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un enthousiasme, qui vous a fait expliquer les choses si pompeusement, que je ne crois pas les avoir entendues. Le soleil est au centre de l'univers, et là il est immobile; après lui, qu'est-ce qui suit? C'est mercure, répondis-je; il tourne autour du soleil, en sorte que leil est à peu près le centre du cercle que mercure décrit. Au-dessus de mercure et vénus 、 qui tourne de même autour du soleil. Ensuite vient la terre, qui, étant plus élevée que mercure et vénus, décrit autour du soleil un plus grand cercle que ces planètes. Enfin suivent mars, jupiter et saturne, selon l'ordre où je vous les nomme, et vous voyez bien que saturne doit décrire autour du soleil le plus grand cercle de tous; aussi emploie-t-il plus de temps qu'aucune autre planète à faire sa révolution. Et la lune, vous l'oubliez, interrompit-elle. Je la retrouverai bien, repris-je. La lune tourne autour de la terre, et ne l'abandonne point; mais comme la terre avance toujours dans le cercle qu'elle décrit autour du soleil, la lune la suit, en tournant autour d'elle; et si elle tourne autour du soleil, ce n'est que pour ne point quitter la terre.

Je vous entends, répondit-elle, et j'aime la lune de nous être restée lorsque toutes les autres planètes nous abandonnent. Avouez que si votre Allemand eût pu nous la faire pèrdre, il l'aurait fait volontiers; car je vois dans tout son procédé qu'il était bien mal intentionné pour la terre. Je lui sais bon gré, lui répliquaije, d'avoir rabattu la vanité des hommes, qui s'étaient mis à la plus belle place de l'univers,

et j'ai du plaisir à voir présentement la terre dans la foule des planètes. Bon! répondit-elle, croyez-vous que la vanité des hommes s'étende jusqu'à l'astronomie? Croyez-vous m'avoir humiliée pour m'avoir appris que la terre tourne autour du soleil ? Je vous jure que je ne m'en estime pas moins. Mon Dieu, Madame, repris-je, je sais bien qu'on sera moins jaloux du rang qu'on tient dans l'univers, que de celui qu'on croit devoir tenir dans une chambre, et que la préséance de deux planètes ne sera jamais une si grande affaire que celle de deux ambassadeurs. Cependant la même inclination qui fait qu'on veut avoir la place la plus honorable dans une cérémonie, fait qu'un philosophe, dans un système, se met au centre du monde, s'il peut. Il est bien aise que tout soit fait pour lui: il suppose peut-être, sans s'en apercevoir, ce principe qui le flatte, et son cœur ne laisse pas de s'intéresser à une affaire de pure spéculation. Franchement, répliquat-elle, c'est là une calomnie que vous avez inventée contre le genre humain. On n'aurait e donc jamais dû recevoir le système de Copernic, puisqu'il est si humiliant. Aussi, reprisje, Copernic lui-même se défiait-il fort du succès de son opinion. Il fut très-long-temps à ne ela la vouloir pas publier. Enfin il s'y résolut, à la prière de gens très-considérables; mais aussi, le jour qu'on lui apporta le premier exemplaire imprimé de son livre, savez-vous ce qu'il fit? il mourut. Il ne voulut point essuyer toutes les contradictions qu'il prévoyait, et se tira habilement d'affaire. Ecoutez, dit la Marquise, il

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faut rendre justice à tout le monde. Il est sûr qu'on a de la peine à s'imaginer qu'on tourne autour du soleil, car enfin on ne change point de place, et on se retrouve toujours le matin où l'on s'était couché le soir. Je vois, ce me semble, à votre air, que vous m'allez dire que comme la terre toute entière marche... Assurément, interrompis - je, c'est la même chose que si vous vous endormiez dans un bateau qui allât sur la rivière, vous vous retrouveriez à votre réveil dans la même place et dans la même situation à l'égard de toutes les ties du bateau. Oui; mais, répliqua-t-elle, voici une différence; je trouverais à mon réveil le rivage changé, et cela me ferait bien voir que mon bateau aurait changé de place. Mais il n'en va pas de même de la terre, j'y retrouve toutes choses comme je les avais laissées. Non pas, Madame, répondis-je, non pas; le rivage est changé aussi. Vous savez qu'au-delà de tous les cercles des planètes, sont les étoiles fixes; voilà notre rivage. Je suis sur la terre, et la terre décrit un grand cercle autour du soleil. Je regarde au centre de ce cercle, j'y vois le soleil. S'il n'effaçait point les étoiles, en poussant ma vue en ligne droite au-delà du leil, je le verrais nécessairement répondre à quelques étoiles fixes; mais je vois aisément pendant la nuit à quelles étoiles il a répondu le jour, et c'est exactement la même chose. Si la terre ne changeait point de place sur le cercle où elle est, je verrais toujours le soleil répondre aux mêmes étoiles fixes; mais dès que la terre change de place, il faut que je le voie

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répondre à d'autres étoiles. C'est là le rivage qui change tous les jours; et comme la terre fait son cercle en un an autour du soleil, je vois le soleil en l'espace d'une année répondre successivement à diverses étoiles fixes qui composent un cercle. Ce cercle s'appelle le zodiaque. Voulez-vous que je vous fasse ici une figure sur le sable? Non, répondit-elle, je m'en passerai bien, et puis cela donnerait à mon parc un air savant, que je ne veux pas qu'il ait. N'ai-je pas ouï dire qu'un philosophe qui fut jeté par un naufrage dans une île qu'il ne connaissait point, s'écria à ceux qui le suivaient, en voyant de certaines figures, des lignes et des cercles tracés sur le bord de la mer Courage, compagnons, l'ile est habitée, voici des pas d'hommes. Vous jugez bien qu'il ne m'appartient point de faire ces pas là, et qu'il ne faut pas qu'on en voie ici.

Il vaut mieux, en effet, répondis-je, qu'on n'y voie que des pas d'amans, c'est-à-dire, votre nom et vos chiffres, gravés sur l'écorce des arbres par la main de vos adorateurs. Laissons-la, je vous prie, les adorateurs, reprit-elle, et parlons du soleil. J'entends bien comment nous nous imaginons qu'il décrit le cercle que nous décrivons nous-mêmes; mais ce tour ne s'achève qu'en un an, et celui que le soleil fait tous les jours sur notre tête, comment se fait-il? Avez-vous remarqué, lui répondis-je, qu'une boule qui roulerait sur cette allée aurait deux mouvemens? Elle irait vers le bout de l'allée, et en même temps elle tournerait plusieurs fois sur elle-même, en

sorte que la partie de cette boule qui est en haut, descendrait en bas, et que celle d'en bas monterait en haut? La terre fait la même chose. Dans le temps qu'elle avance sur le cercle qu'elle décrit en un an autour du soleil, elle tourne sur elle-même en vingt-quatre heures; ainsi en vingt-quatre heures chaque partie de la terre perd le soleil, et le recouvre; et à mesure qu'en tournant on va vers le côté où est le soleil, il semble qu'il s'élève, et quand on commence à s'en éloigner, en continuant le tour, il semble qu'il s'abaisse. Cela est assez plaisant, dit-elle, la terre prend tout sur soi, et ce soleil ne fait rien. Et quand la lune et les autres planètes, et les étoiles fixes, paraissent faire un tour sur notre tête en vingt-quatre heures, c'est donc aussi une imagination? Imagination pure, repris-je, qui vient de la même cause. Les planètes font seulement leurs cercles autour du soleil en des temps inégaux, selon leurs distances inégales, et celle que nous voyons aujourd'hui répondre à un certain point du zodiaque, ou de ce cercle d'étoiles fixes, nous la voyons demain à la même heure répondre à un autre point, tant parce qu'elle a avancé sur son cercle, que parce que nous avons avancé sur le nôtre. Nous marchons, et les autres planètes marchent aussi, mais plus ou moins vite que nous; cela nous met dans différens points de vue à leur égard, et nous fait paraître dans leur cours, des bizarreries dont il n'est pas nécessaire que je vous parle. Il suffit que vous sachiez que ce qu'il y a d'irrégulier dans les planètes,

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