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nous en détournent, la cause de ces faiblesses, les remèdes qui les peuvent guérir, et le moyen d'obtenir ces remèdes? Toutes les autres religions ne l'ont pu. Voyons ce que fera la Sagesse de Dieu [qui nous parle dans la religion chrétienne]:

« C'est en vain, ô hommes, que vous cherchez dans vous-mêmes le remède à vos misères. Toutes vos lumières ne peuvent arriver qu'à connaître que ce n'est point dans vous-mêmes que vous trouverez ni la vérité, ni le bien. Les philosophes vous l'ont promis, et ils n'ont pu le faire'. Ils ne savent ni quel est votre véritable bien, ni quel est votre véritable état. Comment auraient-ils donné des remèdes à vos maux, puisqu'ils ne les ont pas seulement connus? Vos maladies principales sont l'orgueil, qui vous soustrait de Dieu, la concupiscence, qui vous attache à la terre; et ils n'ont fait autre chose qu'entretenir au moins l'une de ces maladies. S'ils vous ont donné Dieu pour objet, ce n'a été que pour exercer votre superbe. Ils vous ont fait penser que vous lui étiez semblables et conformes par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité de cette prétention vous ont jetés dans l'autre précipice, en vous faisant entendre que votre nature est pareille à celle des bêtes, et vous ont portés à chercher votre bien dans les concupiscences, qui sont le partage des animaux. Ce n'est pas là le moyen de vous guérir de vos injustices, que ces juges n'ont point

connues.

<< N'attendez pas, dit-elle, ni vérité ni consolation des hommes. Je suis celle qui vous ai formés, et qui puis seule vous apprendre qui vous êtes. Mais vous n'êtes plus maintenant en l'état où je vous ai formés. J'ai créé

'C'est-à-dire N'ont pu trouver la vérité à l'aide des lumières de la

raison.

l'homme saint, innocent, parfait; je l'ai rempli de lumière et d'intelligence; je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L'œil de l'homme voyait alors la majesté de Dieu. Il n'était pas alors dans les ténèbres qui l'aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l'affligent. Mais il n'a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption. Il a voulu se rendre centre de lui-même, et indépendant de mon secours. Il s'est soustrait de ma domination, en s'égalant à moi par le désir de trouver sa félicité en lui-même. Je l'ai abandonné à lui; et révoltant les créatures qui lui étaient soumises, je les lui ai rendues ennemies : en sorte qu'aujourd'hui l'homme est devenu semblable aux bêtes, et dans un tel éloignement de moi, qu'à peine lui restet-il une lumière confuse de son auteur, tant toutes ses connaissances ont été éteintes ou troublées! Les sens, indépendants de la raison et souvent maîtres de la raison, l'ont emporté à la recherche des plaisirs. Toutes les créatures ou l'affligent ou le tentent, et dominent sur lui, ou en le soumettant par la force, ou en le charmant par leurs douceurs : ce qui est une domination plus terrible et plus impérieuse. >>

Voilà l'état où les hommes sont aujourd'hui. Il leur reste quelque instinct puissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence, qui est devenue leur seconde nature.

De ce principe que je vous ouvre, vous pouvez reconnaître la cause de tant de contrariétés qui ont étonné tous les hommes, et qui les ont partagés en de si divers sentiments. Observez maintenant tous les mouvements de grandeur et de gloire que l'épreuve de tant de misères ne peut étouffer, et voyez s'il ne faut pas que la cause en soit en une autre nature.

II.

Chose étonnante cependant, que le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché [originel], soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nousmêmes! Car il est sans doute qu'il n'y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent incapables d'y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible, il nous semble même très-injuste : car, qu'y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de volonté pour un péché où il paraît avoir eu si peu de part, qu'il est commis six mille ans avant qu'il fût un être? Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine; et cependant, sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le noeud de notre condition prend ses tours et ses replis dans cet abime. De sorte que l'homme est plus inconcevable sans ce mystère, que ce mystère n'est inconcevable à l'homme.

Le péché originel est une folie devant les hommes; mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison. Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes : Quod stultum est Dei, sapientius est hominibus (I Cor., 1, 25). Car, sans cela, que dira-t-on qu'est l'homme? Tout son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s'en fût-il aperçu par sa raison, puisque c'est une chose au-dessus de sa raison, et que sa raison, bien loin de l'inventer par ses voies, s'en éloigne quand on le lui présente?

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III.

Ces deux états [d'innocence et de corruption] étant ouverts, il est impossible que vous ne les reconnaissiez pas. Suivez vos mouvements, observez-vous vous-même, et voyez si vous n'y trouverez pas les caractères vivants de ces deux natures. Tant de contradictions se trouveraient-elles dans un sujet simple?

Cette duplicité de l'homme est si visible, qu'il y en a qui ont pensé que nous avions deux âmes; un sujet simple leur paraissant incapable de telles et si soudaines variétés, d'une présomption démesurée à un horrible abattement de cœur.

Toutes ces contrariétés, qui semblaient le plus m'éloigner de la connaissance de la religion, est ce qui m'a le plus tôt conduit à la véritable.

Pour moi, j'avoue qu'aussitôt que la religion chrétienne découvre ce principe, Que la nature des hommes est corrompue et déchue de Dieu, cela ouvre les yeux à voir partout le caractère de cette vérité; car la nature est telle, qu'elle marque partout un Dieu perdu, et dans l'homme, et hors de l'homme.

Sans ces divines connaissances, qu'ont pu faire les hommes, sinon, ou s'élever dans le sentiment intérieur qui leur reste de leur grandeur passée, ou s'abattre dans la vue de leur faiblesse présente? Car, ne voyant pas la vérité entière, ils n'ont pu arriver à une parfaite vertu. Les uns considérant la nature comme incorrompue, les autres comme irréparable, ils n'ont pu fuir ou l'orgueil ou la paresse, qui sont les deux sources de tous les vices, puisqu'ils ne peuvent, sinon ou s'y abandonner par lâcheté, ou en sortir par l'orgueil. Car s'ils connaissaient l'excellence de l'homme, ils en ignoraient la corruption; de sorte qu'ils évitaient bien la paresse, mais ils se perdaient dans la superbe. Et s'ils reconnais

saient l'infirmité de la nature, ils en ignoraient la dignité; de sorte qu'ils pouvaient bien éviter la vanité, mais c'était en se précipitant dans le désespoir.

De là viennent les diverses sectes des stoïques et des épicuriens, des dogmatistes et des académiciens, etc. La seule religion chrétienne a pu guérir ces deux vices, non pas en chassant l'un et l'autre par la sagesse de la terre, mais en chassant l'un et l'autre par la simplicité de l'Évangile. Car elle apprend aux justes, qu'elle élève jusqu'à la participation de la Divinité même, qu'en ce sublime état ils portent encore la source de toute la corruption, qui les rend, durant toute la vie, sujets à l'erreur, à la misère, à la mort, au péché; et elle crie aux plus impies qu'ils sont capables de la grâce de leur Rédempteur. Ainsi, donnant à trembler à ceux qu'elle justifie, et consolant ceux qu'elle condamne, elle tempère avec tant de justesse la crainte avec l'espérance, par cette double capacité qui est commune à tous, et de la grâce et du péché, qu'elle abaisse infiniment plus que la seule raison ne peut faire, mais sans désespoir; et qu'elle élève infiniment plus que l'orgueil de la nature, mais sans enfler : faisant bien voir par là qu'étant seule exempte d'erreur et de vice, il n'appartient qu'à elle et d'instruire et de corriger les hommes.

Qui peut donc refuser à ces célestes lumières de les croire et de les adorer? Car n'est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nous-mêmes des caractères ineffaçables d'excellence? et n'est-il pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure les effets de notre déplorable condition? Que nous crie donc ce chaos et cette confusion monstrueuse, sinon la vérité de ces deux états, avec une voix si puissante, qu'il est impossible de résister?

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