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garde son timide et plus terrestre parfum; églantier de nos climats, venu avant l'oranger d'Italie 1.

Millevoye a jeté, sous le titre de Dizains et de Huitains, une certaine quantité d'épigrammes d'un tour heureux, d'une pensée fine ou tendre. Le huitain du Phénix et de la Colombe est pour le sentiment une petite élégie. Il a fait quelques épigrammes proprement dites, sans fiel; de ce nombre une épitaphe qui pourrait bien avoir trait à Suard. Ç'aurait été, au reste, sa seule inimitié littéraire, et elle ne paraît pas avoir été bien vive, pas plus vive que son objet.

Si Millevoye n'avait pas de passions littéraires, il en eut encore moins de politiques. Le bon M. Dumas, son biographe sous la Restauration, a essayé de faire de lui un pieux Français dévoué au trône légitime. Un autre biographe, après 1830 il est vrai, M. de Pongerville, a voulu nous le montrer comme un fidèle de l'Empire. Millevoye avait chanté l'un, et commençait à fêter l'autre. Il aimait la France, mais il n'avait, de bonne heure, ravi aucune des flammes de nos orages; le Dieu pour lui, comme dans l'Églogue, était le Dieu qui faisait des loisirs en tout, un poëte élégiaque.

Millevoye s'était marié dans son pays vers 1813; époux el père, sa vie semblait devoir se poser. Un jour qu'il avait à diner quelques amis à Épagnette, près d'Abbeville, une discussion s'engagea pour savoir si le clocher qu'on apercevait dans le lointain était celui du Pont-Remi ou de Long, deux prochains villages. Obéissant à l'une de ces promptes saillies comme il en avait, le poëte se leva de table à l'instant, et dit de seller son cheval pour faire lui-même cette reconnaissance, cette espèce de course au clocher. Mais à peine étaitil en route, que le cheval, qu'il n'avait pas monté depuis

1 Nous retrouvons ce rapport de Millevoye à Lamartine délicatement exprimé dans une page du roman de Madame de Mably, par M. Saint-Valry (t. I, 315). Il a de plus, par certaines de ses ballades ou romances, par sa dernière surtout, celle du Beffroi, donné le ton et la note aux premières de madame Desbordes-Valmore.

longtemps, le renversa. Il eut le col du fémur cassé, et le traitement, la fatigue qui s'ensuivit, déterminèrent la maladie de poitrine dont il mourut, le 12 août 1816. Il avait passé les six dernières semaines à Neuilly, et ne revint à Paris que tout à la fin; la veille de sa mort, il avait demandé et lu des pages de Fénelon.

Son souvenir est resté intéressant et cher; ce qui a suivi de brillant ne l'a pas effacé. Toutes les fois qu'on a à parler des derniers éclats harmonieux d'une voix puissante qui s'éteint, on rappelle le chant du cygne, a dit Buffon. Toutes les fois qu'on aura à parler des premiers accords doucement expirants, signal d'un chant plus mélodieux, et comme de la fauvette des bois ou du rouge-gorge au printemps avant le rossignol, le nom de Millevoye se présentera. Il est venu, il a fleuri aux premières brises; mais l'hiver recommençant l'a interrompu. Il a sa place assurée pourtant dans l'histoire de la poésie française, et sa Chute des Feuilles en marque un moment.

1er juin 1837.

DES SOIRÉES LITTÉRAIRES

OU

LES POETES ENTRE EUX.

Les soirées littéraires, dans lesquelles les poetes se réunissent pour se lire leurs vers et se faire part mutuellement de leurs plus fraiches prémices, ne sont pas du tout une singularité de notre temps. Cela s'est déjà passé de la sorte aux autres époques de civilisation raffinée; et du moment que la poésie, cessant d'être la voix naïve des races errantes, l'oracle. de la jeunesse des peuples, a formé un art ingénieux et difficile, dont un goût particulier, un tour délicat et senti, une inspiration mêlée d'étude, ont fait quelque chose d'entièrement distinct, il a été bien naturel et presque inévitable que les hommes voués à ce rare et précieux métier se recherchassent, voulussent s'essayer entre eux et se dédommager d'avance d'une popularité lointaine, désormais fort douteuse à obtenir, par une appréciation réciproque, attentive et complaisante. En Grèce, en cette patrie longtemps sacrée des Homérides, lorsque l'âge des vrais grands hommes et de la beauté sévère dans l'art se fut par degrés évanoui, et qu'on en vint aux mille caprices de la grâce et d'une originalité combinée d'imitation, les poëtes se rassemblèrent à l'envi. Fuyant ces brutales révolutions militaires qui bouleversaient la Grèce

après Alexandre, on les vit se blottir, en quelque sorte, sous l'aile pacifique des Ptolémées; et là ils fleurirent, ils brillèrent aux yeux les uns des autres ; ils se composèrent en pléiade. Et qu'on ne dise pas qu'il n'en sortit rien que de maniéré et de faux; le charmant Théocrite en était. A Rome, sous Auguste et ses successeurs, ce fut de même. Ovide avait à regretter, du fond de sa Scythie, bien des succès littéraires dont il était si vain, et auxquels il avait sacrifié peut-être les confidences indiscrètes d'où la disgrâce lui était venue. Stace, Silius, et ces mille et un1 auteurs et poëtes de Rome dont on peut demander les noms à Juvénal, se nourrissaient de lectures, de réunions, et les tièdes atmosphères des soirées d'alors, qui soutenaient quelques talents timides en danger de mourir, en faisaient pulluler un bon nombre de médiocres qui n'auraient pas dû naître. Au Moyen-Age, les troubadours nous offrent tous les avantages et les inconvénients de ces petites sociétés directement organisées pour la poésie : éclat précoce, facile efflorescence, ivresse gracieuse, et puis débilité, monotonie et fadeur. En Italie, dès le xive siècle, sous Pétrarque et Boccace, et, plus tard, au xvo, au xvi, les poëtes se réunirent encore dans des cercles à demi poétiques, à demi galants, et l'usage du sonnet, cet instrument si compliqué à la fois et si portatif, y devint habituel. Remarquons toutefois qu'au xive siècle, du temps de Pétrarque et de Boccace, à cette époque de grande et sérieuse renaissance, lorsqu'il s'agissait tout ensemble de retrouver l'antiquité et de fonder le moderne avenir littéraire, le but des rapprochements était haut, varié, le moyen indispensable, et le résultat heureux, tandis qu'au xvIe siècle il n'était plus question que d'une flatteuse récréation du cœur et de l'esprit, propice sans doute encore au développement de certaines imaginations

1 Cet article avait d'abord été écrit pour le Livre des Cent et Un. On y répondait indirectement et sans amertume à un article de la Camaraderie littéraire qui fit du bruit dans le temps, et que le très-spirituel auteur (M. de Latouche) me permettra de qualifier de partial et d'exagéré.

tendres et malades, comme celle du Tasse, mais touchant déjà de bien près aux abus des académies pédantes, à la corruption des Guarini et des Marini. Ce qui avait eu lieu en Italie se refléta par une imitation rapide dans toutes les autres littératures, en Espagne, en Angleterre, en France; partout des groupes de poëtes se formèrent, des écoles artificielles naquirent, et on complota entre soi pour des innovations chargées d'emprunts. En France, Ronsard, Du Bellay, Baïf, furent les chefs de cette ligue poétique, qui, bien qu'elle ait échoué dans son objet principal, a eu tant d'influence sur l'établissement de notre littérature classique. Les traditions de ce culte mutuel, de cet engouement idolâtre, de ces largesses d'admiration puisées dans un fonds d'enthousiasme et de candeur, se perpétuèrent jusqu'à mademoiselle de Scudery, et s'éteignirent à l'hôtel de Rambouillet. Le bon sens qui succéda, et qui, grâce aux poëtes de génie du xviie siècle, devint un des traits marquants et populaires de notre littérature, fit justice d'une mode si fatale au goût, ou du moins ne la laissa subsister que dans les rangs subalternes des rimeurs inconnus. Au XVIIIe siècle, la philosophie, en imprimant son cachet à tout, mit bon ordre à ces récidives de tendresse auxquelles les poëtes sont sujets si on les abandonne à eux-mêmes; elle confisqua d'ailleurs pour son propre compte toutes les activités, toutes les effervescences, et ne sut pas elle-même en séparer toutes les manies. En fait de ridicule, le pendant de l'hôtel de Rambouillet ou des poëtes à la suite de la Pléiade, ce serait au XVIIe siècle La Mettrie, d'Argens et Naigeon, le petit ouragan Naigeon, comme Diderot l'appelle, dans une débauche d'athéisme entre eux.

Pour être juste toutefois, n'oublions pas que cette époque fut le règne de ce qu'on appelait poésie légère, et que, depuis le quatrain du marquis de Sainte-Aulaire jusqu'à la Confession de Zulmé, il naquit une multitude de fadaises prodigieusement spirituelles, qui, avec les in-folios de l'Encyclopédie, faisaient l'ordinaire des toilettes et des soupers. Mais on ne

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