Page images
PDF
EPUB

* continuelle de la mort. N'est-ce pas ainsi que les chrétiens de<< vraient passer la vie? Et n'est-ce pas un grand bonheur quand on se « trouve par nécessité dans l'état où l'on est obligé d'être, et qu'on << n'a autre chose à faire qu'à se soumettre humblement et paisi<blement? C'est pourquoi je ne demande autre chose que de prier « Dieu qu'il me fasse cette grâce. >> Voilà dans quel esprit il endurait tous ses maux.

Il souhaitait beaucoup de communier; mais les médecins s'y opposaient, disant qu'il ne le pouvait faire à jeun, à moins que de le faire la nuit; ce qu'il ne trouvait pas à propos de faire sans nécessité, et que pour communier en viatique il fallait être en danger de mort; ce qui ne se trouvant pas en lui, ils ne pouvaient pas lui donner ce conseil. Cette résistance le fâchait; mais il était contraint d'y céder. Cependant sa colique continuant toujours, on lui ordonna de boire des eaux, qui en effet le soulagèrent beaucoup : mais au sixième jour de sa boisson, qui était le quatorzième d'août, il sentit un grand étourdissement avec une grande douleur de tête; et quoique les médecins ne s'étonnassent pas de cela, et qu'ils l'assurassent que ce n'était que la vapeur des eaux, il ne laissa pas de se confesser, et il demanda avec des instances incroyables qu'on le fit communier, et qu'au nom de Dieu on trouvât moyen de remédier à tous les inconvénients qu'on lui avait allégués jusque alors; et il pressa tant pour cela, qu'une personne qui se trouva présente lui reprocha qu'il avait de l'inquiétude, et qu'il devait se rendre au sentiment de ses amis; qu'il se portait mieux, et qu'il n'avait presque plus de colique, et que, ne lui restant plus qu'une vapeur d'eau, il n'était pas juste qu'il se fit porter le Saint-Sacrement; qu'il valait mieux différer, pour faire cette action à l'église. Il répondit à cela : « On ne sent pas mon mal, et on y sera trompé: ma douleur « de tête a quelque chose de fort extraordinaire. » Néanmoins, voyant une si grande opposition à son désir, il n'osa plus en parler; mais il dit : « Puisqu'on ne me veut pas accorder cette grâce, j'y << voudrais bien suppléer par quelque bonne œuvre, et, ne pouvant « pas communier dans le chef, je voudrais bien communier dans

« ses membres; et pour cela j'ai pensé d'avoir céans un pauvre « malade à qui on rende les mêmes services comme à moi, qu'on ⚫ prenne une garde exprès, et enfin qu'il n'y ait aucune différence • de lui à moi, afin que j'aie cette consolation de savoir qu'il y a un • pauvre aussi bien traité que moi, dans la confusion que je souffre « de me voir dans la grande abondance de toutes choses où je me vois. Car quand je pense qu'au même temps que je suis si bien, il y a une infinité de pauvres qui sont plus malades que moi, et « qui manquent des choses les plus nécessaires, cela me fait une « peine que je ne puis supporter; et ainsi je vous prie de demander « un malade à M. le curé, pour le dessein que j'ai. »

[ocr errors]

J'envoyai à M. le curé à l'heure même, qui manda qu'il n'y en avait point qui fût en état d'être transporté; mais qu'il lui donnerait, aussitôt qu'il serait guéri, un moyen d'exercer la charité, en se chargeant d'un vieux homme dont il prendrait soin le reste de sa vie: car M. le curé ne doutait pas alors qu'il ne dût guérir.

Comme il vit qu'il ne pouvait pas avoir un pauvre en sa maison avec lui, il me pria donc de lui faire cette grâce de le faire porter aux Incurables, parce qu'il avait grand désir de mourir en la compagnie des pauvres. Je lui dis que les médecins ne trouvaient pas à propos de le transporter en l'état où il était, ce qui le fâcha beaucoup; il me fit promettre que, s'il avait un peu de relâche, je lui donnerais cette satisfaction.

Cependant cette douleur de tête augmentant, il la souffrait toujours comme tous les autres maux, c'est-à-dire sans se plaindre, et une fois, dans le plus fort de sa douleur, le dix-septième d'août, il me pria de faire une consultation; mais il entra en même temps en scrupule, et me dit : « Je crains qu'il n'y ait trop de recherche dans « cette demande. » Je ne laissai pourtant pas de la faire; et les médecins lui ordonnèrent de boire du petit-lait, lui assurant toujours qu'il n'y avait nul danger; et que ce n'était que la migraine mêlée avec la vapeur des eaux. Néanmoins, quoi qu'ils pussent dire, il ne les crut jamais, et me pria d'avoir un ecclésiastique pour passer la nuit auprès de lui; et moi-même je le trouvai si mal, que je donnai

ordre, sans en rien dire, d'apporter des cierges et tout ce qu'il fallait pour le faire communier le lendemain matin.

Ces apprêts ne furent pas inutiles; mais ils servirent plus tôt que nous n'avions pensé; car, à environ minuit, il lui prit une convulsion si violente, que, quand elle fut passée, nous crûmes qu'il était mort, et nous avions cet extrême déplaisir avec tous les autres, de le voir mourir sans le Saint-Sacrement, après l'avoir demandé si souvent avec tant d'instance. Mais Dieu, qui voulait récompenser un désir si fervent et si juste, suspendit comme par miracle cette convulsion, et lui rendit son jugement entier, comme dans sa parfaite santé; en sorte que M. le curé, entrant dans sa chambre avec le sacrement, lui cria : « Voici celui que vous avez tant désiré. » Ces paroles achevèrent de le réveiller; et comme M. le curé approcha pour lui donner la communion, il fit un effort, et il se leva seul à moitié, pour le recevoir avec plus de respect; et M. le curé l'ayant interrogé, suivant la coutume, sur les principaux mystères de la foi, il répondit distinctement : « Oui, monsieur, je crois tout cela de tout mon cœur. » Ensuite il reçut le saint viatique et l'extrême-onction avec des sentiments si tendres, qu'il en versait des larmes. Il répondit à tout, remercia M. le curé; et lorsqu'il le bénit avec le saint ciboire, il dit : « Que Dieu ne m'abandonne jamais! » Ce qui fut comme ses dernières paroles; car, après avoir fait son action de grâces, un moment après ses convulsions le reprirent, qui ne le quittèrent plus, et qui ne lui laissèrent pas un instant de liberté d'esprit; elles durèrent jusqu'à sa mort, qui fut vingt-quatre heures après, le dix-neuvième d'août mil six cent soixante-deux, à une heure du matin, âgé de trente-neuf ans et deux mois.

De ce que j'ai ouï dire par M. Pascal, mon oncle, non pas à moi, mais à des personnes de ses amis en ma présence. J'avais alors seize ans et demi'.

1o On me demande si je ne me repens pas d'avoir fait les Provinciales. Je réponds que, bien loin de m'en repentir, si j'avais à les faire présentement, je les ferais encore plus fortes.

2o On me demande pourquoi j'ai nommé les noms des auteurs où j'ai pris toutes les propositions abominables que j'y ai citées. Je réponds que, si j'étais dans une ville où il y eût douze fontaines, et que je susse certainement qu'il y en a une qui est empoisonnée, je serais obligé d'avertir tout le monde de n'aller point puiser de l'eau à cette fontaine; et comme on pourrait croire que c'est une pure imagination de ma part, je serais obligé de nommer celui qui l'a empoisonnée, plutôt que d'exposer toute une ville à s'empoi

sonner.

3o On me demande pourquoi j'ai employé un style agréable, railleur et divertissant. Je réponds que si j'avais écrit en style dogmatique, il n'y aurait eu que les savants qui l'auraient lu, et ceux-là n'en avaient pas besoin, en sachant autant que moi là-dessus : ainsi j'ai cru qu'il fallait écrire d'une manière propre à faire lire mes lettres par les femmes et les gens du monde, afin qu'ils connussent le danger de toutes ces maximes et de toutes ces propositions qui se répandaient alors partout, et auxquelles on se laissait facilement persuader.

4° On me demande si j'ai lu moi-même tous les livres que je cite. Je réponds que non : certainement il aurait fallu que j'eusse passé

Ce récit est de Marguerite Périer, née en 1646, morte en 1733, âgée de quatrevingt-sept ans. On le trouve dans le Recueil de Pièces pour servir à l'Histoire de Port-Royal; Utrecht, 1740, pages 272, 279-280, et dans le Mémoire de mademoiselle Périer sur sa famille, publié intégralement par M. Cousin dans le Bulletin du Bibliophile, novembre 1844.

ma vie à lire de très-mauvais livres; mais j'ai lu deux fois Escobar tout entier ; et pour les autres, je les ai fait lire par de mes amis; mais je n'en ai pas employé un seul passage sans l'avoir lu moimême dans le livre cité, et sans avoir examiné la matière sur laquelle il est avancé, et sans avoir lu ce qui précède et ce qui suit, pour ne point hasarder de citer une objection pour une réponse; ce qui aurait été reprochable et injuste.

M. Pascal parlait peu de science; cependant, quand l'occasion s'en présentait, il disait son' sentiment sur les choses dont on lui parlait. Par exemple, sur la philosophie de M. Descartes, il disait assez.co qu'il pensait; il était de son sentiment sur l'automate, et n'en était point sur la matière subtile, dont il se moquait fort; mais il ne pouvait souffrir sa manière d'expliquer la formation de toutes choses, et il disait trèssouvent :

Je ne puis pardonner à Descartes : il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu; mais il n'a pu s'empêcher de lui accorder une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement; après cela il n'a plus que faire de Dieu.

« PreviousContinue »