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nos actions purement humaines : la concupiscence fait les volontaires; la force, les involontaires.

LXVI.

Les platoniciens, et même Épictète et ses sectateurs, croient que Dieu est seul digne d'être aimé et admiré, et ont désiré d'être aimés et admirés des hommes; et ils ne connaissent pas leur corruption. S'ils se sentent pleins de sentiments à l'aimer et l'adorer, et qu'ils y trouvent leur joie principale, qu'ils s'estiment bons, à la bonne heure. Mais s'ils s'y trouvent répugnants, s'ils n'ont aucune pente qu'à se vouloir établir dans l'estime des hommes, et que pour toute perfection ils fassent seulement que, sans forcer les hommes, ils leur fassent trouver leur bonheur à les aimer, je dirai que cette perfection est horrible. Quoi! ils ont connu Dieu, et n'ont pas désiré uniquement que les hommes l'aimassent, mais que les hommes s'arrêtassent à eux! ils ont voulu être l'objet du bonheur volontaire des hommes !

LXVII.

Il est vrai qu'il y a de la peine en entrant dans la piété. Mais cette peine ne vient pas de la piété qui commence d'être en nous, mais de l'impiété qui y est encore. Si nos sens ne s'opposaient pas à la pénitence, et que notre corruption ne s'opposât pas à la pureté de Dieu, il n'y aurait en cela rien de pénible pour nous. Nous ne souffrons qu'à proportion que le vice qui nous est naturel résiste à la grâce surnaturelle. Notre cœur se sent déchiré entre ces efforts contraires. Mais il serait bien injuste d'imputer cette violence à Dieu, qui nous attire, au lieu de l'attribuer au monde, qui nous retient. C'est comme un enfant que sa mère arrache d'entre les bras des voleurs, et qui doit aimer dans la peine qu'il souffre la violence amoureuse et légitime de celle qui procure sa liberté, et ne détester que la violence

impétueuse et tyrannique de ceux qui le retiennent injustement. La plus cruelle guerre que Dieu puisse faire aux hommes, dans cette vie, est de les laisser sans cette guerre qu'il est venu apporter. Je suis venu apporter la guerre, dit-il; et pour instruire de cette guerre, je suis venu apporter le fer et le feu (MATTH., 10, 34; Luc, 12, 46). Avant lui, le monde vivait dans une fausse paix. LXVIII. Sur les confessions et absolutions sans marque

de regret.

Dieu ne regarde que l'intérieur : l'Église ne juge que par l'extérieur. Dieu absout aussitôt qu'il voit la pénitence dans le cœur; l'Église, quand elle la voit dans les œuvres. Dieu fera une Église pure au dedans, qui confonde par sa sainteté intérieure et toute spirituelle l'impiété intérieure des sages superbes et des pharisiens; et l'Église fera une assemblée d'hommes dont les mœurs extérieures sont si pures, qu'elles confondent les mœurs des païens. S'il y a des hypocrites, mais si bien déguisés qu'elle n'en reconnaisse pas le venin, elle les souffre; car, encore qu'ils ne soient pas reçus de Dieu qu'ils ne peuvent tromper, ils le sont des hommes qu'ils trompent. Et ainsi elle n'est pas déshonorée par leur conduite, qui paraît sainte.

Mais vous voulez que l'Église ne juge ni de l'intérieur, parce que cela n'appartient qu'à Dieu, ni de l'extérieur, parce que Dieu ne s'arrête qu'à l'intérieur; et ainsi, lui ôtant tout choix des hommes, vous retenez dans l'Église les plus débordés et ceux qui la déshonorent si fort, que les synagogues des Juifs et les sectes des philosophes les auraient exilés comme indignes, et les auraient abhorrés comme impies.

LXIX.

La loi n'a pas détruit la nature, mais elle l'a instruite : la grâce n'a pas détruit la loi, mais elle l'a fait exercer.

On se fait une idole de la vérité même : car la vérité, hors de la charité, n'est pas Dieu : elle est son image, et une idole qu'il ne faut point aimer ni adorer; et encore moins faut-il aimer ou adorer son contraire, qui est le mensonge.

LXX.

Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chrétienne; mais entre tous ceux que le monde a inventés, il n'y en a point qui soit plus à craindre que la comédie. C'est une représentation si naturelle et si délicate des passions, qu'elle les émeut et les fait naître dans notre cœur, et surtout celle de l'amour, principalement lorsqu'on le représente fort chaste et fort honnête. Car plus il paraît innocent aux âmes innocentes, plus elles sont capables d'en être touchées. Sa violence plaît à notre amour-propre, qui forme aussitôt un désir de causer les mêmes effets que l'on voit si bien représentés; et l'on se fait en même temps une conscience fondée sur l'honnêteté des sentiments qu'on y voit, qui éteint la crainte des âmes pures, lesquelles s'imaginent que ce n'est pas blesser la pureté, d'aimer d'un amour qui leur semble si sage. Ainsi l'on s'en va de la comédie le cœur si rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l'amour, l'âme et l'esprit si persuadés de son innocence, qu'on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à chercher l'occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu'un, pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l'on a vus si bien dépeints dans la comédie.

LXXI.

Les opinions relâchées plaisent tant aux hommes, qu'il est étrange que les leurs1 déplaisent. C'est qu'ils

Les opinions des jésuites.

ont excédé toute borne. Et, de plus, il y a bien des gens qui voient le vrai, et qui n'y peuvent atteindre. Mais il y en a peu qui ne sachent que la pureté de la religion est contraire à nos corruptions. Ridicule de dire qu'une récompense éternelle est offerte à des mœurs escobartines.

Les conditions les plus aisées à vivre selon le monde sont les plus difficiles à vivre selon Dieu; et, au contraire, rien n'est si difficile, selon le monde, que la vie religieuse; rien n'est plus facile que de la passer selon Dieu rien n'est plus aisé que d'être dans une grande charge et dans de grands biens selon le monde; rien n'est plus difficile que d'y vivre selon Dieu, et sans y prendre de part et de goût.

:

LXXII.

J'ai craint que je n'eusse mal écrit, me voyant condamné; mais l'exemple de tant de pieux écrits me fait croire au contraire. Il n'est plus permis de bien écrire. Tant l'inquisition est corrompue ou ignorante.

Il est meilleur d'obéir à Dieu qu'aux hommes. Je ne crains rien, je n'espère rien; les évêques ne sont pas ainsi. Le Port-Royal craint, et c'est une mauvaise politique de les séparer; car ils ne craindront plus et se feront plus craindre.

Le silence est la plus grande persécution. Jamais les saints ne se sont tus. Il est vrai qu'il faut vocation; mais ce n'est pas des arrêts du conseil qu'il faut арprendre si l'on est appelé; c'est de la nécessité de parler.

Si mes Lettres sont condamnées à Rome, ce que j'y condamne est condamné dans le ciel.

L'Inquisition et la Société, les deux fléaux de la vérité.

LXXIII.

La nature a des perfections, pour montrer qu'elle est

PASCAL.

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l'image de Dieu; et des défauts, pour montrer qu'elle n'en est que l'image.

LXXIV.

Otez la probabilité, on ne peut plus plaire au monde : mettez la probabilité, on ne peut plus lui déplaire.

LXXV.

L'ardeur des saints à rechercher et pratiquer le bien était inutile, si la probabilité est sûre.

LXXVI.

Pour faire d'un homme un saint, il faut bien que ce soit la grâce; et qui en doute, ne sait ce que c'est que saint et qu'homme.

LXXVII.

On aime la sûreté. On aime que le pape soit infaillible en la foi, et que les docteurs graves le soient dans les mœurs, afin d'avoir son assurance.

LXXVIII.

Il ne faut pas juger de ce qu'est le pape par quelques paroles des Pères, comme disaient les Grecs dans un concile, règle importante, mais par les actions de l'Église et des Pères, et par les canons.

LXXIX.

La manière dont l'Église a subsisté est que la vérité a été sans contestation; ou, si elle a été contestée, il y a eu le pape, et sinon il y a eu l'Église.

Le pape est premier. Quel autre est connu de tous? Quel autre est reconnu de tous? ayant pouvoir d'insinuer dans tout le corps, parce qu'il tient la maîtresse branche qui s'insinue partout?

LXXX.

Il y a hérésie à expliquer toujours omnes de tous, et hérésie à ne le pas expliquer quelquefois de tous. Bibite ex hoc omnes : les huguenots, hérétiques, en

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