Page images
PDF
EPUB

>> je fais ces propositions.» (l'esp., dis. 2, c. 14.) >> On le voit, dirent en souriant quelques-uns de » nos sages et vos discours n'en valent que >> mieux. Vous êtes fidèle à la règle que nous avons établie, de ne pas marcher sur les brisées de ces Messieurs-là. (les Mœurs, préf.)

Ajoutez, dit l'un d'entr'eux, que vous parlez pour des philosophes. Il est juste qu'ils jouissent du fruit de leurs travaux. Pourquoi se refuseroientils aux plaisirs pour lesquels les sens ont été faits ? Ils sont les restaurateurs de la raison qui leur en a si bien fait connoître le prix. Si ce n'est pas sans plaisir qu'elle les trompe et les égare, ah ! qu'elle les trompe toujours ainsi! (Hist. de l'ame, p. 173.)

Nos sages étoient en bonne disposition. Que de belles choses le sujet devoit leur inspirer ! II leur en inspira en effet leurs discours couloient de source. Je me garderai bien de les transcrire, parce que les lecteurs auxquels ce récit est destiné ne sont pas assez éclairés par les lumières de la philosophie, pour ne voir dans la pudeur qu'un ridicule préjugé. Il leur suffira de savoir qu'ils ne rougirent pas d'afficher le cynisme le plus grossier et le plus révoltant et il ne faut pas s'en étonner; : dans l'Encyclopédie, les anciens cyniques sont appelés très- vertueux philosophes, et certai nement ils méritent cet éloge : ils étoient trèsvertueux; on vient de voir en quoi consiste la

vertu: ils étoient philosophes et très-philosophes; aucune secte ne fronda jamais si universellement les préjugés.

L'un de nos sages, le vertueux Diderot, se senti pressé du même zèle que ces très-vertueux philosophes. Comme eux, il voulut parler cruement. La langue françoise s'y refusoit : il eut recours au latin, à l'anglois et à l'italien ; il ramassa en cinq ou six pages de ces différens idiômes, tout ce qu'il pouvoit savoir d'ordures, et les incrusta dans une des plus extravagantes productions dont la philosophie puisse se vanter.

Il falloit voir pendant tous ces discours, les jeunes gens à qui on avoit accordé les honneurs de la séance. La joie étinceloit dans leurs yeux : ils regardoient leurs maîtres avec admiration, et leur juroient un dévouement éternel. L'auteur de la Pucelle obtint sur-tout leurs suffrages. En vain ses vers blessoient toutes les convenances : en vain dans ses fictions il fouloit aux pieds les règles les plus communes du bon sens et du goût : son cynisme couvroit ses épouvantables absurdités, et répandoit sur tout ce qu'il disoit un charme si grand, que ces jeunes gens ne pouvoient s'en détacher. Ils firent de ce poëme leur livre de philosophie honneur qui a été accordé depuis aux mêmes titres, mais dans un degré inférieur, l'extravagant poëme de la guerre des dieux. On ne peut trop blâmer sans doute le dérèglement

[ocr errors]

d'esprit et de cœur des jeunes gens capables de goûter ces infâmes productions mais on doit plaindre encore plus leur malheur et leur imprudence. Ceux qui méritent toute l'indignation des ames honnêtes, ce sont leurs perfides maîtres qui ont si cruellement abusé du talent qu'ils avoient de tourner agréablement un vers, pour corrompre le goût, le jugement et les mœurs de ces infortunés; et qui les ont rendus libertins pour en faire des philosophes, et philosophes pour en faire des libertins.

CHAPITRE X.

Suite de la septième séance et du même sujet. - Nouveaux traits de la morale des philosophes. -Comment ils traitent le dogme de l'immortalité de l'ame.

CICERON a dépeint depuis long-temps ces nouveaux instituteurs en parlant des Épicuriens auxquels ils ont succédé. «La volupté, dit-il, par » elle-même, ne sera jamais que la volupté et » pas autre chose. Tout ce que je vois de clair » dans la doctrine d'Épicure, c'est qu'il ne » cherche des disciples que pour leur apprendre, » que ceux qui veulent être voluptueux doivent » d'abord devenir philosophes. » Voilà en effet la

philosophie du dix-huitième siècle : c'est par là qu'elle se rend si intéressante.

Les discours cyniques de nos sages duroient depuis long-temps; ils se turent enfin, moins par ennui que par lassitude. Alors, l'un d'eux se lève d'un air gracieux, et résumant toutes les maximes qu'on avoit débitées : voilà donc, dit-il, sous quels traits nous présenterons la philosophie pour lui gagner tous les cœurs. « Elle n'admet qu'une fé» licité temporelle; elle sème les fleurs et les > roses sous ses pas, et nous apprend à les cueillir. >> Le bonheur, nous dit-elle, est une sensation >> agréable, un plaisir; en un mot, tout ce qui » peut flatter le corps..... Il faut songer au corps » avant que de songer à l'ame, ne cultiver son >> ame que pour procurer plus de plaisir à son » corps.» (Disc. sur la vie heureuse.)

Oui: dit Helvétius; « les passions physiques sont » les seuls plaisirs réels.» (de l'esp. disc. 3, c. 15.)

C'est ce que Mahomet avoit parfaitement connu, dit un autre philosophe : quelle idée grande et profonde de récompenser de ce genre de bonheur, la foi de ses disciples dans son charmant paradis !

Aussi, ajouta Voltaire, vous avez vu que je me suis empressé de rendre à ce grand-homme la justice qu'il mérite et qu'on lui a refusée trop long-temps. << C'est un imposteur et un brigand; » (Quest. sur l'Enc.) mais, quoi qu'on en dise, sa >> religion est la plus raisonnable de toutes. »

[ocr errors]
[ocr errors]

Bon! s'écria-t-on, voilà une autorité pour nous. -Elle n'est pas la seule, reprit Voltaire; en voici une que les Chrétiens ne peuvent pas récuser: c'est celle d'un de leurs livres sacrés, de Écclésiaste.-0 grand-homme !--Je donnerai un précis de ce livre, où l'on verra que l'auteur prêche exactement la même philosophie que nous. Est-il possible? - Rien n'est plus certain. L'Écclésiaste passe en revue les plaisirs, les travaux, les occupations des hommes sur la terre, et il ne trouve dans toutes ces choses que vanité, peine et affliction d'esprit.—Il n'y a rien là de commun avec notre philosophie. Je le crois : mais aidez un peu comme moi à la lettre du texte, et vous verrez que l'Ecclésiaste est un bon épicurien, qui, sous prétexte de déplorer les misères de l'humanité, n'est réellement occupé qu'à gémir de l'impuissance où il se trouve, à cause de son grand âge, de jouir plus long-temps des plaisirs qui ont fait autrefois tout son bonheur.

Ensuite, le grand-homme lut une partie de son précis. A chaque trait on se récrioit d'admiration :

Quoi ! l'Écclésiaste a dit cela? — Et cela encore? —Qui s'en seroit douté ? — Voilà bien nos maximes. — Quel sentiment délicieux dans ces deux vers!

[ocr errors]

O charme de la vie ! ô précieuse ivresse !

Vous fuyez loin de moi, vous fuyez pour toujours.

« PreviousContinue »