce moment de préparer des bûchers destinés à brûler ses sectateurs. A-t elle donc juré de faire un divorce complet avec le bon sens et l'équité ? Pense-t-elle

qu'à force d'impudence, d'invectives, de mauvaise foi, elle se lavera enfin des crimes dont elle s'est rendue coupable? Avec ces honteux moyens, elle peut bien en imposer aux sots et à ceux qui veulent être trompés; mais le nombre de ses dupes ne s'étendra pas plus loin. Ses excès, ses inepties suffisent pour ouvrir les yeux à ceux qui conservent encore un reste de bonne foi et de sens commun.

Vous pensez bien que je gardai pour moi toutes ces réflexions: continuant toujours à dissi muler, je dis à Valcourt lorsqu'il eut cessé de parler.

pas

aussi

Il y a dans la conduite de nos philosophes, de la générosité, de la hardiesse et même quelque chose de plus mais leur mérite n'est : grand que vous paroissez le croire; ils n'ont fait que profiter des beaux exemples, que leur ont laissés Voltaire et ses illustres coopérateurs: personne n'ignore que ces grands hommes savoient montrer du front dans le besoin.

VALCOURT. Cela est vrai; mais comme alors les circonstances étoient bien différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui, on ne trouve pas dans leur conduite la mesure de l'audace dont un philosophe est capable. Nos écrivains viennent de donner cette mesure voilà, comment les circonstances qui paroissent le plus nous contrarier tournent à notre avantage.

FONVAL. Cela me donne une haute idée de la philosophie, je vois qu'elle sait faire servir habilement à sa gloire ce qui devroit la couvrir d'une confusion éternelle. La chose étoit difficile: il falloit beaucoup d'art pour y réussir.

VALCOURT. Je vous ai bien dit que lorsque vous la connoîtriez, vous concevriez pour elle une estime proportionnée à son mérite.

CHAPITRE XIII.

Suite du même sujet.

CETTE estime s'accroîtra, dis-je à Valcourt, à mesure que vous me prodiguerez vos savantes instructions: néanmoins vos discours me laissent encore quelque chose à désirer. Il me semble qu'ils tendent plus à noircir le christianisme, qu'à disculper nettement la philosophie : je dois croire qu'elle est innocente des crimes de notre révolution, puisque vous me l'assurez et que les philosophes l'assurent avec vous; mais la chose n'est pas démontrée pour moi, et je voudrois qu'elle le fût, soit pour ma propre satisfaction, soit pour me mettre en état de répondre aux propos que j'entends tenir tous les jours, qui flétrissent honteusement la philosophie.

VALCOURT. Dites à ceux qui tiennent ces propos, que «<les philosophes ont seuls un peu adouci les

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» mœurs des hommes, dites-leur que sans eux >> nous aurions deux ou trois Saint-Barthélemi, de siècle en siècle. » (Lett. à d'Al., 9 nov. 1764.) PONVAL. Deux ou trois par siècle, c'est beaucoup.

VALCOURT. Il n'y a rien à en rabattre : c'est le grand-homme lui-même, qui a fait ce calcul.

PONVAL. Je le dirai donc sur sa parole: mais on me répondra, qu'il y avoit des moyens moins violens que le jacobinisme pour adoucir les mœurs et prévenir les Saint-Barthélemi dont nous sommes ménacés à chaque instant. C'est un fâcheux argument que ce jacobinisme : je voudrois bien que nos savans écrivains employassent leur sagacité ordinaire, à séparer nettement sa cause de celle de la philosophie.

VALCOURT. Rien de plus facile, mon cher Ponval; dites-moi est-ce Rousseau, Voltaire, Helvétius, Diderot, qui ont commis les crimes de la révolution Les ont-ils conseillés dans leurs écrits ?

PONVAL. Ils n'ont fait, ni l'un, ni l'autre : (*)

(*) C'est trop dire, sans doute: ma réponse n'auroit pas dû être aussi absolue, mais je voulois éviter toute discussion qui auroit alongé la séance sans me procurer de nouvelles instructions. Quoiqu'on puisse dire pour la justification de nos philosophes, il est très-vrai qu'ils ont conseillé en propres termes, ou d'une manière équivalente plusieurs crimes de notre révolution : ils sont les véritables pères des jacobins, qui, fiers de cette généalogie, avoient sans cesse leurs noms dans la bouche, et qui n'ont guère fait

peut-être même que s'ils avoient vécu jusqu'à ces derniers temps, bien loin de commettre les crimes dont nous parlons, ils en auroient été les victimes.

VALCOURT. Pouvez-vous attribuer ces crimes aux écrivains philosophes de nos jours ?

PONVAL. Je sais que plusieurs d'entr'eux en sont innocens quant aux autres, j'ignore leur vie politique, et je me soucie fort peu de la connoître. J'aime à croire qu'on n'a aucun reproche à leur faire à cet égard.

VALCOURT. Voilà donc la philosophie complètement justifiée, puisque ni les anciens, ni les nouveaux écrivains philosophes ne sont coupables des crimes de la révolution.

PONVAL. Je connois ce raisonnement je l'ai entendu répéter plusieurs fois par des philosophes; mais il ne m'a pas encore été donné d'en sentir toute la force. On ne dit pas que les crimes de la révolution ont été commis par tel ou tel philosophe, et encore moins par tous les philosophes. On sait bien que plusieurs d'entr'eux ont péri sous la hache des assassins, ou qu'ils

qu'apprendre par cœur et commenter leurs sophismes et leurs déclamations. On en a vu plusieurs preuves dans le chapitre précédent, et ces preuves ne sont pas à beaucoup près les seules qu'on pourroit donner. Cependant, je me garderois bien d'assurer que s'ils eussent vécu dans le temps de la révolution, ils en eussent approuvé toutes les horreurs. L'intérêt auroit appris à chacun d'eux ce qu'il lui importoit de faire.

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