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suppose que le sens des deux vers soit bon, on pourra dire que les deux mots seront étonnés et bien aises de se trouver. On en voit assez la raison, en renversant ce qui vient d'être dit. Ce seront là des rimes riches et heureuses.

Toute langue cultivée se partage en deux branches différentes, dont chacune a un grand nombre de termes que l'autre n'emploie point; la branche sérieuse et noble, la branche enjouée et badine. On pourrait croire que les poètes sont plus obligés de bien rimer dans le sérieux que dans le badin: mais pour peu qu'on y pense, on verra que c'est le contraire. Leur assujétissement à la rime doit être d'autant plus grand, qu'il leur est plus aisé d'y satisfaire. Or, la langue badine est de beaucoup la plus abondante et la plus riche; outre tous les termes qui lui sont propres, et auxquels l'autre n'ose jamais toucher, elle a tous ceux de cette autre, sans exception, qu'elle peut tourner en plaisanterie tant qu'elle voudra; elle peut aller même jusqu'à en forger de nouveaux. Il est bien juste que la joie, si nécessaire aux hommes, ait quelques priviléges.

RÉPONSE

De FONTENELLE, directeur de l'Académie Française, au discours prononcé par M. l'évêque de Rennes, le jour de sa réception, le 25 septembre 1749.

MONSIEUR,

Ce que nous venons d'entendre ne nous a point surpris; nous savions, il y a long-temps, que dès votre entrée dans le monde on jugea qu'à beaucoup d'esprit naturel, et à une grande capacité dans les matières de l'état ecclésiastique que vous aviez embrassé, vous joigniez l'agréable don de la parole, qui ne s'attache pas toujours au plus grand fonds d'esprit, et encore moins à des connaissances également épineuses et éloignées de l'usage commun. Nous savions qu'après avoir été nommé évêque de la capitale d'une grande province qui se gouverne par des états, votre dignité, qui vous mettait à la tête de ces états, vous avait donné occasion d'exercer souvent un genre d'éloquence peu connu parmi nous, et qui tient assez du caractère de l'éloquence grecque et romaine. Les orateurs français, excepté les orateurs sacrés, ne traitent guère que des sujets particuliers, peu intéressans, souvent embar rassés de cent minuties importantes, souvent avilis par les noms mêmes des principaux personnages. Pour vous, Monsieur, vous aviez toujours en main dans vos discours publics, les intérêts d'une grande province

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combinés avec ceux du roi; vous étiez, si on ose le dire, une espèce de médiateur entre le souverain qui devait être obéi, et les sujets qu'il fallait amener à une obéissance volontaire. De là vous avez passé, Monsieur, à l'ambassade d'Espagne, où il a fallu employer une éloquence toute différente, qui consiste autant dans le silence que dans les discours. Les intérêts des potentats sont en si grand nombre, si souvent et si naturellement opposés les uns aux autres, qu'il est difficile que deux d'entre eux, quoique étroitement unis par les liens du sang, soient parfaitement d'accord ensemble sur tous les points, ou que leur accord subsiste long-temps. Les deux branches de la maison d'Autriche n'ont pas toujours été dans la même intelligence. L'une des deux maisons royales de Bourbon vous a chargé de ses affaires auprès de l'autre. La renommée, quoique si curieuse, surtout des affaires de cette nature, quoique si ingénieuse et même si hardie à deviner, ne nous a rien dit de ce qui s'est passé dans un intérieur où vous avez eu besoin de toute votre habileté; et cela même vous fait un mérite. Seulement nous voyons que l'Espagne, pour laquelle vous avez dû être le moins zélé, ne vous a laissé partir de chez elle que revêtu du titre de grand de la première classe, honneur qu'elle est bien éloignée de prodiguer.

Le grand cardinal de Richelieu, lorsqu'il forma une société de gens presque tous peu considérables par eux mêmes, connus seulement par quelques talens de l'esprit, eût-il pu, même avec ce sublime génie qu'il possédait, imaginer à quel point eux et leurs successeurs porteraient leur gloire par ces talens et par leur union? Eût-il osé se flatter que dans peu d'années les noms les

plus célèbres de toute espèce ambitionneraient d'en-. trer dans la liste de son académie; que dès qu'elle aurait perdu un cardinal de Rohan, il se trouverait un autre prélat, tel que vous, Monsieur, prêt à le remplacer?

Le nom de Rohan seul fait naître de grandes idées. Dès qu'on l'entend, on est frappé d'une longue suite d'illustres aïeux, qui va se perdre glorieusement dans la nuit des siècles on voit des héros dignes de ce nom par leurs actions, et d'autres héros dignes de ces prédécesseurs; on voit les plus hautes dignités accumulées, les alliances les plus brillantes, et souvent le voisinage des trônes : mais en même temps il n'est que trop sûr que tous ces avantages naturels, si précieux aux yeux de tous les hommes, seraient des obstacles qu'aurait à combattre celui qui aspirerait au mérite réel des vertus tels que la bonté, l'équité, l'humanité, la douceur des mœurs. Tous ces obstacles, dont la force n'est que trop connue par l'expérience, non-seulement M. le cardinal de Rohan, durant tout le cours de sa vie, les surmonta; mais il les changea eux-mêmes en moyens, et de pratiquer mieux les vertus qu'ils combattaient, et de rendre ces vertus plus aimables. Il est vrai, pour ne rien dissimuler, qu'il y était extrêmement aidé par l'extérieur du monde le plus heureux, et qui annonçait le plus vivement et le plus agréablement tout ce qu'on avait le plus d'intérêt de trouver en lui. On sait ce qu'on entend aujourd'hui, en parlant des grands, par le don de représenter. Quelques uns d'entre eux ne savent guère que représenter: mais lui, il représentait et il était.

Dès son jeune âge, destiné à l'état ecclésiastique, il

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ne crut point que son nom, ni un usage assez établi chez ses pareils, pussent le dispenser de savoir par luimême. Il fournit la longue et pénible carrière prescrite par les lois avec autant d'assiduité, d'application, de zèle, qu'un jeune homme obscur, animé d'une noble ambition, et qui n'aurait pu compter que sur un mérite acquis. Aussi dès ces premiers temps se fit-il une grande réputation dans l'université; les dignités et les titres qui l'attendaient, pour ainsi dire, avec impatience, ne laissaient pas de venir le trouver selon un certain ordre.

Il était à l'âge de trente-un ans coadjuteur de M. le cardinal de Furstenberg, évêque et prince de Strasbourg, lorsqu'il survint dans cette académie un de ces incidens qui en troublent quelquefois la paix, et fournissent quelque légère pâture à la malignité du public. Le principe général de ces espèces d'orages est la liberté de nos élections; liberté qui ne nous en est pas cependant, ainsi qu'aux anciens Romains, moins nécessaire, ni moins précieuse. Ce fut en de pareilles circonstances que le coadjuteur de Strasbourg se montra, et calma tout et je puis dire hardiment qu'il entra dans cette académie par un bienfait. Avec quel redoublement et de joie et de reconnaissance ne lui fìmeșnous pas ensuite nos complimens sur le chapeau de cardinal, sur la charge de grand-aumônier de France, dignités dont l'éclat rejaillissait sur nous, et qui nous élevaient toujours nous-mêmes de plus en plus !

Nous savons assez en France ce que c'est que les affaires de la constitution. Ne fussent-elles que théologiques, elles seraient déjà d'une extrême difficulté: un grand nombre de gens d'esprit ont fait tous les efforts

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