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dans la littérature, et qu'on ne pouvait pas lui attacher de si près, on les attirait chez lui, ou plutôt on les y admettait; car il n'était guère besoin de violence ni d'adresse pour les mettre en liaison avec le fils d'un ministre tel que Louvois. Ils n'arrivaient là que parés de tout ce qu'ils avaient de plus exquis: ils y apportaient les prémices de leurs ouvrages, leurs projets, leurs réflexions, le fruit de leurs longues lectures; et le jeune homme qu'ils voulaient instruire, et à qui ils ne cherchaient guère moins à plaire, n'était nourri que de sucs et d'extraits les plus fins et les plus agréables. Il fit des exercices publics sur Virgile, Homère et Théocrite, qui répondirent à une si excellente éducation. Aussi Baillet ne l'oublia-t-il pas dans son livre des enfans célèbres par leur savoir cet enfant avait bien des titres pour y tenir une place.

Il achevait sa première année de philosophie en 1691, lorsqu'il perdit avec beaucoup de douleur M. de Louvois son père. Il prouva bien que ses études jusques-là n'avaient pas été forcées; il les continua avec la même ardeur, et embrassa même celles qui ne lui étaient pas absolument nécessaires. Il apprit de la Hire la géométrie, et de du Verney l'anatomie. Il ne crut pas, ce que bien d'autres auraient cru volontiers en sa place, que son nom, sa richesse, le crédit d'une famille très puissante, fussent un mérite suffisant.

Dans son cours de théologie, il trouva un concurrent redoutable, l'abbé de Soubise, aujourd'hui cardinal de Rohan. Il se mit entre eux une émulation dont ils profitèrent tous deux; et par une espèce de reconnaissance de l'utilité dont ils avaient été l'un à l'autre, ils contractèrent une étroite liaison.

Après que l'abbé de Louvois eut terminé cette carrière, en recevant le bonnet de docteur de Sorbonne, feu l'archevêque de Rheims, son oncle, lui donna de l'emploi dans son diocèse, pour se former aux affaires ecclésiastiques. L'école était bonne, mais sévère, à tel point, qu'elle eût pu le corriger des défauts mêmes que l'on reprochait au prélat qui le formait.

Ce fut dans l'assemblée du clergé, tenu en 1700, à laquelle présida l'archevêque de Rheims, que l'abbé de Louvois parut pour la première fois sur un grand théâtre. Son caractère y fut généralement goûté : on retrouvait en lui la capacité, le savoir, l'esprit de gouvernement; enfin toutes les bonnes qualités de son oncle, accompagnées de quelques autres qu'il pouvait avoir apprises de lui, mais qu'il n'en avait pas imitées.

Vers la fin de la même année, il partit pour l'Italie. Il y fut reçu par les princes et les gouverneurs en fils de M. de Louvois, et en frère de M. de Barbezieux, secrétaire d'état de la guerre, et par les savans et les illustres en homme déjà fort instruit, et digne de leur commerce. Il fit partout, et principalement à Rome, une dépense aussi noble que son nom la demandait ; il y joignait une extrême politesse, et ce qui acheva de lui gagner les cœurs des Italiens, leurs manières mêmes, qu'il sut prendre en assez peu de temps, quoique Français.

Il chercha dans toute l'Italie les bons livres qu'il savait qui manquaient à la bibliothèque du roi, et il en acheta environ 3000 volumes qu'il fit apporter en France. Dans le cours de son voyage, il eut la douleur d'apprendre la mort de M. de Barbezieux, arrivée en 1701.

Après son retour d'Italie, il reprit, sous l'archevêque

de Rheims, l'administration de ce grand diocèse. Il fut plusieurs années grand-vicaire et official; mais le prélat étant mort en 1710, l'abbé de Louvois sentit plus que jamais, par tant de pertes importantes, combien il est à propos d'avoir un mérite qui soit à soi.

Quoiqu'il se fut toujours conduit avec sagesse entre les deux partis, qui depuis un siècle font tant de bruit dans l'église, l'archevêque, peu favorable au plus puissant des deux, lui avait rendu son neveu fort suspect. L'abbé de Louvois eut beau garder toute la modération que l'obscurité des matières et l'esprit du christianisme sembleraient exiger de tout le monde, on ne s'en contenta pas; et les canaux par où passaient les grâces ecclésiastiques paraissaient mal disposés à son égard. Il n'en espéra plus aucune, et ne renonça pourtant pas au genre de vie qui convenait aux espérances qu'il n'avait plus. Il n'eût pas été trop extraordinaire que le grand monde dans lequel il était né, beaucoup de liaisons différentes, l'oisiveté, une liberté entière, l'utilité de la contrainte, eussent changé fort sensiblement ses premières allures.

Le talent naturel qu'il avait pour les affaires, fut du moins occupé à gouverner celles de madame de Louvois, sa mère, qui, par leur étendue, leur nombre et leur importance, demandaient, en quelque sorte, un ministre; et le talent des sciences se tourna principalement du côté de la bibliothèque du roi, qu'il s'appliqua fort à embellir. Il l'augmenta non-seulement de plus de 30,000 imprimés, mais d'un grand nombre de manuscrits, dont les plus considérables sont ceux de feu l'archevêque de Rheims, de MM. Fabre, Bigot, The venot, de Ganières, d'Hozier.

Dès l'année 1699, il était entré dans cette académie en qualité d'honoraire, Il n'y était pas étranger, après les leçons qu'il avait reçues de quelques uns des principaux sujets de la compagnie ; et l'on reconnut qu'il avait bien appris d'eux la langue, ou plutôt les différentes langues du pays. Il entra ensuite et dans l'académie française en 1706, et dans celle des inscriptions en 1708; si l'on y joint la Sorbonne, qui était, pour ainsi dire, sa patrie, on verra qu'il était, en fait de science, une espèce de cosmopolite, un habitant du monde savant.

Après la mort du feu roi, l'abbé de Louvois redevint un sujet propre à la prélature. Aussi fut-il nommé en 1717 à l'évêché de Clermont; mais sa santé, qui malgré son peu d'âge et la force apparente de sa constitution devenait fort mauvaise, l'empêcha d'accepter cette place. Il sentait déjà des atteintes de la pierre. Quand il en fallut venir à l'opération, il s'y prépara comme à une mort certaine ; et en effet, après l'avoir soufferte, il mourut le 5 novembre 1718 dans toutes les dispositions les plus édifiantes.

Tout ce qu'on peut désirer de plus sage et de plus sensé dans un testament se trouve dans le sien ; des legs aux pauvres, à ses abbayes, à ses domestiques, à ceux de ces amis, dont la fortune était trop médiocre, tous créanciers à qui les lois ne donnent point d'action, et qui ne le sont qu'autant que les débiteurs ont des sentimens de vertu.

ÉLOGE

DE MONTMORT.

PIERRE-REMOND DE MONTMORT naquit à Paris le 26 octobre 1678 de François Remond, écuyer, sieur de Breviande, et de Marguerite Rallu. Il était le second de trois frères.

Après le collége, on le fit étudier en droit, parce qu'on le destinait à une charge de magistrature pour laquelle il avait beaucoup d'aversion. Son père était fort sévère et fort absolu, et lui fort ennemi de la contrainte, d'un esprit assez haut, ardent pour tout ce qu'il voulait, courageux pour prendre les moyens d'y réussir. Las du droit et de la maison paternelle, il se sauva en Angleterre; dès que la paix de Riswick eut rendu l'Europe libre aux Français, il passa dans les Pays-Bas, et de là en Allemagne chez M. de Chamoys, son parent, plénipotentiaire de France à la diète de Ratisbonne.

Ce fut là que la Recherche de la Vérité lui tomba entre les mains. On ne lit guère ce livre là indifféremment, quand on est d'un caractère qui donne prise à la philosophie; il faut presque nécessairement ou se rendre au système, ou se croire assez fort pour le combattre. De Montmort s'y rendit absolument, et en éprouva les deux bons effets inséparables; il devint philosophe et véritable chrétien.

Il revint en France en 1699, et deux mois après son

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