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soit contraire d'être misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours, malgré sa misère.

[Mais n'ont-ils pas été presque au même état au temps de la captivité ? Non. Le sceptre ne fut point interrompu par la captivité de Babylone, à cause que le retour était promis et prédit]. Quand Nabuchodonosor emmena le peuple, de peur qu'on ne crût que le sceptre fût ôté de Juda, il leur fut dit auparavant qu'ils y seraient peu, et qu'ils seraient rétablis. Ils furent toujours consolés par les prophètes; leurs rois continuèrent. Mais la seconde destruction est sans promesse de rétablissement, sans prophètes, sans rois, sans consolation, sans espérance, parce que le sceptre est ôté pour jamais.

Ce n'est pas avoir été captif que de l'avoir été avec assurance d'être délivré dans soixante-dix ans. Mais maintenant ils le sont sans aucun espoir.

Dieu leur a promis qu'encore qu'il les dispersât aux bouts du monde, néanmoins s'ils étaient fidèles à la loi, il les rassemblerait. Ils y sont très-fidèles, et demeurent opprimés. [Il faut donc que le Messie soit venu, et que la loi qui contenait ces promesses soit finie par l'établissement d'une loi nouvelle.]

V.

Si les Juifs eussent été tous convertis par Jésus-CHRIST, nous n'aurions plus que des témoins suspects; et s'ils avaient été exterminés, nous n'en aurions point du tout.

Les Juifs le refusent, mais non pas tous. Les saints le reçoivent, et non les charnels. Et tant s'en faut que cela soit contre sa gloire, que c'est le dernier trait qui l'achève. La raison qu'ils en ont, et la seule qui se trouve dans leurs écrits, dans le Talmud et dans les rabbins, n'est que parce que JÉSUS-CHRIST n'a pas dompté les nations en main armée, gladium tuum, potentissime. N'ont-ils que cela à dire? JÉSUS-CHRIST a été tué, disent

ils; il a succombé; il n'a pas dompté les païens par sa force; il ne nous a pas donné leurs dépouilles; il ne donne point de richesses. N'ont-ils que cela à dire? C'est en cela qu'il m'est aimable. Je ne voudrais pas celui qu'ils se figurent.

VI.

Qu'il est beau de voir, par les yeux de la foi, Darius et Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompée et Hérode agir, sans le savoir, pour la gloire de l'Évangile!

VII.

La religion mahométane a pour fondement l'Alcoran et Mahomet. Mais ce prophète, qui devait être la dernière attente du monde, a-t-il été prédit? Et quelle marque a-t-il que n'ait aussi tout homme qui se voudra dire prophète? Quels miracles dit-il lui-même avoir faits? Quel mystère a-t-il enseigné, selon sa tradition même? Quelle morale et quelle félicité?

La religion juive doit être regardée différemment dans la tradition des livres saints et dans la tradition du peuple. La morale et la félicité en est ridicule, dans la tradition du peuple; mais elle est admirable dans celle de leurs saints. Le fondement en est admirable: c'est le plus ancien livre du monde et le plus authentique; et, au lieu que Mahomet pour faire subsister le sien a défendu de le lire, Moïse, pour faire subsister le sien, a ordonné à tout le monde de le lire.

Et toute religion est de même : car le christianisme est bien différent dans les livres saints et dans les casuistes.

Notre religion est si divine, qu'une autre religion divine n'en est que le fondement.

Mahomet [est] sans autorité. Il faudrait donc que ses raisons fussent bien puissantes, n'ayant que leur propre force. Que dit-il donc? Qu'il faut le croire.

VIII.

De deux personnes qui disent des sots contes, l'un qui a double sens, entendu dans la cabale, l'autre qui n'a qu'un sens; si quelqu'un, n'étant pas du secret, entend discourir les deux en cette sorte, il en fera même jugement. Mais si ensuite, dans le reste du discours, l'un dit des choses angéliques, et l'autre toujours des choses plates et communes, il jugera que l'un parlait avec mystère, et non pas l'autre ; l'un ayant assez montré qu'il est incapable de telles sottises, et capable d'être mystérieux; et l'autre, qu'il est incapable de mystère, et capable de sottises.

IX.

Ce n'est pas par ce qu'il y a d'obscur dans Mahomet, et qu'on peut faire passer pour avoir un sens mystérieux, que je veux qu'on en juge, mais par ce qu'il y a de clair, par son paradis, et par le reste. C'est en cela qu'il est ridicule. Et c'est pourquoi il n'est pas juste de prendre ses obscurités pour des mystères, vu que ses clartés sont ridicules. Il n'en est pas de même de l'Écriture. Je veux qu'il y ait des obscurités qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet; mais il y a des clartés admirables, et des prophéties manifestes accomplies. La partie n'est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l'obscurité, et non pas par la clarté, qui mérite qu'on révère les obscurités.

L'Alcoran dit que saint Matthieu était homme de bien. Donc Mahomet était faux prophète, ou en appelant gens de bien des méchants, ou en ne les croyant pas sur ce qu'ils ont dit de JÉSUS-CHRIST.

X.

Tout homme peut faire ce qu'a fait Mahomet: car il n'a point fait de miracles; il n'a point été prédit.

Nul homme ne peut faire ce qu'a fait JÉSUS-CHRIST. Mahomet [s'est établi] en tuant, JÉSUS-CHRIST en faisant tuer les siens; Mahomet en défendant de lire; les apôtres en ordonnant de lire. Qui rend témoignage de Mahomet? Lui-même. JÉSUS-CHRIST veut que son témoignage ne soit rien. Enfin cela est si contraire, que si Mahomet a pris la voie de réussir humainement, JÉSUSCHRIST a pris celle de périr humainement. Et au lieu de conclure que, puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ a bien pu réussir, il faut dire que, puisque Mahomet a réussi, le christianisme devait périr.

ARTICLE XII.

DESSEIN DE DIEU DE SE CACHER AUX UNS, ET DE SE DÉCOUVRIR AUX AUTRES.

I.

Dieu a voulu racheter les hommes, et ouvrir le salut à ceux qui le chercheraient. Mais les hommes s'en rendent si indignes, qu'il est juste que Dieu refuse à quelques-uns, à cause de leur endurcissement, ce qu'il accorde aux autres par une miséricorde qui ne leur est pas due. S'il eût voulu surmonter l'obstination des plus endurcis, il l'eût pu en se découvrant si manifestement à eux qu'ils n'eussent pu douter de la vérité de son essence, comme il paraîtra au dernier jour, avec un tel éclat de foudres et un tel renversement de la nature, que les morts ressuscités et les plus aveugles le verront.

Ce n'est pas en cette sorte qu'il a voulu paraître dans son avénement de douceur, parce que tant d'hommes se rendant indignes de sa clémence, il a voulu les laisser dans la privation du bien qu'ils ne veulent pas. Il n'était donc pas juste qu'il parût d'une manière mani

festement divine, et absolument capable de convaincre tous les hommes; mais il n'était pas juste aussi qu'il vint d'une manière si cachée qu'il ne pût être reconnu de ceux qui le chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connaissable à ceux-là; et ainsi, voulant paraître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il tempère sa connaissance, en sorte qu'il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent, et obscures à ceux qui ne le cherchent pas.

II.

Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir, et assez d'obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. Il y a assez de clarté pour éclairer les élus, et assez d'obscurité pour les humilier. Il y a assez d'obscurité pour aveugler les réprouvés, et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables.

Si le monde subsistait pour instruire l'homme [de l'existence] de Dieu, sa divinité reluirait de toutes parts d'une manière incontestable; mais comme il ne subsiste que par JÉSUS-CHRIST et pour JÉSUS-CHRIST, et pour instruire les hommes et de leur corruption et de leur rédemption, tout y éclate des preuves de ces deux vérités. Ce qui y paraît ne marque ni une exclusion totale, ni une présence manifeste de divinité, mais la présence d'un Dieu qui se cache: tout porte ce caractère.

S'il n'avait jamais rien paru de Dieu, cette privation éternelle serait équivoque, et pourrait aussi bien se rapporter à l'absence de toute divinité qu'à l'indignité où seraient les hommes de le connaître. Mais de ce qu'il paraît quelquefois et non pas toujours, cela ôte l'équivoque. S'il paraît une fois, il est toujours; et ainsi on n'en peut conclure, sinon qu'il y a un Dieu, et que les hommes en sont indignes.

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