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laissé sans trouble à son rang, non loin de Piron, de Gre et de tant d'autres, qui certes le valaient bien.

Juin 1829.

sem

Cet article, dont le ton n'est pas celui des précédents ni des suivants, et l'auteur aujourd'hui désavoue entièrement l'amertume blessante, a été re duit ici comme pamphlet propre à donner idée du paroxysme littéraire de 1 Ajoutons seulement que, sans trop modifier le fond de notre jugement sur odes, qui n'est guère après tout que celui qu'a porté Vauvenargues (Je ne si Rousseau a surpassé Horace et Pindare dans ses odes: s'il les a surp sés, j'en conclus que l'ode est un mauvais genre, etc., etc.), il nous injuste et dur, en y réfléchissant, de ne pas prendre en considération ces tre dernières années de sa vie, où Rousseau montra jusqu'au bout de la consta et une honorable fermeté à ne pas vouloir rentrer dans sa patrie par grâce, s jugement et réhabilitation. Quels qu'aient été sa conduite secrète, ses nouvea tracas à l'étranger, sa brouille avec le prince Eugène, etc., etc., il deme digne à l'article du bannissement. Sa correspondance durant ce temps d'e avec Rollin, Racine fils, Brossette, M. de Chauvelin et le baron de Breteuil des parties qui recommandent son goût et qui tendent à relever son caractè Quelques-uns de ses vers religieux (en les supposant écrits depuis cette date tale) semblent même s'inspirer du sentiment énergique qu'il a de sa propre i nocence: «Mais de ces langues diffamantes Dieu saura venger l'innocent, etc et plusieurs semblables endroits. Il est fâcheux que, non content de protest pour lui, il ait persisté à incriminer les autres, comme Rollin le lui fit sentir jour (voir l'Éloge de Rollin par de Boze). A le juger impartialement, on conço que l'abbé d'Olivet et d'autres contemporains de mérite, sous l'influence et l'i lusion de l'amitié, aient pu dire, en parlant de lui, l'illustre malheureux. O doit désirer (sans toutefois en être bien certain) qu'ils aient plus raison qu Lenglet-Dufresnoy dans ses Pièces curieuses sur Rousseau.-Contradiction de jugements humains, même chez les plus compétents! la première fois que j'eu l'honneur d'être présenté à M. de Chateaubriand, il me reprit tout d'abord su cet article ; la première fois que j'eus l'honneur de voir M. Royer-Collard, tou d'abord il m'en félicita.

LE BRUN.

Vers l'époque où J.-B. Rousseau banni adressait à ses procteurs des odes composées au jour le jour, sans unité d'iniration, et que n'animait ni l'esprit du siècle nouveau ni lui du siècle passé, en 1729, à l'hôtel de Conti, naissait un des serviteurs du prince un poëte qui devait bientôt concrer aux idées d'avenir, à la philosophie, à la liberté, à la ture, une lyre incomplète, mais neuve et sonore, et que le nps ne brisera pas. C'est une remarque à faire qu'aux apoches des grandes crises politiques et au milieu des sotés en dissolution, sont souvent jetées d'avance, et comme r une ébauche anticipée, quelques âmes douées vivement s trois ou quatre idées qui ne tarderont pas à se dégager et i prévaudront dans l'ordre nouveau. Mais en même temps, ez ces individus de nature fortement originale, ces idées coces restent fixes, abstraites, isolées, déclamatoires. Si st dans l'art qu'elles se produisent et s'expriment, la forme sera nue, sèche et aride, comme tout ce qui vient avant la ison. Ces hommes auront grand mépris de leur siècle, de sa esquinerie, de sa corruption, de son mauvais goût. Ils pireront à quelque chose de mieux, au simple, au grand, vrai, et se dessécheront et s'aigriront à l'attendre; ils

voudront le tirer d'eux-mêmes; ils le demanderont à l'aver au passé, et se feront antiques pour se rajeunir; puis choses iront toujours, les temps s'accompliront, la soc mûrira, et lorsque éclatera la crise, elle les trouvera d vieux, usés, presque en cendres; elle en tirera des étincell et achèvera de les dévorer. Ils auront été malheureux, àcr moroses, peut-être violents et coupables. Il faudra les pla dre, et tenir compte, en les jugeant, de la nature des tem et de la leur. Ce sont des espèces de victimes publiques, Prométhées dont le foie est rongé par une fatalité intestir tout l'enfantement de la société retentit en eux, et les d chire; ils souffrent et meurent du mal dont l'humanité, C ne meurt pas, guérit, et dont elle sort régénérée. Tels furen ce me semble, au dernier siècle, Alfieri en Italie, et Le Bru en France.

Né dans un rang inférieur, sans fortune et à la charge d' grand seigneur, Le Brun dut se plier jeune aux nécessités sa condition. Il mérita vite la faveur du prince de Conti p des éloges entremêlés de conseils et de maximes philosoph ques. A la fois secrétaire des commandements et poëte lyr que, il releva le mieux qu'il put la dépendance de sa vie p l'audace de sa pensée, et il s'habitua de bonne heure à gard pour l'ode, ou même pour l'épigramme, cette verdeur franch et souvent acerbe qui ne pouvait se faire jour ailleurs. Auss plus tard, bien qu'il conservât au fond l'indépendance inté rieure qu'il avait annoncée dès ses premières années, on voit toujours au service de quelqu'un. Ses habitudes de do mesticité trouvent moyen de se concilier avec sa nature éner gique. Au prince de Conti succèdent le comte de Vaudreuil M. de Calonne, puis Robespierre, puis Bonaparte; et pour tant, au milieu de ces servitudes diverses, Le Brun demeur ce qu'il a été tout d'abord, méprisant les bassesses du temps vivant d'avenir, effréné de gloire, plein de sa mission de poët croyant en son génie, rachetant une action plate par une bell ode, ou se venge d'une ode contre son cœur par une épi

ramme sanglante. Sa vie littéraire présente aussi la même continuité de principes, avec beaucoup de taches et de mauvais endroits. Élève de Louis Racine, qui lui avait légué le culte du grand siècle et celui de l'antiquité, nourri dans l'admiration de Pindare et, pour ainsi dire, dans la religion lyrique, il était simple que Le Brun s'accommodât peu des mœurs et des goûts frivoles qui l'environnaient; qu'il se séparat de la cohue moqueuse et raisonneuse des beux-esprits à la mode; qu'il enveloppåt dans une égale aversion SaintLambert et d'Alembert, Linguet et La Harpe, Rulhière et Dorat, Lemierre et Colardeau, et que, forcé de vivre des bienfaits d'un prince, il se passàt du moins d'un patron littéraire. Certes il y avait, pour un poëte comme Le Brun, un beau rôle à remplir au xvIIe siècle. Lui-même en a compris toute la noblesse; il y a constamment visé, et en a plus d'une fois dessiné les principaux traits. C'eût été d'abord de vivre à part, loin des coteries et des salons patentés, dans le silence du cabinet ou des champs; de travailler là, peu soucieux des succès du jour, pour soi, pour quelques amis de cœur et pour une postérité indéfinie; c'eût été d'ignorer les tracasseries et les petites guerres jalouses qui fourmillaient aux pieds de trois ou quatre grands hommes, d'admirer sincèrement, et à leur prix, Montesquieu, Buffon, Jean-Jacques et Voltaire, sans épouser leurs arrière-pensées, ni les antipathies de leurs sectateurs; et puis, d'accepter le bien, de quelque part qu'il vint, de garder ses amis, dans quelques rangs qu'ils fussent, et s'appelassent-ils Clément, Marmontel ou Palissot. Voilà ce que concevait Le Brun, et ce qu'il se proposait en certains moments; mais il fut loin d'y atteindre. Caustique et irascible, il se montra souvent injuste par vengeance ou mauvaise humeur. Au lieu de négliger simplement les salons littéraires et philosophiques, pour vaquer avec plus de liberté à son génie et à sa gloire, il les attaqua en toute occasion, sans mesure et en masse. Il se délectait à la satire, et décochait ses traits à Gilbert ou à Beaumarchais aussi volontiers qu'à La Harpe

lui-même. Une fois, par sa Wasprie, il compromit étrangement sa chasteté lyrique, en se prenant au collet avec Fréron. Reconnaissons pourtant que sa conduite ne fut souvent ni sans dignité ni sans courage. La noble façon dont il adressa mademoiselle Corneille à Voltaire, la respectueuse indépendance qu'il maintint en face de ce monarque du siècle, le soin qu'il mit toujours à se distinguer de ses plats courtisans, l'amitié pour Buffon, qu'il professait devant lui, ce sont là des traits qui honorent une vie d'homme de lettres. Le Brun aimait les grandes existences à part: celle de Buffon dut le séduire, et c'était encore un idéal qu'il eût probablement aimé à réaliser pour lui-même. Peut-être, si la fortune lui eût permis d'y arriver, s'il eût pu se fonder ainsi, loin d'un monde où il se sentait déplacé, une vie grande, simple, auguste; s'il avait eu sa tour solitaire au milieu de son parc, ses vastes et majestueuses allées, pour y déclamer en paix et y raturer à loisir son poëme de la Nature; si rien autour de lui n'avait froissé son âme hautaine et irritable, peut-être toutes ces boutades de conduite, toutes ces sorties colériques d'amour-propre eussent-elles complétement disparu : l'on n'eût pu lui reprocher, comme à Buffon, que beaucoup de morgue et une excessive plénitude de lui-même. Mais Le Brun fut longtemps aux prises avec la gêne et les chagrins domestiques. Son procès avec sa femme, que le prince de Conti lui avait séduite 1, la banqueroute du prince de Guémené, puis la Révolution, tout s'opposa à ce qu'il consolidat jamais son existence. Je me trompe: vieux, presque aveugle, au-dessus du besoin grâce aux bienfaits du Gouvernement 2, il s'était logé dans les combles du

1 On alla jusqu'à dire qu'il l'avait vendue au prince, et, chose fâcheuse pour e caractère de Le Brun, plusieurs ont pu le croire. - Voir son élégie infamante à Némésis, où il trouve moyen de flétrir d'un seul coup sa mère, sa sœur et sa femme ! Une telle élégie est unique dans son genre.

2 Le Brun dut ces bienfaits à son talent sans doute, à sa renommée lyrique, mais par malheur aussi à sa méchanceté satirique que le pouvoir achetait de sa servilité. On cite une épigramme contre Carnot, lors du vote de Carnot contre l'Empire; elle fut commandée à Lebrun et payée d'une pension.

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