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>> nouveaux moyens de les maîtriser par le privi» lége qu'ils se réservent de répartir les graces » ou les châtimens du grand juge, selon des délits » ou des actions méritoires qu'ils caractérisent à » leur gré.» (Ruin., c. 22.) Qui doute que ce ne soit là en effet le dogme de la vie future, tel: qu'il a toujours été enseigné par les Chrétiens et par tous les vrais philosophes?

Cependant, nos sages goûtoient le ca'me heureux que procure l'exemption des remords, la crainte d'une vie future ne leur en imposoit plus, peut-on s'effrayer de ce qui certainement n'existe pas? ils trouvoient même, dans ces nouvelles idées, un préservatif puissaut contre les appréhensions de la mort. La suprême destination de l'homme, disoient-ils, est d'aller engraisser la terre dont il est sorti; nous sommes aujourd'hui des bipèdes à direction verticale, distingués uniquement par la, et par l'ouverture de l'angle facial, des autres animaux; rendus à la terre, nous deviendrons oignons ou choux ; ensuite nous remonterons dans le règne animal où nous vivrons en reptiles ou en quadrupèdes. Voilà l'avantage qu'il y a d'appartenir au grand tout, on est successivement chacun des êtres de la nature nous ne devons donc pas craindre la mort ; elle n'est rien, ce n'est qu'un changement de forme.

Et croyez-vous, dit Condorcet, que ce changement de forme soit nécessaire ou inévitable?

On ne savoit où tendoit cette question. Condorcet s'expliqua c'est un conte, dit-il, que nous fait la Genèse, lorsqu'elle nous dit que tous les hommes sont condamnés à mourir; c'est un conte non moins absurde que ce qu'on lit dans les auteurs juifs que la durée de la vie humaine ne s'étend guères au-delà de quatre-vingts ans. La vérité est que «nous ignorons si les lois générales › de la nature, ont déterminé un terme au-delà > duquel ne puisse s'étendre la durée moyenne » de la vie. Cette durée peut acquérir dans l'im>> mensité des siècles, une étendue plus grande » qu'une quantité quelconque qu'on lui auroit > assignée pour limite. Les accroissemens de > cette durée sont réellement indéfinis dans le » sens le plus absolu.» (Esq. d'un tabl. phil. des prog. de l'esp. hum., époq. 19, p. 382.) Vous voyez que cela nous conduit à concevoir l'espérance de ne pas mourir.

Condorcet avoit déjà tenu plusieurs discours qui caractérisoient un philosophe parfait, si jamais il en fut. Animé de la rage la plus violente contre la divinité, il ne pouvoit voir que des idiots dans ceux qui croient son existence. Sa grande ame savoit les hair; et en honnêtehomme il avoit juré de ne se réconcilier jamais avec eux, non plus qu'avec l'objet de leur culte. Tant d'intrépidité lui avoit mérité la confiance de Voltaire. «Ma grande consolation en mourant,

» dit-il à d'Alembert, c'est que vous soutenez >> l'honneur de nos pauvres Welches, en quoi vous >> serez bien secondé Condorcet.» (lett. 101, an. 1773.)

par

Une telle confiance étoit flatteuse pour Con dorcet, mais ce grand ennemi de Dieu sentit lui-même qu'il faisoit prendre avant le temps, un trop grand essor à la philosophie; aussi a-t-il laissé cette grande découverte dans le secret jusqu'à l'époque où il a vu le règne de la philosophie complètement établi. Alors il l'a fait briller tout-à-coup, comme un météore, aux yeux du public. Le moment ne pouvoit pas être mieux choisi : les François étoient la proie des bourreaux et des assassins soudoyés par sa faction: il falloit un baume à leurs maux ; ils le trouvèrent dans l'espérance de ne pas mourir, dont la douce philantropie de Condorcet vint les flatter.

CHAPITRE XI.

Huitième et dernière séance. Suite de la morale des philosophes. De leurs principes politiques. De leurs cris de sédition,

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- De leurs plans de révolution.

LA huitième séance venoit de s'ouvrir. Un de nos sages se lève avec un air sombre, qui répand la consternation dans toute l'assemblée. J'ai été occupé une grande partie de la nuit, dit-il, à repasser dans mon esprit l'excellent code de morale que nous avons commencé hier à rédiger; je vois que nous avons habilement tracé à l'homme les routes sûres du bonheur; mais comment pourroit-il y entrer? Il n'est pas libre, il est esclave.

Ces courtes paroles firent une impression profonde sur nos philosophes. Alors se manifesta à eux cette grande vérité, non encore aperçue jusqu'à ce jour, «que l'homme est né libre et que » par-tout il est dans les fers; que le peuple >> anglois lui-même n'est libre que durant l'élec>>tion des membres du parlement, que sitôt qu'ils » sont élus, il est esclave, il n'est plus rien. » (Cont. soc., l. 1, c. 1 et l. 3, c. 15.)

N'en doutez pas, dit Raynal, << tous les peuples

» sont esclaves en Europe comme ils le sont en » Amérique, leur unique avantage sur les nègres >> est de pouvoir rompre une chaîne pour en » prendre une autre. » (Hist. phil., t. 6, c. 24.)

Et comment ne serions-nous pas esclaves? dit un autre philosophe, « tout dépend aujourd'hui » de la volonté du souverain ou plutôt de ses ca» prices...... Les princes, peu contens de la pri» mauté, ont voulu donner des lois, et on le leur >> a sottement permis. Les peuples, abrutis par les » superstitions, souffrent que des enfans étourdis >> par la flatterie les gouvernent avec un sceptre de fer.» (Aziat. Tol.)

Ces tristes tableaux frappèrent vivement nos philosophes. Hâtons-nous, dirent-ils, de les mettre sous les yeux de la multitude: persuadée qu'elle est esclave, elle demandera des vengeurs. Nous voilà, lui dirons-nous; et aussitôt elle sera à nos pieds. -Et comment la vengerons-nous ? — En l'instruisant des grands secrets de la politique: et voyez de quelle gloire nous allons nous couvrir jusqu'à nous cette science n'a été connue que d'un petit nombre d'hommes occupés du gouvernement des états, ou absorbés dans des éu les profondes; nous la rendrons populaire.

Les philosophes posèrent d'abord les principes ; i étoient simples et faciles à saisir; ils réunirent tous les suffrages. De quelle manière, dit l'un d'entr'eux, les proposerons - nous au peuple ?

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