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cluent que cette religion n'est pas véritable, parce qu'ils ne voient pas que toutes choses concourent à l'établissement de ce point : que Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l'évidence qu'il pourrait faire.

Mais qu'ils en concluent ce qu'ils voudront contre le déisme, ils n'en concluront rien contre la religion chrétienne, qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui, unissant en lui les deux natures, divine et humaine, a retiré les hommes de la corruption du péché, pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine.

Elle enseigne donc ensemble aux hommes ces deux vérités, et qu'il y a un Dieu dont les hommes sont capables, et qu'il y a une corruption dans la nature qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l'un et l'autre de ces points; et il est également dangereux à l'homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître le Rédempteur qui l'en peut guérir. Une seule de ces connaissances fait, ou l'orgueil des philosophes qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées qui connaissent leur misère sans Rédempteur. Et ainsi, comme il est également de la nécessité de l'homme de connaître ces deux points, il est aussi également de la miséricorde de Dieu de nous les avoir fait connaître. La religion chrétienne le fait; c'est en cela qu'elle consiste. Qu'on examine l'ordre du monde sur cela, et qu'on voie si toutes choses ne tendent pas à l'établissement des deux chefs de cette religion.

XII.

Si l'on ne se connaît plein de superbe, d'ambition, de concupiscence, de faiblesse, de misère et d'injustice, on est bien aveugle. Et si en le connaissant on ne désire d'en être délivré, que peut-on dire d'un homme... [si peu raisonnable]? Que peut-on donc avoir que de l'es

time pour une religion qui connaît si bien les défauts de l'homme, et que du désir pour la vérité d'une religion qui y promet des remèdes si souhaitables?

XIII.

Il est impossible d'envisager toutes les preuves de la religion chrétienne ramassées ensemble, sans en ressentir la force, à laquelle nul homme raisonnable ne peut résister.

Que l'on considère son établissement; qu'une religion si contraire à la nature se soit établie par elle-même si doucement, sans aucune force ni contrainte, et si fortement néanmoins qu'aucuns tourments n'ont pu empêcher les martyrs de la confesser; et que tout cela se soit fait non-seulement sans l'assistance d'aucun prince, mais malgré les princes de la terre qui l'ont combattue.

Que l'on considère la sainteté, la hauteur et l'humilité d'une âme chrétienne. Les philosophes païens se sont quelquefois élevés au-dessus du reste des hommes par une manière de vivre plus réglée, et par des sentiments qui avaient quelque conformité avec ceux du christianisme. Mais ils n'ont jamais reconnu pour vertu ce que les chrétiens appellent humilité, et ils l'auraient même crue incompatible avec les autres dont ils faisaient profession. Il n'y a que la religion chrétienne qui ait su joindre ensemble des choses qui avaient paru jusque-là si opposées, et qui ait appris aux hommes que, bien loin que l'humilité soit incompatible avec les autres vertus, sans elle toutes les autres vertus ne sont que des vices et des défauts.

Que l'on considère les merveilles de l'Écriture sainte, qui sont infinies, la grandeur et la sublimité plus qu'humaine des choses qu'elle contient, et la simplicité admirable de son style, qui n'a rien d'affecté, rien de recherché, et qui porte un caractère de vérité qu'on ne saurait désavouer.

Que l'on considère la personne de JÉSUS-CHRIST en particulier. Quelque sentiment qu'on ait de lui, on ne peut disconvenir qu'il n'eût un esprit très-grand et très-relevé, dont il avait donné des marques dès son enfance devant les docteurs de la loi et cependant, au lieti de s'appliquer à cultiver ces

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talents par l'étude et la fréquentation des savants, il passe trente ans de sa vie dans le travail des mains, et dans une retraite entière du monde; et pendant les trois années de sa prédication, il appelle à sa compagnie et choisit pour ses apôtres des gens sans science, sans étude, sans crédit, et il s'attire pour ennemis ceux qui passaient pour les plus savants et les plus sages de son temps. C'est une étrange conduite pour un homme qui a dessein d'établir une nouvelle religion.

Que l'on considère en particulier ces apôtres choisis par JÉSUS-CHRIST, ces gens sans lettres, sans étude, et qui se trouvent tout d'un coup assez savants pour confondre les plus habiles philosophes, et assez forts pour résister aux rois et aux tyrans qui s'opposaient à l'établissement de la religion chrétienne qu'ils annonçaient.

Que l'on considère cette suite merveilleuse de prophètes qui se sont succédé les uns aux autres pendant deux mille ans, et qui ont tous prédit en tant de manières différentes jusques aux moindres circonstances de la vie de JÉSUS-CHRIST, de sa mort, de sa résurrection, de la mission des apôtres, de la prédication de l'Évangile, de la conversion des nations, et de plusieurs autres choses qui concernent l'établissement de la religion chrétienne et l'abolition du judaïsme.

Que l'on considère l'accomplissement admirable de ces prophéties, qui conviennent si parfaitement à la personne de JÉSUS-CHRIST, qu'il est impossible de ne pas le reconnaître, à moins de vouloir s'aveugler soi-même.

Que l'on considère l'état du peuple juif et devant et après la venue de JÉSUS-CHRIST, son état florissant avant la venue du Sauveur, et son état plein de misères depuis qu'ils l'ont rejeté car ils sont encore aujourd'hui sans aucune marque de religion, sans temple, sans sacrifices, dispersés par toute la terre, le mépris et le rebut de toutes les nations.

Que l'on considère la perpétuité de la religion chrétienne, qui a toujours subsisté depuis le commencement du monde, soit dans les saints de l'Ancien Testament, qui ont vécu dans l'attente de JÉSUS-CHRIST avant sa venue, soit dans ceux qui l'ont reçu et qui ont cru en lui depuis sa venue au lieu que

nulle autre religion n'a la perpétuité, qui est la principale marque de la véritable.

Enfin, que l'on considère la sainteté de cette religion, sa doctrine, qui rend raison de tout, jusques aux contrariétés qui se rencontrent dans l'homme, et toutes les autres choses singulières, surnaturelles et divines qui y éclatent de toutes parts.

Et qu'on juge, après tout cela, s'il est possible de douter que la religion chrétienne soit la seule véritable, et si jamais aucune autre a rien eu qui en approchât1.

ARTICLE IV.

VÉRITARLE RELIGION PROUVÉE PAR LES CONTRARIÉTÉS QUI SONT DANS L'HOMME, ET PAR LE PÉCHÉ ORIGINEL.

I.

Les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne et qu'il y a quelque grand principe de grandeur en l'homme, et qu'il y a un grand principe de misère. Il faut donc qu'elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés.

S'il y a un seul principe de tout, une seule fin de tout: tout par lui, tout pour lui. Il faut donc que la vraie religion nous enseigne à n'adorer que lui et à n'aimer que lui. Mais comme nous nous trouvons dans l'impuissance d'adorer ce que nous ne connaissons pas, et d'aimer autre chose que nous, il faut que la religion, qui instruit de ces devoirs, nous instruise aussi de ces impuissances, et qu'elle nous apprenne aussi les remèdes.

Il faut que, pour rendre l'homme heureux, elle lui montre qu'il y a un Dieu; qu'on est obligé de l'aimer; que notre vraie félicité est d'être en lui, et notre unique

1 Ce paragraphe XIII n'est point dans les manuscrits originaux. Il fut publié pour la première fois en 1678. Bien qu'on n'y reconnaisse pas la style de Pascal, je n'ai pas cru devoir le supprimer. (LEF......)

mal d'être séparé de lui; qu'elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l'aimer; et qu'ainsi nos devoirs nous obligeant d'aimer Dieu, et nos concupiscences nous en détournant, nous sommes pleins d'injustice. Il faut qu'elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien; il faut qu'elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances, et les moyens d'obtenir ces remèdes. Qu'on examine sur cela toutes les religions du monde, et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.

Sera-ce les philosophes, qui nous proposent pour tout bien les biens qui sont en nous? Est-ce là le vrai bien? Ont-ils trouvé le remède à nos maux? Est-ce avoir guéri la présomption de l'homme, que de l'avoir mis à l'égal de Dieu? Ceux qui nous ont égalés aux bêtes, et les mahométans qui nous ont donné les plaisirs de la terre pour tout bien, même dans l'éternité, ont-ils apporté le remède à nos concupiscences? Levez vos yeux vers Dieu, disent les uns; voyez celui auquel vous ressemblez, et qui vous a fait pour l'adorer; vous pouvez vous rendre semblable à lui; la sagesse vous y égalera, si vous voulez la suivre. Et les autres disent: Baissez vos yeux vers la terre, chétif ver que vous êtes, et regardez les bêtes dont vous êtes le compagnon.

Que deviendra donc l'homme? Sera-t-il égal à Dieu ou aux bêtes? Quelle effroyable distance! Que seronsnous done? Qui ne voit par tout cela que l'homme est égaré, qu'il est tombé de sa place, qu'il la cherche avec inquiétude, qu'il ne la peut plus retrouver? Et qui l'y adressera donc? Les plus grands hommes ne l'ont pu. Quelle religion nous enseignera donc à guérir l'orgueil et la concupiscence? Quelle religion enfin nous enseignera notre bien, nos devoirs, les faiblesses qui

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