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consacrées par sa bouche, il fit la proposition honnéte et modeste, d'étrangler le dernier des jésuites avec les boyaux du dernier des jan

sénistes.

C'est ici surtout, qu'il importe de se rappeler qu'on ne doit pas accuser le cœur des philosophes de la licence de leur esprit, qu'ils suivent à la rigueur la loi naturelle; qu'ils sont justes vis-à-vis de la société.

Ils continuèrent long-temps sur ce ton. «< Je >> hais, crioit l'abbé Raynal, en s'agitant comme » un énergumène; je fuis la race humaine, com>>posée d'esclaves et de tyrans. Si elle ne peut pas >> devenir meilleure, puisse-t-elle s'anéantir. »> (Hist. phil., t. 6, l. 11, c. 24.) Dans ce moment même il avoit un intérêt considérable dans la traite des nègres, mais, insensible à son intérêt particulier, et touché uniquement des malheurs de ses semblables, il déclamoit avec sa violence ordinaire contre cet infernal commerce. Il appeloit à grands cris un libérateur qui mît le fer à la main de ces malheureux opprimés, il le nommait d'avance un héros, un grand-homme. « Je tréssaille » de joie, dit-il, en prévoyant le jour où les > champs Américains s'énivreront avec transport » du sang Européen, qu'ils désirent depuis si >> long-temps. Où est-il, ce grand-homme, ce » héros qui rétablira ainsi les droits de l'espèce

>> humaine? On le bénira partout, on élèvera >> des trophées à sa gloire.» (Hist. phil., t. 6, l. 11, c. 24.)

Tous ces vœux de la philosophie seront accom→ plis, dit Voltaire; mais, encore une fois, « je n'aurai » pas le plaisir d'en être témoin. Les jeunes gens » sont bien heureux, ils verront de belles choses.» (Lett. à M. de Chauv., 2 mars 1764.)

Et nous les avons vues ces belles choses, et nous avons appris à connoître enfin la philosophie par ses œuvres. Aussi, lorsque j'entends les invitations pressantes, par lesquelles ses apôtres s'efforcent de ranger les jeunes gens sous ses drapeaux, il me semble qu'ils leur adressent ce discours. << Jeunes gens, contemplez ces ruines > immenses, et ces ruisseaux de sang qui les >> arrosent. Voyez ce monstre orgueilleux et >> atroce, armé d'un glaive ensanglanté, qui s'ap>> plaudit auprès de ces horribles trophées élevés » dans les jours de son règne, et qui frémit de » l'impuissance où il est de les accroître encore: » ce monstre, c'est la PHILOSOPHIE. Venez; que > nous vous présentions à cette infernale di» vinité foulez aux pieds, pour parvenir jusqu'à >> son trône, les cadavres de vos amis, de vos » proches, de vos frères, de vos pères, qui l'en>> tourent, et qu'elle s'est immolés sans pitié ; et » là, fléchissant un genoux respectueux, abjurez tout principe de morale; ensuite offrez-lui

» votre encens, implorez ses faveurs jusqu'à ce » que vienne le moment après lequel sa fureur » soupire, de faire de vous ses victimes ou ses > bourreaux, et peut-être successivement l'un et > l'autre. >>

CHAPITRE XII.

Suite du sujet précédent.

- Vigueur avec

laquelle la philosophie repousse les reproches des Chrétiens. Comment elle s'efforce de se laver des crimes de la révolution.

RAPPROCHEZ, Mon cher Belmont, les discours que je viens de mettre sous vos yeux de l'histoire de notre révolution et sans doute vous vous demanderez à vous même, saisi d'étonnement: Comment se fait-il, que non-seulement la philosophie existe encore, mais qu'elle déploie toujours la même audace? Et que peut-elle répondre aux reproches dont les Chrétiens sont en droit de l'accabler?

Ces questions, qui se présentent tout naturellement à l'esprit, me parurent dignes d'exercer le zèle de Valcourt. J'allai donc le voir pour les lui proposer; l'entretien que j'eus avec lui est assez curieux pour que je croie devoir l'insérer

ici: il complètera l'instruction renfermée dans le chapitre précédent.

:

En entrant chez le philosophe, je le trouvai occupé à lire le poëme de la guerre des dieux anciens et modernes. Cette lecture remuoit agréablement son cœur ; il étoit dans une espèce d'extase. Quel admirable ouvrage ! me dit-il, je ne suis pas surpris de l'avidité avec laquelle nos jeunes adeptes le dévorent. Non l'auteur de la Pucelle n'est pas mort ; il revit, du moins quant à la philosophie, et avec plus d'audace encore, dans le nouveau poëte. Venez, il faut que nous nous divertissions ensemble de quelques-uns de ses tableaux. Je le priai séchement de m'en dispenser : voulez-vous faire le cagot? me dit-il : ce seroit bien déplacé avec moi. Venez, vous dis-je, cela nous mettra en bonne disposition pour philosopher.

:

J'eus beau m'en défendre malgré ma résistance, il prit son livre et lut à haute voix les morceaux qui lui parurent les plus philosophiques. Quelle philosophie ! mon cher Belmont, ou plutôt quel plat et épouvantable cynisme ! autant qu'il me fut possible, j'occupai mon esprit d'autres objets je n'avois pas l'ame assez forte pour supporter une lecture, qui ne peut avoir d'agrément que pour les plus déhontés libertins. Néanmoins quelque distrait que je fusse, j'en entendis assez pour apprécier cette monstrueuse

» votre encens, implorez ses faveurs jusqu'à ce » que vienne le moment après lequel sa fureur » soupire, de faire de vous ses victimes ou ses » bourreaux, et peut-être successivement l'un et

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laquelle la philosophie repousse les reproches des Chrétiens. Comment elle s'efforce de se laver des crimes de la révolution.

RAPPROCHEZ, Mon cher Belmont, les discours que je viens de mettre sous vos yeux de l'histoire de notre révolution : et sans doute vous vous demanderez à vous même, saisi d'étonnement : Comment se fait-il, que non-seulement la philosophie existe encore, mais qu'elle déploie toujours la même audace? Et que peut-elle répondre aux reproches dont les Chrétiens sont en droit de l'accabler?

Ces questions, qui se présentent tout naturellement à l'esprit, me parurent dignes d'exercer le zèle de Valcourt. J'allai donc le voir pour les lui proposer; l'entretien que j'eus avec lui est assez curieux pour que je croie devoir l'insérer

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