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cher sur les solives : « Attention, mes amis, un œuf! » Enfin, quand elle a bien caqueté, voletant à son nid, elle pond un œuf très ordinaire. » M. Crispi, qui depuis s'est calmé, avait tant de joie d'être. devenu président du conseil de S. M. le roi d'Italie qu'il a ressemblé quelque temps à ce chancelier Citzewitz. Il remplissait l'Europe de son aigre caquetage de poule, et, quoi qu'il méditât ou préparât, il criait à l'univers : « Attention! je ponds un œuf. »

M. DE BEUST

ET SES MÉMOIRES

C'est une curieuse destinée que celle du comte de Beust. Cet homme d'esprit, ce politique avisé et subtil, a éprouvé de cruelles déceptions et des joies inespérées, il a connu tour à tour la lune de miel et la lune de l'absinthe; aucun homme d'État n'a eu plus à se plaindre et plus à se louer de la fortune. Il avait été durant dix-sept ans le ministre dirigeant du royaume de Saxe; mais ce rôle honorable et modeste ne suffisait pas à son inquiète ambition. Il aspirait à devenir le chef de file de tous les États allemands de second ordre, à les discipliner, à les grouper autour de lui, à donner à cette ligue improvisée assez de cohésion pour qu'elle pût tenir la balance entre la Prusse et l'Autriche. Il fut réveillé de son rêve par le canon de Sadowa. Le vainqueur nourrissait contre lui de si âpres rancunes que le roi Jean, bien à regret, dut renoncer à ses services, se séparer à jamais de l'homme qui possédait son

affectueuse confiance. Il se voyait condamné à rentrer dans la vie privée; il s'occupait déjà, a-t-il dit, à chercher quelque moyen de vivre de sa plume, lorsque, au mois de septembre 1866, l'empereur François-Joseph le choisit pour son ministre des affaires étrangères, et peu de temps après, par un étonnant retour de fortune, ce Saxon, à bout de voie, devenait le chancelier du grand empire austro-hongrois.

Sa soudaine élévation fit beaucoup de mécontents, beaucoup de jaloux. Les uns disaient : « Il en a pour trois semaines ». Les autres s'écriaient : « Il a toujours eu la main malheureuse; il a enterré la Saxe, il a enterré la Confédération germanique, il va enterrer l'Autriche ». On se trompait. Celui qu'on traitait de personnage suffisant et bouffi, de Gerngross, d'homme d'État importé », étonna tout le monde par la merveilleuse facilité avec laquelle il entra dans son nouveau rôle, par la promptitude qu'il mit à accomplir sa mue, comme par ses heureuses inventions, par la souplesse de son esprit fertile en expédients. La nature l'avait doué, disaitil lui-même, d'une inépuisable provision de belle humeur, et c'était précisément d'un homme de belle humeur que l'Autriche, durement frappée, avait besoin pour se relever de ses désastres et prendre confiance dans son avenir. « Il se peut, disait-il un jour, que j'aie beaucoup d'ennemis dans cet empire; mais je puis affirmer qu'il n'y a dans cet empire personne dont je sois l'ennemi, ou plutôt je n'ai trouvé ici qu'un adversaire à qui je veuille du mal et que je sois résolu à combattre corps à corps,

parce que je le considère comme le plus grand ennemi de l'Autriche c'est le pessimisme, c'est notre goût funeste pour les réflexions amères, c'est le penchant fatal que nous avons à broyer du noir, à nous croire toujours menacés, à douter de notre avenir. Notre mélancolie politique nous procure de sombres plaisirs, et il semble vraiment que nous éprouvions un sentiment de malaise quand nous venons à découvrir que la cime des arbres est en repos et que les feuilles ne font entendre qu'un doux et léger bruissement. »

Cet homme de belle humeur était un libéral, moins par principes ou par tempérament que par calcul. On lui disait : « Ce qu'il faut à l'Autriche, c'est un despotisme éclairé ». Il répondait : « Le malheur est que le despotisme ne souffre pas qu'on l'éclaire ». - Il s'employa activement à donner à sa nouvelle patrie les institutions représentatives auxquelles son nom demeure attaché. Il ménagea un accord entre l'Autriche et la Hongrie, et les Hongrois crièrent : Eljen Beust! Il supprima le concordat, dont Pie IX disait que c'était une robe de femme qu'on pouvait, selon les cas, allonger ou raccourcir, mais qu'il n'était pas permis de la déchirer. Il la déchira pourtant, et Vienne lui fit des ovations. Comme ministre des affaires étrangères, il se montra vigilant, circonspect autant qu'ingénieux. Tout semblait prospérer par ses soins, et il put croire qu'il serait le Gortschakoff et le Bismarck de la maison de Lorraine, que ses honneurs ne lui seraient jamais ravis, qu'il finirait ses jours au Ballplatz.

Son bonheur ne se soutint pas jusqu'au bout. On

a prétendu que l'Autriche était le pays des invraisemblances. M. de Beust aimait mieux dire que c'est le pays des contradictions, et quelques ressources qu'il eût dans l'esprit, les contradictions, la lutte passionnée des partis et le conflit acharné des nationalités l'usèrent en peu d'années. Il était souple, il était habile, mais il n'avait pas cette autorité du caractère qui s'impose, et il est des situations où l'habileté ne suffit pas. Il se flattait cependant de triompher sans peine de toutes les difficultés. Depuis bien des mois, sa chute se préparait, et il ne s'en doutait pas. Le jour où, à son insu, le comte Hohenwart, avec qui il ne pouvait s'entendre, fut appelé à la présidence du cabinet cisleithan, M. de Beust aurait dû reconnaître qu'on désirait secrètement sa retraite. Il n'avait pas la fierté qui s'indigne, et il aimait trop le pouvoir pour le quitter avant que le pouvoir le quittât. Il espérait avec raison que le comte Hohenwart ne tiendrait pas longtemps; le comte Hohenwart tomba, mais M. de Beust ne jouit pas de sa victoire : peu de jours après, on lui annonçait que l'empereur devait se priver de ses services et le priait de lui offrir sa démission.

Il était pauvre, quelques grands financiers de Vienne lui proposèrent d'organiser en sa faveur une souscription nationale qui lui assurât le repos et la dignité de ses vieux jours, en lui permettant de vivre à son aise et dans l'indépendance. Il aima mieux accepter la consolation que lui offrait son auguste maître; il consentit à être successivement ambassadeur à Londres et à Paris, à devenir le subalterne après avoir été le chef, à exécuter les

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