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»ganisation. L'homme a des sens plus fins et plus » délicats de-là, une plus grande abondance » d'idées chez lui; de-là, la supériorité de son > ame sur celle de l'animal,» (De l'esp., dis. 1,c. 1.) De-là enfin, le génie mathématique que nous admirons dans Archimède, et qui manque à la taupe.

Cette dernière conséquence déplut à Diderot. La taupe privée du génie mathématique ! Quelle idée bizarre ! il est vrai qu'elle a les yeux petits et cachés; mais en revanche, elle l'emporte sur nous par la finesse du toucher et de l'ouïe: pourquoi donc, dit ce grand philosophe, ne marcheroit-elle pas l'égale d'Archimède en géométrie? «Des cinq > sens dont notre machine est pourvue, un seul >> suffit pour pénétrer dans les secrets les plus > retirés de cette science. En voulez-vous une >> preuve ? Considérez l'huitre dans sa coquille, >> je ne sais pas au juste ce qu'elle y fait; mais je » la soupçonne fort, de s'élever aux spéculations » les plus sublimes de l'arithmétique et de l'algè >> bre: de sonder les profondeurs de l'analyse, de >> se proposer les problêmes les plus compliqués >> sur la nature des équations, et de les résoudre » comme si elle étoit un Diophante.» (Lett. sur les sourds et muets, p. 251 et 252.)

Condillac écoutoit avec surprise. « Quelle nou>> veauté de vues! s'écria-t-il enfin, quelle finesse » de réflexions ! quel coloris de style! Combien » ce grand homme est riche de ses propres idées.>>

(Trait. des sens. 319.) Il donna les plus grands éloges à l'analyse profonde, qui avoit conduit Diderot jusqu'à ces concepts; et rien n'étoit plus juste. Cette analyse est précisément celle dont il a fait usage dans son traité des sensations; ouvrage où il démontre si bien en animant une statue, et en la remplissant à propos de toutes sortes d'idées, que nous sommes capables des spéculations les plus abstraites, et des actes les plus héroïques, pourvu que nous sachions seule

ment sentir.

C'étoit une belle route, que celle que Diderot venoit d'ouvrir aux restaurateurs de la raison. Néanmoins, ils n'y entrèrent pas dans ce moment; ils étoient pressés d'arriver à un dogme qui leur tenoit plus à cœur, et auquel leurs principes les conduisoient naturellement : c'est que nous n'avons point d'ame.

J'ai fait disparoître la moitié de celle qu'on nous accorde, dit Condillac. Les anciens philosophes en faisoient une substance, qui pense et qui sent; c'étoit un abus. A l'aide de l'analyse rigoureuse qui me dirige dans toutes mes recherches, je l'ai heureusement réduite à n'être qu'une substance qui sent. Ce qui suffit pour expliquer toutes nos facultés et toutes nos opérations intellectuelles et morales : c'est ici un point capital sans lequel il n'y a point de métaphysique. Aussi j'y reviens dans tous mes ouvrages.

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Les philosophes se rappelèrent ce que Condillac avoit enseigné sur ce sujet dans la première séance. Voilà, dirent-il, ce qui s'appelle disséquer savamment l'entendement et le cœur de l'homme. Des cartes, Mallebranche et les autres n'ont été que des rêveurs. Condillac est le premier métaphy sicien que la France ait produit; il a éclairci, corrigé, perfectionné, surpassé Locke lui-même, Quelques-uns voyoient avec peine, qu'il eût fait grâce à la moitié de notre ame. Pourquoi, disoient ils, ne pas déclarer sans détour que les sensations existent uniquement dans notre corps, et non pas dans une substance qu'on en suppose distincte ? Tranquillisez-vous, leur répondirent en souriant, Helvétius, l'auteur du système de la nature, et d'autres matérialistes; notre ami conserve la moitié de notre ame, mais ce n'est que pour la forme, Son système sur les sensations nous donnera les moyens de nous en passer, lorsque nous le jugerons à propos. Que ce système s'établisse une fois, nous saurons bien tirer la conséquence que nous n'avons point d'ame.

Quelques philosophes s'élevèrent avec feu contre cette doctrine. Il est faux que je ne pense point, dit Rousseau, et quand même je ne serois qu'un être sensible ou sensitif comme vous le prétendez en dépit de l'évidence, vous ne pouvez pas conclure de-là, qu'il n'y a en moi que de la

matière. La substance qui sent est essentiellement une et indivisible, et par conséquent incorporelle aussi bien que la substance qui pense. (Prof. de foi.)

Rousseau se mit ensuite en devoir de prouver ces deux vérités ; mais on ne l'écouta point. Voilà sa folie qui le prend, dirent quelques matérialistes; sur certains points, il est bien peu philosophe. Il lui faut une ame, une espèce de morale, et un grand être !

Plus de ces vieilles idées ! s'écria le bouillant La Métrie, elles sont passées de mode. Quant à moi, je tranche le mot; «L'homme n'est qu'une > machine comment aurions nous une ame? >> Nous ne pouvons, ni la voir, ni la sentir. (Tr. » de l'ame.) Ce n'est qu'un mot inventé par >> l'amour-propre, pour élever l'homme au-dessus >> de la nature et des animaux.» (L'hom. machi.)

« J'appuie, dit un autre philosophe : tout ce » qu'on appelle ame ou esprit, n'a pas plus de » réalité que les fantômes, les chimères, les » sphinx.» (Lett. de Tras.)

Voltaire avoit l'air d'être en méditation. Toutà-coup, il sortit de cet état en s'écriant : « je suis » corps, et je pense, je n'en sais pas davantage. » Et un moment après : parlons franchement; il » n'y a point d'ame: ce système le plus hardi, le >> plus étonnant de tous, est au fond le plus simple.>> (A, b, c.)

Et plusieurs philosophes de s'écrier tout trans

portés de joie : non, nous n'avons point d'ame; nous n'en voulons point. Il n'y a pas de différence essentielle, entre nous et les bêtes.

On parle beaucoup, reprit La Métrie, de la faculté de penser et de sentir; mais on ignore où cette faculté réside. Quant à moi, je le sais bien positivement: elle est toute entière dans la substance médullaire. Notre ame n'est donc autre chose que cette substance. J'en conclus que, << elle » est bien certainement de la même páte et » de la même fabrique que celle des animaux. » (l'Hom. pl.) Formés d'un germe éternel, quel » qu'il ait été, à force de se mêler entre eux, ils » ont produit ce beau monstre qu'on appelle » homme. (Syst. d'Epic.) Ainsi tout le règne >> animal est composé de différens singes, à la tête » desquels Pope a mis Newton.» (Ibid.)

Bon, dit un de nos sages, voilà qui rentre dans mes idées; «<les hommes et les animaux ont tous >> même origine. On n'est pas éloigné de regarder » les uns et les autres, comme des développemens » de la terre mise en fermentation par le soleil. » Révélons promptement ces secrets au peuple.

Faisons plus, dit l'auteur de la philosophie du hon sens, prouvons lui que ce sont des vérités in

contestables je soutiens, moi, que, << il ne peut

» у avoir aucune différence entre l'homme et le >> chien. En voici la preuve : je réduis en forme » l'argument que fait le chien ; si je saute, je suis

flatté ;

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