Page images
PDF
EPUB

Egyptiens ne sont pas ennemis, mais les iniquités le sont. Ce mot d'ennemis est donc équivoque.

Mais s'il dit ailleurs, comme il fait, qu'il délivrera son peuple de ses péchés, aussi bien qu'Isaïe et les autres, l'équivoque est ôtée, et le sens double des ennemis réduit au sens simple d'iniquités : car s'il avait dans l'esprit les péchés, il les pouvait bien dénoter par ennemis; mais s'il pensait aux ennemis, il ne les pouvait pas désigner par iniquités.

Or, Moïse, et David, et Isaïe usaient des mêmes termes. Qui dira donc qu'ils n'avaient pas même sens, et que le sens de David, qui est manifestement d'iniquités lorsqu'il parlait d'ennemis, ne fût pas le même que [ celui de] Moïse en parlant d'ennemis?

Daniel, chap. 9, prie pour la délivrance du peuple de la captivité de leurs ennemis : mais il pensait aux péchés; et, pour le montrer, il dit que Gabriel lui vint dire qu'il était exaucé, et qu'il n'y avait plus que septante semaines à attendre, après quoi le peuple serait délivré d'iniquité, le péché prendrait fin, et le libérateur, le Saint des saints, amènerait la justice éternelle, non la légale, mais l'éternelle.

Dès qu'une fois on a ouvert ce secret, il est impossible de ne pas le voir. Qu'on lise le Vieil Testament en cette vue, et qu'on voie si les sacrifices étaient vrais, si la parenté d'Abraham était la vraie cause de l'amitié de Dieu, si la terre promise était le véritable lieu de repos? Non. Donc c'étaient des figures. Qu'on voie de même toutes les cérémonies ordonnées et tous les commandements qui ne sont pas pour la charité, on verra que c'en sont les figures.

Tous ces sacrifices et cérémonies étaient donc figures ou sottises. Or, il y a des choses claires trop hautes, pour les estimer des sottises.

ARTICLE IX.

DE JÉSUS-CHRIST.

I.

La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle.

Tout l'éclat des grandeurs n'a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l'esprit. La grandeur des gens d'esprit est invisible aux riches, aux rois, aux capitaines, à tous ces grands de chair. La grandeur de la Sagesse, qui n'est nulle part sinon en Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d'esprit. Ce sont trois ordres différant en genre.

Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire et leur lustre, et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles où elles n'ont pas de rapport. Ils sont vus non des yeux, mais des esprits; c'est assez. Les saints ont leur empire, leur éclat, leurs victoires, leur lustre, et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n'ont nul rapport, car elles n'y ajoutent ni ôtent. Ils sont vus de Dieu et des anges, et non des corps ni des esprits curieux: Dieu leur suffit.

Archimède, sans éclat, serait en même vénération. IĮ n'a pas donné des batailles pour les yeux, mais il a fourni à tous les esprits ses inventions. Oh! qu'il a éclaté aux esprits! JÉSUS-CHRIST, Sans bien et sans aucune production au dehors de science, est dans son ordre de sainteté. Il n'a point donné d'invention, il n'a point régné; mais il a été humble, patient, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Oh! qu'il

est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence aux yeux du cœur, et qui voient la Sagesse!

Il eût été inutile à Archimède de faire le prince dans ses livres de géométrie, quoiqu'il le fût. Il eût été inutile à Notre-Seigneur JÉSUS-CHRIST, pour éclater dans son règne de sainteté, de venir en roi : mais qu'il est bien venu avec l'éclat de son ordre!

Il est bien ridicule de se scandaliser de la bassesse de JÉSUS-CHRIST, comme si cette bassesse était du même ordre que la grandeur qu'il venait faire paraître. Qu'on considère cette grandeur-là dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort, dans l'élection des siens, dans leur abandon, dans sa secrète résurrection, et dans le reste; on la verra si grande, qu'on n'aura pas sujet de se scandaliser d'une bassesse qui n'y est pas. Mais il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles, comme s'il n'y en avait pas de spirituelles; et d'autres qui n'admirent que les spirituelles, comme s'il n'y en avait pas d'infiniment plus hautes dans la Sagesse.

Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits; car il connaît tout cela, et soi; et les corps, rien. Tous les corps ensemble, et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité; cela est d'un ordre infiniment plus élevé.

De tous les corps ensemble, on ne saurait en faire réussir une petite pensée; cela est impossible, et d'un autre ordre. De tous les corps et esprits on n'en saurait tirer un mouvement de vraie charité; cela est impossible, et d'un autre ordre, surnaturel.

II.

JÉSUS-CHRIST [a été ] dans une obscurité (selon ce que le monde appelle obscurité) telle, que les historiens,

n'écrivant que les importantes choses des États, l'ont à peine aperçu. Sur ce que Josèphe ni Tacite et les autres historiens n'ont point parlé de JÉSUS-CHRIST, tant s'en faut que cela fasse contre qu'au contraire cela fait pour; car il est certain que JÉSUS-CHRIST a été et que sa religion a fait grand bruit et que ces gens-là ne l'ignoraient pas; et qu'ainsi il est visible qu'ils ne l'ont célé qu'à dessein, ou qu'ils en ont parlé et qu'on l'a ou supprimé ou changé.

III.

Quel homme eut jamais plus d'éclat! Le peuple juif tout entier le prédit, avant sa venue. Le peuple gentil l'adore, après sa venue. Les deux peuples gentil et juif le regardent comme leur centre. Et cependant quel homme jouit jamais moins de tout cet éclat! De trentetrois ans, il en vit trente sans paraître. Dans trois ans, il passe pour un imposteur; les prêtres et les principaux le rejettent; ses amis et ses plus proches le méprisent. Enfin il meurt, trahi par un des siens, renié par l'autre, et abandonné par tous. Quelle part a-t-il donc à cet éclat? Jamais homme n'a eu tant d'éclat; jamais homme n'a eu plus d'ignominie. Tout cet éclat n'a servi qu'à nous, pour nous le rendre reconnaissable; et il n'en a rien eu pour lui.

IV.

JÉSUS-CHRIST a dit les choses grandes si simplement, qu'il semble qu'il ne les a pas pensées ; et si nettement néanmoins, qu'on voit bien ce qu'il en pensait. Cette clarté, jointe à cette naïveté, est admirable.

V.

Qui a appris aux évangélistes les qualités d'une âme parfaitement héroïque, pour la peindre si parfaitement en JÉSUS-CHRIST? Pourquoi le font-ils faible dans son agonie? Ne savent-ils pas peindre une mort constante? Oui, sans doute; car le même saint Luc peint celle de

saint Étienne plus forte que celle de JÉSUS-CHRIST. Ils le font donc capable de crainte avant que la nécessité de mourir soit arrivée, et ensuite tout fort. Mais quand ils le font si troublé, c'est quand il se trouble lui-même ; et quand les hommes le troublent, il est tout fort.

L'Église a eu autant de peine à montrer que JésusCHRIST était homme, contre ceux qui le niaient, qu'à montrer qu'il était Dieu; et les apparences étaient aussi grandes [ contre l'un que contre l'autre].

JÉSUS-CHRIST est un Dieu dont on s'approche sans orgueil, et sous lequel on s'abaisse sans désespoir.

VI.

La conversion des païens n'était réservée qu'à la grâce du Messie. Les Juifs ont été si longtemps à les combattre sans succès tout ce qu'en ont dit Salomon et les prophètes a été inutile. Les sages, comme Platon et Socrate, n'ont pu le persuader.

Les Évangiles ne parlent de la virginité de la Vierge que jusqu'à la naissance de JÉSUS-CHRIST : tout par rapport à JÉSUS-CHRIST.

Les deux Testaments regardent JÉSUS-CHRIST, l'ancien comme son attente, le nouveau comme son modèle, tous deux comme leur centre.

Les prophètes ont prédit, et n'ont pas été prédits. Les saints ensuite sont prédits, mais non prédisants. JÉSUSCHRIST est prédit et prédisant.

JÉSUS-CHRIST pour tous, Moïse pour un peuple.

Les Juifs bénis en Abraham: Je bénirai ceux qui te béniront. (Genèse, 12, 3.) Mais toutes nations bénies en sa semence. (Genèse, 18, 18.).

Lumen ad revelationem gentium. (Luc, 2, 52.)

Non fecit taliter omni nationi (Ps. 147, 20), disait David en parlant de la loi; mais en parlant de JÉSUSCHRIST, il faut dire : Fecit aliter omni nationi.

PASCAL.

« PreviousContinue »