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coutume et en ne lui permettant pas de s'incliner au contraire'.

III.

Je sens que je peux n'avoir point été, car le moi consiste dans ma pensée; donc moi qui pense n'aurait point été, si ma mère eût été tuée avant que j'eusse été animé. Donc je ne suis pas un être nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel, ni infini; mais je vois bien qu'il y a dans la nature un être nécessaire, éternel et infini.

ARTICLE III.

MARQUE DE LA VÉRITABLE RELIGION.

1.

La vraie religion doit avoir pour marque d'obliger à aimer son Dieu. Cela est bien juste. Et cependant aucune autre que la nôtre ne l'a ordonné; la nôtre l'a fait. Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l'impuissance; la nôtre l'a fait. Elle doit y avoir apporté les remèdes, l'un est la prière. Nulle [autre ] religion n'a demandé à Dieu de l'aimer et de le suivre.

11.

La vraie nature de l'homme, son vrai bien et la vraie vertu et la vraie religion sont choses dont la connaissance est inséparable.

III.

Après avoir entendu toute la nature de l'homme, il faut, pour qu'une religion soit vraie, qu'elle ait connu

1

Cette méthode d'agir sur l'esprit par l'automate, c'est-à-dire d'arriver à la foi par les pratiques extérieures, n'est pas nouvelle, et se trouve recommandée par les maîtres de la théologie morale. Suivant nous, c'est ce que Pascal appelle ailleurs préparer la machine. (Note de M. Faugère.)

notre nature; elle doit avoir connu la grandeur et la petitesse, et la raison de l'une et de l'autre. Qui l'a connue que la chrétienne?

IV.

Les autres religions, comme les païennes, sont plus populaires, car elles sont en extérieur mais elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement intellectuelle serait plus proportionnée aux habiles; mais elle ne servirait pas au peuple. La seule religion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée d'extérieur et d'intérieur. Elle élève le peuple à l'intérieur et abaisse les superbes à l'extérieur, et n'est pas parfaite sans les deux : car il faut que le peuple entende l'esprit de la lettre, et que les habiles soumettent leur esprit à la lettre.

V.

Nulle autre religion n'a proposé de se haïr. Nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui se haïssent et qui cherchent un être véritablement aimable. Et ceux-là, s'ils n'avaient jamais ouï parler de la religion d'un Dieu humilié, l'embrasseraient incontinent. Nulle autre n'a connu que l'homme est la plus excellente créature, [et en même temps la plus misérable]. Les uns, qui ont bien connu la réalité de son excellence, ont pris pour lâcheté et pour ingratitude les sentiments bas que les hommes ont naturellement d'eux-mêmes; et les autres, qui ont bien connu combien cette bassesse est effective, ont traité d'une superbe ' ridicule ces sentiments de grandeur, qui sont aussi naturels à l'homme. Nulle religion que la nôtre n'a enseigné que l'homme naît en péché; nulle secte de philosophe ne l'a dit; nulle n'a donc dit vrai.

1 Orgueil.

PASCAL.

VI.

S'il n'y avait qu'une religion, Dieu y serait bien manifeste. S'il n'y avait des martyrs qu'en notre religion, de même.

VII.

Dieu étant caché, toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n'est pas véritable; et toute religion qui n'en rend pas la raison n'est pas instruisante. La nôtre fait tout cela Vere tu es Deus absconditus.

Cette religion, qui consiste à croire que l'homme est déchu d'un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d'éloignement de Dieu, mais qu'après cette vie nous serons rétablis par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé, ét celle-là a subsisté pour laquelle sont toutes les choses.

Les hommes, dans le premier âge du monde, ont été emportés dans toutes sortes de désordres; et il y avait cependant des saints, comme Énoch, Lamech, et d'autres, qui attendaient en patience le CHRIST promis dès le commencement du monde. Noé a vu la malice des hommes au plus haut degré, et il a mérité de sauver le monde en sa personne par l'espérance du Messie, dont il a été la figure. Abraham était environné d'idolâtres, quand Dieu lui a fait connaître le mystère du Messie, qu'il a salué de loin. Au temps d'Isaac et de Jacob, l'abomination était répandue sur toute la terre; mais ces saints vivaient en la foi; et Jacob mourant, et bénissant ses enfants, s'écrie, par un transport qui lui fait interrompre son discours: J'attends, & mon Dieu! le Sauveur que vous avez promis: Salutare tuum expectabo, Domine, (Genèse, 49, 18.)

Les Égyptiens étaient infectés et d'idolatrie et de magie; le peuple de Dieu même était entraîné par leurs

exemples. Mais cependant Moïse et d'autres croyaient celui qu'ils ne voyaient pas, et l'adoraient en regardant aux dons éternels qu'il leur préparait.

Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses déités; les poëtes ont fait cent diverses théologies; les philosophes se sont séparés en mille sectes différentes et cependant il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis, qui prédisaient la venue de ce Messie qui n'était connu que d'eux.

Il est venu enfin en la consommation des temps et depuis on a vu naître tant de schismes et d'hérésies, tant renverser d'États, tant de changements en toutes choses; et cette Église qui adore celui qui a toujours été adoré, a subsisté sans interruption. Et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, est que cette religion, qui a toujours duré, a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d'une destruction universelle; et toutes les fois qu'elle a été en cet état, Dieu l'a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. C'est ce qui est étonnant, et qu'elle s'est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans.

Les États périraient, si on ne faisait ployer souvent les lois à la nécessité. Mais jamais la religion n'a souffert cela et n'en a usé. Aussi il faut ces accommodements, ou des miracles. Il n'est pas étrange qu'on se conserve en ployant, et ce n'est pas proprement se maintenir; et encore périssent-ils enfin entièrement : il n'y en a point qui ait duré quinze cents ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible, cela est divin.

VIII.

Le Messie a toujours été cru. La tradition d'Adam était encore nouvelle en Noé et en Moïse. Les prophètes l'ont prédit depuis, en prédisant toujours d'autres choses dont les événements, qui arrivaient de temps en temps à la

vue des hommes, marquaient la vérité de leur mission, et par conséquent celle de leurs promesses touchant le Messie. JÉSUS-CHRIST a fait des miracles, et les apôtres aussi qui ont converti tous les païens; et par là toutes les prophéties étant accomplies, le Messie est prouvé pour jamais.

ΙΧ.

Je vois plusieurs religions contraires, et partant toutes fausses, excepté une. Chacune veut être crue par sa propre autorité, et menace les incrédules. Je ne les crois donc pas là-dessus; chacun peut dire cela, chacun peut se dire prophète. Mais je vois la chrétienne où je trouve des prophéties; et c'est ce que chacun ne peut pas faire.

X.

La seule religion contraire à la nature en l'état qu'elle est, qui combat tous nos plaisirs, et qui paraît d'abord contraire au sens commun, est la seule qui ait toujours été.

XI.

Toute la conduite des choses doit avoir pour objet l'établissement et la grandeur de la religion; les hommes doivent avoir en eux-mêmes des sentiments conformes à ce qu'elle nous enseigne: et enfin elle doit être tellement l'objet et le centre où toutes choses tendent, que qui en saura les principes puisse rendre raison et de toute la nature de l'homme en particulier, et de toute la conduite du monde en général.

Et sur ce fondement ils [les impies] prennent lieu de blasphémer la religion chrétienne, parce qu'ils la connaissent mal. Ils s'imaginent qu'elle consiste simplement en l'adoration d'un Dieu considéré comme grand, et puissant, et éternel: ce qui est proprement le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l'athéisme, qui y est tout à fait contraire. Et de là ils con

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