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térature de l'Empire, et dont était M. de Jouy, sut à peine le tin. M. Andrieux, qui n'eut jamais rien de commun avec Allemagne que d'être né dans la capitale alsacienne, et qui isait fi de tout ce qui était germanique, avait moins de réagnance pour la littérature anglaise, et il la posséda, comme vait fait Suard, par le côté d'Addison, de Pope, de Goldsmith, des moralistes ou poëtes du siècle de la reine Anne.

A partir de 1814, M. Andrieux professa au Collège de France, omme, depuis plusieurs années déjà, il professait à l'intérieur e l'École Polytechnique, et ses cours publics, fort suivis et ɔrt aimés de la jeunesse, devinrent son occupation favorite, on bonheur et toute sa vie. Nous serions peu à même d'en arler au long, les ayant trop inégalement entendus, et rien t'ailleurs n'en ayant été imprimé jusqu'ici. Mais ce qu'on peut Hire sans crainte d'erreur, c'est que M. Andrieux y déploya lans un cadre plus général les qualités précieuses de critique, le finesse délicate, de malice inoffensive et ingénieuse, qu'attestaient ses œuvres trop rares, et dont ses amis particuliers avaient joui. Sincèrement bonhomme, quoiqu'il affectât un peu cette ressemblance avec La Fontaine, fertile en anecdotes choisies et bien dites, causeur toujours écouté 1, moralisant beaucoup, et rajeunissant par le ton ou l'à-propos les vérités et les conseils qui, sur ses lèvres, n'étaient jamais vulgaires, M. Andrieux a fait, avec un talent qui pouvait sembler de médiocre haleine, ce que bien des talents plus forts ont trouvé trop long et trop lourd; il a fourni une carrière non interrompue de dix-huit années de professorat; et, comme il le disait lui-même à sa dernière leçon, il est mort presque sur la brèche.

Dans le professeur on retrouvait encore le conteur, l'auteur comique; il avait du bon comédien; il lisait en perfec

1 On sait le joli mot de M. Villemain à propos de cette voix faible de M. Andrieux, qui n'était qu'un filet et qu'un souffle: « Il se fait entendre à < force de se faire écouter. >

tion, avec un art infini, il jouait et dialoguait ses lectures. Avec son filet de voix, avec une mimique qui n'était qu'à lui, il tenait son auditoire en suspens, il excellait à mettre en scène et comme en action de petits préceptes, de jolis riens qui ne s'imprimeraient pas.

Dans les querelles littéraires qui s'étaient élevées durant les dernières années, l'opinion de M. Andrieux ne pouvait être douteuse; cette opinion lui était dictée par ses antécédents, ses souvenirs, la nature de son goût, les qualités qu'il avait, et aussi par l'absence de celles qu'il n'avait pas; mais sa bienveillance naturelle ne s'altérait jamais, même en s'aiguisant de malice; il embrassait peu les innovations, il raillait de sa voix fine les novateurs, mais comme il aurait raillé M. Poinsinet, en homme de grâce et d'urbanité; point de gros mot ni de tonnerre.

M. Andrieux est resté fidèle, toute sa vie, aux doctrines philosophiques et politiques de sa jeunesse. Il mêlait volontiers à son enseignement des préceptes évangéliques qui rappelaient la manière morale de Bernardin de Saint-Pierre : il prêchait l'amour des hommes et l'indulgence, comme il convenait à l'ami de Collin l'optimiste, du bon Ducis, et au peintre d'Helvétius. Politiquement, M. Andrieux a fait preuve d'une constante fermeté qui ne s'est jamais démentie, soit au fort de la Révolution où il se maintint pur d'excès, soit au sein du Tribunat où il lutta contre l'usurpation despotique et mérita d'être éliminé, soit enfin durant le cours entier de la Restauration; sa délicatesse un peu frêle et son aménité extrême furent toujours exemptes de transactions et de faiblesse sur ce chapitre du patriotisme et des principes de 891. En somme.

1 Il écrivait à M. Parent-Réal, son ancien collègue au Tribunat, le 20 novembre 1831: «Nous avons vu quarante ans de révolutions pensez-vous que << nous soyons à la fin ? Nous avons vu aussi tous les gouvernements qui se sont << succédé l'un après l'autre, être aveugles, égoïstes, dilapidateurs et insolents; << aussi tous sont-ils tombés.... interea patitur justus: la pauvre nation, vic<< time innocente, est livrée, comme Prométhée, au bec éternel des vautours

je fut un honorable caractère, et plus fort peut-être que son alent; mais ce talent lui-même était rare. M. Andrieux avait eçu un don peu abondant, mais distingué et précieux; il en 1 fait un sobre, un juste et long usage. Son nom restera dans a littérature française, tant qu'un sens net s'attachera au not de goût.

17 mai 1833.

es phrases contrarient en un point ce qu'a dit M. Thiers dans le discours, si adicieux d'ailleurs, qu'il prononça à l'Académie française, en venant y succéer à l'aimable auteur des Étourdis : « M. Andrieux est mort, content de laisser ses deux filles unies à deux hommes d'esprit et de bien, content de sa médiocre fortune, de sa grande considération, content de son siècle, content de voir la Révolution française triomphante sans désordres et sans excès. » I. Andrieux, à tort ou à raison, était moins optimiste que son spirituel panéyriste ne l'a cru.

M. JOUFFROY.

Il y a une génération qui, née tout à la fin du dernier siè cle, encore enfant ou trop jeune sous l'Empire, s'est émanci pée et a pris la robe virile au milieu des orages de 1814. 1815. Cette génération dont l'âge actuel est environ quarante ans, et dont la presque totalité lutta, sous la Restauration, contre l'ancien régime politique et religieux, occupe aujour d'hui les affaires, les Chambres, les Académies, les sommités du pouvoir ou de la science. La Révolution de 1830, à laquelle cette génération avait tant poussé par sa lutte des quinze années, s'est faite en grande partie pour elle, et a été le signal de son avénement. Le gros de la génération dont il s'agit constituait par un mélange d'idées voltairiennes, bonapartistes et semi-républicaines, ce qu'on appelait le libéralisme. Mais il y avait une élite qui, sortant de ce niveau de bon sens, de préjugés et de passions, s'inquiétait du fond des choses et du terme, aspirait à fonder, à achever avec quelque élément nouveau ce que nos pères n'avaient pu qu'entreprendre avec l'inexpérience des commencements. Dans l'appré ciation philosophique de l'homme, dans la vue des temps et de l'histoire, cette jeune élite éclairée se croyait, non sans apparence de raison, supérieure à ses adversaires d'abord,

t aussi à ses pères qui avaient défailli ou s'étaient rétrécis taigris à la tâche. Le plus philosophe et le plus réfléchi de ous, dans une de ces pages merveilleuses qui s'échappent rillamment du sein prophétique de la jeunesse et qui sont omme un programme idéal qu'on ne remplit jamais, — le lus calme, le plus lumineux esprit de cette élite écrivait en 8231: « Une génération nouvelle s'élève qui a pris naissance (au sein du scepticisme dans le temps où les deux partis avaient la parole. Elle a écouté et elle a compris... Et déjà ces enfants ont dépassé leurs pères et senti le vide de leurs doctrines. Une foi nouvelle s'est fait pressentir à eux : ils s'attachent à cette perspective ravissante avec enthou«siasme, avec conviction, avec résolution... Supérieurs à @tout ce qui les entoure, ils ne sauraient être dominés ni par le fanatisme renaissant, ni par l'égoïsme sans croyance «qui couvre la société... Ils ont le sentiment de leur mission « et l'intelligence de leur époque; ils comprennent ce que « leurs pères n'ont point compris, ce que leurs tyrans corrom«pus n'entendent pas; ils savent ce que c'est qu'une révo<«<lution, et ils le savent parce qu'ils sont venus à propos. »

Dans le morceau (Comment les Dogmes finissent) dont nous pourrions citer bien d'autres passages, dans ce manifeste le plus explicite et le plus général assurément qui ait formulé les espérances de la jeune élite persécutée, M. Jouffroy envisageait le dogme religieux, ce semble, encore plus que le dogme politique; il annonçait en termes expressifs la religion philosophique prochaine, et avec une ferveur d'accent qui ne s'est plus retrouvée que dans la tentative néo-chrétienne du saint-simonisme. Vers ce même temps de 1823, de mémorables travaux historiques, appliqués soit au Moyen-Age par M. Thierry, soit à l'époque moderne par M. Thiers, marquaient et justifiaient en plusieurs points ces prétentions de la génération nouvelle, qui visait à expliquer et à dominer le passé,

1 L'article, écrit en 1823, n'a été publié qu'en 1825, dans le Globe.

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