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quelque sinistres qu'ils nous paraissent, nous devons espérer que Dieu en tirera la source de notre joie si nous lui en remettons la conduite.

Nous connaissons des personnes de condition qui ont appréhendé des morts domestiques que Dieu a peut-être détournées à leur prière, qui ont été cause ou occasion de tant de misères, qu'il serait à souhaiter qu'ils n'eussent pas été exaucés.

L'homme est assurément trop infirme pour pouvoir juger sainement de la suite des choses futures.

Espérons donc en Dieu, et ne nous fatiguons pas par des prévoyances indiscrètes et téméraires.

Remettons-nous à Dieu pour la conduite de nos vies, et que le déplaisir ne soit pas dominant en nous.

Saint Augustin nous apprend qu'il y a dans chaque homme un serpent, une Ève et un Adam. Le serpent sont les sens et notre nature; l'Ève est l'appétit concupiscible, et l'Adam est la raison. La nature nous tente continuellement, l'appétit concupiscible désire souvent; mais le péché n'est pas achevé, si la raison ne consent.

Laissons donc agir ce serpent et cette Ève, si nous ne pouvons l'empêcher; mais prions Dieu que sa grâce fortifie tellement notre Adam qu'il demeure victorieux; et que JÉSUS-CHRIST en soit vainqueur, et qu'il règne éternellement en nous. Amen.

DE QUELQUES LETTRES A MELE DE ROANNEZ ‘.

Ire LETTRE,

1656.

.... Pour répondre à tous vos articles et bien écrire malgré mon peu de temps.

Je suis ravi de ce que vous goûtez le livre de M. de Laval, et les Méditations sur la grâce; j'en tire de grandes conséquences pour ce que je souhaite 2.

Je mande le détail de cette condamnation 3 qui vous avait effrayée; cela n'est rien du tout, Dieu merci, et c'est un miracle de ce qu'on n'y fait pas pis, puisque les ennemis de la vérité ont le pouvoir et la volonté de l'opprimer. Peut-être êtes-vous de celles qui méritent que Dieu ne l'abandonne pas et ne la retire pas de la terre, qui s'en est rendue si indigne, et il est assuré que vous servez à l'Église par vos prières, si l'Église vous a servi par les siennes. Car c'est l'Église qui mérite, avec JÉSUS-CHRIST, qui en est inséparable, la conversion de tous ceux qui ne sont pas dans la vérité; et ce sont ensuite ces personnes converties qui secourent la mère qui les a délivrées. Je loue de tout mon cœur le petit zèle que j'ai reconnu dans votre lettre pour l'union avec

le pape. Le corps n'est non plus vivant sans le chef, que

le chef sans le corps. Quiconque se sépare de l'un ou de

'On ne connaît rien des lettres de mademoiselle Roannez à Pascal, et l'on ne possède que quelques fragments de celles que Pascal lui adressa; la rigidité des copistes jansénistes n'a conservé de ces lettres queles passages qui pouvaient fournir matière à édification. (M. Faugère.)

2 Pascal souhaitait que mademoiselle de Roannez se fit religieuse.

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l'autre n'est plus du corps et n'appartient plus à JÉSUSCHRIST. Je ne sais s'il y a des personnes dans l'Église plus attachées à cette unité du corps que ceux que vous appelez nôtres. Nous savons que toutes les vertus, le martyre, les austérités et toutes les bonnes œuvres sont inutiles hors de l'Église et de la communion du chef de l'Église, qui est le pape.

Je ne me séparerai jamais de sa communion, au moins je prie Dieu de m'en faire la grâce; sans quoi je serais perdu pour jamais.

Je vous fais une espèce de profession de foi, et je ne sais pourquoi; mais je ne l'effacerai pas ni ne recommencerai pas.

M. Du Gas m'a parlé ce matin de votre lettre avec autant d'étonnement et de joie qu'on en peut avoir : il ne sait où vous avez pris ce qu'il m'a rapporté de vos paroles; il m'en a dit des choses surprenantes et qui ne me surprennent plus tant. Je commence à m'accoutumer à vous et à la grâce que Dieu vous fait, et néanmoins je vous avoue qu'elle m'est toujours nouvelle, comme elle est toujours nouvelle en effet.

Car c'est un flux continuel de grâces que l'Écriture compare à un fleuve et à la lumière que le soleil envoie incessamment hors de soi, et qui est toujours nouvelle; en sorte que s'il cessait un instant d'en envoyer, toute celle qu'on aurait reçue disparaîtrait et on resterait dans l'obscurité.

Il m'a dit qu'il avait commencé à vous répondre et qu'il le transcrirait pour le rendre plus lisible, et qu'en même temps il l'étendrait. Mais il vient de me l'envoyer avec un petit billet où il me mande qu'il n'a pu ni le transcrire ni l'étendre; cela me fait croire que cela sera mal écrit. Je suis témoin de son peu de loisir et du désir qu'il avait d'en avoir pour vous.

Je prends part à la joie que vous donnera l'affaire des religieuses, car je vois bien que vous vous intéressez pour l'Église : vous lui êtes bien obligée. Il y a seize cents ans qu'elle gémit pour vous. Il est temps de gémir pour elle et pour nous tout ensemble, et de lui donner tout ce qui nous reste de vie, puisque JÉSUS-CHRIST n'a pris la sienne que pour la perdre pour elle et pour

nous.

II LETTRE.

Octobre 1656.

Il me semble que vous prenez assez de part au miracle pour vous mander en particulier que la vérification en est achevée par l'Église comme vous le verrez par cette sentence de M. le grand-vicaire 1.

Il y a si peu de personnes à qui Dieu se fasse paraître par ces coups extraordinaires, qu'on doit bien profiter de ces occasions, puisqu'il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d'autant plus d'ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude.

Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n'y aurait point de mérite à le croire; et s'il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement et se découvre rarement à ceux qu'il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s'est retiré impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui nous le couvre jusques à l'Incarnation; et quand il a fallu qu'il ait paru, il s'est encore plus caché en se couvrant de l'humanité. Il était

? Cette sentence est du 22 octobre 1656.

bien plus reconnaissable quand il était invisible que non pas quand il s'est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu'il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu'à son dernier avénement, il a choisi d'y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l'Eucharistie. C'est ce sacrement que saint Jean appelle dans l'Apocalypse une manne cachée; et je crois qu'Isaïe le voyait en cet état, lorsqu'il dit en esprit de prophétie : Véritablement tu es un Dieu caché. C'est là le dernier secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles qui, comme dit saint Paul, ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l'ont connu à travers son humanité, et adorent JÉSUS-CHRIST Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c'est le propre des seuls catholiques : il n'y a que nous que Dieu éclaire jusque-là. On peut ajouter à ces considérations le secret de l'Esprit de Dieu caché encore dans l'Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique; et les Juifs s'arrêtant à l'un ne pensent pas seulement qu'il y en ait un autre et ne songent pas à le chercher, de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu'il y en ait un autre auteur; et, comme les Juifs, voyant un homme parfait en JÉSUS-CHRIST, n'ont pas pensé à y chercher une autre nature. Nous n'avons pas pensé que ce fût lui, dit encore Isaïe; et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences parfaites du pain dans l'Eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les chrétiens doivent le reconnaître en tout. Les afflictions temporelles couvrent les biens éternels où elles condui

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