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Mais franchissant le roc sauvage
Que le chasseur ose gravir,
Je vois d'en haut passer l'orage,
J'entends sous moi le vent mugir.
Je ris de l'Alpe désolée

Dont le front n'atteint pas l'azur ;
Moi, j'atteins la voûte étoilée;
Moi, j'atteins le ciel vierge et pur.
Dans l'infini, d'une aile ardente,
Je vais planant en liberté.....
Abaisse-toi, cime brillante !

Ma patrie est l'immensité ! »

Il dit, et sur l'abîme ouvrant ses larges ailes
Monte le roi des airs superbe et dédaigneux,
Tandis qu'au frais vallon les jeunes hirondelles
Sur les prés et les fleurs glissent d'un vol joyeux.
Monte, le ciel t'invite: aucun bruit de la terre
Des lieux où nous passons n'ira t'entretenir;
Dans les champs éternels perds ton vol solitaire :
Si près du firmament le cœur doit rajeunir.

Par delà les soleils s'ouvre un ciel noir et vide;
Des vapeurs de l'éther blanchissent les frimas;
Mais plus l'air est glacé, plus son vol est rapide:
Sur la route des cieux l'aigle ne descend pas.

Il vole, il monte encore, il redouble, il s'élance;
Il va de l'infini sonder la profondeur.

Si le but est lointain, si l'espace est immense,
Seule l'immensité suffit à son ardeur.

Il monta jusqu'au soir. La nuit froide et cruelle
Aux limites des airs l'atteignit épuisé,
Et l'aigle en frémissant sentit ployer son aile..,..

Il est beau de mourir pour avoir trop osé.

Dès lors, je retrouvai ma sérénité perdue. Un intérêt nouveau était venu prendre place dans ma vie. Je continuai à par

courir les montagnes, à vivre, comme par le passé, en amant sauvage des Alpes; mais je ne les visitais plus seulement en chasseur enthousiaste, je les visitais aussi en poëte. J'unissais mes hymnes à la voix de la nature. Je me croyais digne de la chanter.

Souvent, sans doute, il en fut de mes vers comme auparavant de ma prose: il m'arriva plus d'une fois d'anéantir de considérables manuscrits; mais quand, après avoir longtemps cherché, je trouvais quelques traits heureux, quand la strophe m'arrivait palpitante du souffle de l'âme, j'étais surabondamment payé des vains efforts et des mécomptes.

Oh! c'est vraiment une joie sublime et profonde que celle du poëte qui parvient à s'emparer de l'idéal et à le traduire en paroles humaines! C'est une joie qui a aussi quelque chose de divin: c'est la joie qui accompagne la création.

Pendant quelques années je ne connus qu'une seule poésie, celle de la nature; mais le temps vint où les passions humaines m'en révélèrent une autre.

Je descendais un soir les pentes boisées qui dominent le vallon des Plans. Le ciel chargé de nuages de mauvais augure s'assombrissait de minute en minute. J'eus beau courir, je ne devançai pas l'orage. Un long frémissement de la forêt l'annonça, puis il éclata soudain avec une extrême violence. La pluie tombait par torrents; l'air était lourd; je voyais, à travers les branches, jaillir la foudre; les éclairs lançaient des gerbes de feu du fond de la nue immobile, et les cimes des grands pins s'inclinaient, tremblantes, sous la colère du ciel. Trois fois je vis la foudre frapper à mes côtés quelque tronc séculaire qui, brûlant aussitôt, éclairait des lueurs de l'incendie les mystères de la forêt. L'orage redoublait quand j'atteignis le vallon. Je cherchai un abri sous le porche du premier chalet qui se trouva sur mon chemin. J'étais là depuis

quelques minutes lorsqu'une femme âgée se montra sur le seuil et m'offrit gracieusement l'hospitalité. J'acceptai, et bientôt je partageai avec mes hôtes un souper frugal, dont la fatigue et l'appétit firent pour moi un festin. C'était dans la cuisine, qui sert de salle à manger aux bonnes gens de la montagne. La table, meuble antique et boiteux, qui s'affaissait sous le poids des ans, avait été placée devant le foyer, où pétillait un fagot de branches de mélèze. Deux personnes seulement soupaient avec moi, la vieille femme qui m'avait invité, et une jeune fille, à laquelle je ne pris d'abord pas garde. Tout était simple et rustique dans cette demeure, et pourtant tout y annonçait l'aisance. Après le repas, nous fimes cercle autour du feu; je racontai les événements de la journée; puis, quand l'orage fut un peu calmé, il arriva deux ou trois jeunes filles et autant de jeunes garçons, robustes montagnards qui venaient, fidèles aux vieilles coutumes, passer ensemble la soirée, en devisant devant le foyer. La présence d'un étranger parut d'abord leur être gênante; mais ils s'y habituèrent, et grâce à quelques rasades d'un vin versé peut-être en mon honneur, la gaîté brilla sur tous les fronts. On causa, on rit, puis une montagnarde entonna une chanson joyeuse, et tous d'en accompagner le refrain. De chanson en chanson, chacun paya son tribut à la gaîté de la soirée. Quand ce fut le tour de la fille de la maison, elle annonça une sorte de ballade sombre et tragique, comme le sont parfois les chants que répète le pâtre des Alpes, et qu'on n'avait pas encore entendue, disait-elle, dans le vallon. Dès le premier vers, je tressaillis de surprise; j'en étais l'auteur; je levai les yeux sur la chanteuse sa figure était émue, sa voix était pure et sympathique, les notes semblaient sortir du fond de son âme. Son émotion nous gagna tous. A peine eut-elle fini, que nous lui demandâmes d'un commun accord de recommencer, et sa chanson fut écoutée une seconde fois dans un religieux silence.

Cette scène fit sur moi une assez vive impression. Quand

je quittai ce chalet hospitalier, j'emportai de la jeune fille qui l'habitait un souvenir touchant. J'avais à peine remarqué sa beauté: elle m'avait compris, elle avait chanté mes vers, et elle ne les avait pas chantés des lèvres; c'en était assez.

Huit jours plus tard, je fus plus heureux à la chasse. Je revins fier et gai, portant une fleur de rosage à ma boutonnière et un jeune chamois d'une année sur mes épaules. Je crus que la généreuse hospitalité que j'avais reçue au vallon exigeait un témoignage de reconnaissance; je me dirigeai donc du côté des Plans pour offrir à la bonne femme, qui m'avait si bien accueilli, le produit de ma chasse; à sa fille, ma fleur de rosage. En approchant de leur demeure, j'aperçus de loin Marie, c'était le nom de la jeune fille; je ralentis ma marche, j'hésitai; quand je me trouvai devant elle, j'étais sur le point de fuir. Elle était dans son jardin, rattachant un buisson de chèvre-feuille, qui grimpait autour d'un rucher, et dont les grappes odorantes retombaient en mille festons. En entendant mes pas, elle se retourna; je crus la voir rougir. « Vous avez fait bonne chasse, » me dit-elle ; je bégayai quelques mots de réponse, puis je m'avançai vers sa mère qui venait à nous, et je lui offris gauchement mon chamois. Elle l'accepta, à condition, toutefois, que j'en aurais ma part, et que j'assisterais au festin, dont il devait être la pièce d'honneur. Elle voulut me faire entrer; mais le trouble me gagnait de plus en plus, j'étais pressé de fuir. En prenant congé de Marie, je portai la main à ma boutonnière; j'en détachai ma fleur; mais le courage me manqua, et je partis, ma fleur à la main.

Le dimanche suivant, je cheminais d'un pas alerte sur le sentier qui conduit aux Plans. Ce sentier, qu'on va, dit-on, remplacer par une route, s'engage dans une gorge pittoresque : il va serpentant sous d'épais ombrages; il se cache dans l'épaisseur de la forêt; il est bordé de blocs épars tapissés de mousses et de fleurs. Tantôt il suit l'Avençon, dont les eaux pures et blanches descendent de cascade en cascade; tantôt il

s'élève au-dessus des ravins que creuse sans cesse le fougueux torrent. Mais ce jour-là, contre toutes mes habitudes, je ne songeai ni à la pureté des eaux, ni à la fraîcheur des mousses, ni aux ombrages de la forêt mes pensées se hâtaient vers le chalet de Marie.

Je m'étais promis de réparer mes maladresses de l'avantveille. Chose curieuse, j'y réussis assez bien. En présence de Marie, je me sentis à l'aise; les paroles coulèrent de mes lèvres, abondantes et faciles. Mon cœur était au large j'étais heureux.

Je la trouvai de nouveau dans son jardin; elle m'en fit examiner les fleurs. C'étaient des verveines, des pensées, des roses; toutes poussaient des jets magnifiques, en reconnaissance des soins assidus de l'aimable jardinière. Puis la jeune fille me conduisit à ce qu'elle appelait son jardin favori. C'était au bord du torrent, sur un quartier de roc que l'Avençon, dans un jour de colère, avait transporté du haut des montagnes, mais qu'il n'avait pas eu la force de rouler jusqu'à la plaine. Marie avait profité de tous les angles de la pierre pour y déposer de la terre végétale, et elle y avait semé quelques fleurs des Alpes, que l'écume des flots couvrait de sa rosée. J'y vis de brillantes touffes de campanule, dont les mille corolles tremblaient au souffle de la brise; la grande ancolie des Alpes, riche parure des pics solitaires; des gentianes étoilées, d'un bleu plus pur que le ciel; enfin un buisson de rosage, qui couronnait le rocher de la pourpre de ses grappes.

J'aime les fleurs, et ma sympathie est acquise à quiconque les aime. Partout où s'ouvre une fleur, pénètre un rayon de poésie. Il y a dans la plus misérable des demeures, pourvu qu'une main de femme arrose sur la croisée une plante de violettes, quelque consolation aux amertumes de la pauvreté. Il suffit d'une feuille qui pousse, d'un bouton qui s'ouvre, pour distraire une âme des rudes soucis, et pour l'empêcher de plier sous le poids des réalités de la vie. L'histoire d'une plante est

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