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l'histoire du commerce maritime de Rouen. L'auteur remonte aux Gaulois, puis aux Mérovingiens, aux Carlovingiens et aux Normands, et montre, à l'aide de documents nouveaux que, déjà à cette époque, la situation de Rouen rendait cette ville un des entrepôts du nord de la France. Arrivé au moyen âge les sources deviennent plus nombreuses, mais avec leur multiplicité les faits sont plus obscurs et surtout bien plus compliqués. Le fleuve qui vivifie le port de Rouen est barré par une foule de petits seigneurs qui l'exploitent, comme leurs pareils exploitaient les grandes routes; les célèbres abbayes de Saint-Wandrille et surtout de Jumièges prétendent, elles aussi, profiter de cette activité commerciale pour augmenter leurs revenus à l'aide des droits levés sur la navigation; enfin, il n'est pas jusqu'à la mer qui n'ait bouleversé les antiques rivages de la Seine, en multipliant les bancs de sable et les écueils. Malgré cela, telle est l'heureuse situation de Rouen, et ses rapports avec l'Angleterre, facilités par la conquête normande, que son commerce s'étend du onzième au treizième siècle sur l'Océan et la Méditerranée, et rien ne prouve mieux cette prospérité que les stipulations que renferment les chartes octroyées par les ducs de Normandie à la ville la plus florissante de leurs possessions continentales. En même temps Rouen cherche de plus en plus à s'affranchir, et au treizième siècle elle est presque aussi libre que ces villes de la Hanse qui inauguraient à la même époque une révolution complète dans le monde commercial.

Le quatorzième et le quinzième siècle furent encore pour Rouen une période de prospérité, mais la découverte du cap de Bonne-Espérance et celle de l'Amérique semblent avoir porté un coup fatal à ses relations au dehors. Comme tant d'autres ports de mer, Rouen ne sut pas, pour ainsi dire, « se retourner; son ancien commerce s'arrêta, et elle vit la solitude se faire dans son port jadis si animé. M. de Fréville attribue plutôt cette triste révolution à l'anarchie où les guerres civiles du seizième siècle plongèrent la France. Sans doute ces effroyables désordres durent contribuer pour leur bonne part à la chute de Rouen, mais les villes maritimes peuvent continuer à prospérer au milieu des luttes civiles, et nous croyons qu'il faudrait remonter à des causes plus générales pour expliquer historiquement la catastrophe qu'a retracée le savant historien de Rouen.

Quant au second volume du Mémoire de M. de Fréville, il est dans son genre aussi curieux et aussi instructif que le premier. Il renferme près de cent cinquante pièces justificatives, presque toutes inédites, et

dont quelques-unes sont du plus haut intérêt. Ce sont les sources même du Mémoire, et elles attestent l'immense travail et la sagacité de son regrettable auteur.

De pareils travaux honorent et ceux qui les accomplissent et ceux qui les patronent. A ce titre nous ne voulons pas oublier ici l'Académie impériale de Rouen qui, après avoir couronné M. de Fréville, a voulu publier le Mémoire de son lauréat. L'Académie de Rouen a donné là un excellent exemple, et elle trouvera la récompense de cette résolution noblement libérale, et dans le mérite de M. de Fréville et dans le succès qui attend toutes les œuvres qui témoignent d'un dévouement complet à la science, d'une vraie sagacité, d'un style facile et d'une habileté remarquable de composition. J.

LES PARLEMENTS DE FRANCE 1.

Le 3 novembre 1789 l'Assemblée Nationale adoptait avec enthousiasme un décret qu'Alexandre de Lameth avait apporté à la tribune. C'était l'arrêt de mort d'une institution vieille de plus de quatre cents années. La lutte imprudente des parlements de France contre la couronne avait préparé la ruine de l'autorité royale, et la monarchie en s'écroulant entraînait dans sa chute un de ses plus coupables adversaires.

Tant qu'elle était restée fidèle aux traditions de son origine monarchique, satisfaite de son véritable titre de gloire, attachée à ses nobles fonctions, la haute magistrature française avait brillé d'un vif éclat, et le respect des peuples n'avait cessé de l'entourer, car rien. n'était plus digne de respect que la justice des parlements; quand, au contraire, l'ambition de jouer un rôle politique fit des cours souveraines des instruments de passions et de haines, quand, sortant du caractère que leur imposaient leurs traditions, leur organisation et leurs devoirs, elles voulurent intervenir dans le gouvernement de l'Etat, alors elles tombèrent dans une suite de fautes et d'erreurs. Le peuple s'instruisit au refus de l'obéissance, et la conscience publique prononça contre elles la sévère condamnation dont les services autrefois rendus et

Les Parlements de France. Essai historique sur leurs usages, leur organisation et leur autorité, par le vicomte de BASTARD-D'ESTANG, conseiller à la cour impériale de Paris. Paris. Didier et Cie, éditeurs; 2 vol. in-8°.

la grandeur de leur chute ont peine, encore de nos jours, à protéger leur mémoire.

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Le parlement est pour rendre justice aux peuples; la guerre, les finances, le gouvernement du roi ne sont point de son ressort, répondait au frère de Louis XI le premier président Jean de la Vaquerie; et longtemps les parlements, créés successivement par le monarque dans les différentes provinces du royaume, surent rester fidèles à cette salutaire maxime. Défenseurs des libertés religieuses, loyaux sujets du roi au milieu des troubles publics, ils rendaient impartialement la justice; et la justice, honorée par ses ministres, était entourée de la vénération des peuples et respectée par les souverains. La vénalité et l'hérédité des charges constituaient ces grandes familles de robe où l'honneur était héréditaire ainsi que la magistrature, où l'école et les traditions du foyer domestique étaient de sûrs garants de la dignité, de la moralité, de la véritable indépendance en même temps que les luttes du barreau et de sévères examens assuraient le savoir et l'expérience du magistrat. C'est alors que brillèrent les Harlay, les Molé, les Novion, les Bastard et ces premiers présidents que Fléchier nous représente à la campagne au milieu de leurs vassaux plus contents d'eux-mêmes, et peut-être plus grands aux yeux de Dieu lorsque, dans le fond d'une sombre aliée, et sur un tribunal de gazon, ils avaient assuré le repos d'une pauvre familie que lorsqu'ils décidaient des fortunes les plus éclatantes sur le premier trone de la justice. »

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Le conseiller au parlement acquérait la noblesse personnelle par le fait seul de sa charge; au bout de deux générations d'exercice, cette noblesse devenait héréditaire, et cette brillante récompense, le haut rang et les priviléges qu'elle procurait, la vertu, la grande renommée de ceux qui siégeaient sur les bancs de la Grand Chambre constituaient un patrimoine glorieux que chacun d'eux s'efforçait de transmettre intact à sa postérité. La splendeur des cérémonies et des costumes, la dignité des audiences ajoutaient encore à la considération qui entourait les cours parlementaires. La tête couverte de leurs mortiers de velours à galons d'or, ancienne coiffure des rois, revêtus de leurs épitoges d'hermine, escortés d'huissiers portant la robe rouge et le bonnet de drap d'or, les conseillers au parlement de Paris venaient rendre une justice solennelle dans des salles splendides, décorées de peintures, chefsd'œuvre de l'art, et tendues en étoffes parsemées de fleurs de lis. L'ouvrage de M. de Bastard renferme les plus curieux détails sur les belles cérémonies qui accompagnaient la vie publique du magistrat.

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La décence, sinon la magnificence, lui était imposée également à la ville « Ce n'est pas un petit argument de l'intérieur du personnage que l'habit,» écrivait Pibrac, et chaque année un arrêt lu en séance du parlement obligeait tous les membres à porter toujours en ville l'habit noir, le petit manteau et la cravate: Car, prononçait cet arrêt, la décence extérieure doit toujours accompagner les magistrats, et rien ne contribue davantage à la conserver en eux que l'exactitude à porter d'habit convenable à leur état. »

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La vie du conseiller au parlement était grave et sévère. Encore au milieu du seizième siècle, les audiences commençaient à cinq heures du matin; «la vocation d'avocat, disait-on alors, guérit les gens de paresse, parce qu'estre avocat ou se lever matin sont deux choses inséparables; autrement c'est vendre les parties. » Des exercices religieux, la lecture des Livres saints et des anciens auteurs, la distribution des aumônes publiques, la visite des prisons, les recherches juridiques, la rédaction des arrêts, de fréquentes conférences absorbaient les heures du jour et empiétaient souvent sur celles de la nuit; il suffit, pour n'en pas douter, de jeter un coup d'œil sur les volumineux dossiers et les remarquables arrêts que nous ont légués les greffes des parlements ou les recueils de jurisprudence; on sera effrayé de la somme de labeur que l'examen de chaque affaire devait apporter au juge, et de tout le savoir et de l'expérience qu'il lui fallait acquérir pour dégager le droit des obscurités et des longueurs de semblables procédures.

Les recherches de M. de Bastard sur la compétence et les prérogatives des différentes Chambres qui composaient les parlements, ainsi que sur les diverses fonctions des conseillers et des gens du roi auprès de chacune d'elles ne sont pas une des parties les moins intéressantes de son remarquable ouvrage. Au degré hiérarchique inférieur, les Chambres des requêtes statuaient sur les causes personnelles des exempts et des autres privilégiés. Au-dessus prenaient place les Chambres des enquêtes, où les jeunes magistrats faisaient leur noviciat, et qui jugeaient surtout les causes instruites par écrit et le petit criminel; enfin venait la Grand Chambre, qui faisait jurisprudence, fixait les points contestés, décidait les affaires importantes, les contestations sur les édits, les questions de préséance. En elle résidait la plénitude de l'autorité parlementaire; elle était présidée par le premier président; les dues et pairs. avaient le droit d'y siéger, et l'on n'y parvenait qu'après avoir passé par

les autres chambres, et lorsqu'on était le plus ancien de celle à laquelle on appartenait.

C'étaient des Avocats Généraux nommés par le roi qui portaient la parole devant les parlements Considérés comme les hommes de la loi, on les vit souvent conclure contre les actes des ministres, ne regardant point ces actes comme émanés de la volonté du souverain quand ils étaient contraires aux maximes fondamentales de l'Etat. Les fonctions des Procureurs Généraux étaient différentes: ils ne paraissaient point aux audiences ordinaires; mais chargés spécialement de l'action judiciaire et du gouvernement de leur ressort, intermédiaires entre la couronne et la magistrature, ils avaient en outre la surveillance des prisons et du clergé, et la mission de veiller à ce qu'aucune imposition ne fût perçue sans autorisation légale. Nommés ils sont, dit un vieil auteur, pour la poursuite des crimineux et usurpateurs du domaine royal, pour s'opposer à l'oppression des grands envers les petits, pour les protéger, et pour la promotion, et aussi deffence de toutes autres choses concernant le bien public. »

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Que la justice civile des parlements ainsi organisée fût parfaite, qu'elle puisse être comparée, même de fort loin, à celle qui fait de nos jours. l'honneur de la France, c'est ce que nous ne voulons pas prétendre; les longueurs, les complications des formalités judiciaires nuisaient nécessairement à sa bonne administration, et les procès, dont parle Loyseau, et qui durent autant que les hommes ne devaient pas être rares, si nous en jugeons par les débris monumentaux qui gisent encore dans la poussière de quelques greffes; mais de sages règlements rendaient l'accès des Chambres facile à tous les justiciables grands ou petits, et le caractère des magistrats suppléait, autant que possible, aux garanties que les parties ne trouvaient pas dans la publicité de l'audience.

La justice criminelle participa malheureusement bien davantage aux erreurs et aux préjugés des temps où elle s'exerçait; sa barbarie survécut même à la barbarie des mœurs, et les officiers des parlements employaient encore la question lorsque la conscience publique avait dès longtemps fait justice de pareils moyens de procédure. La liste incroyable des tortures et des supplices divers mis en usage par la Chambre de la Tournelle, chargée de juger au grand criminel, occupe plusieurs pages de l'Histoire des parlements, et l'indignation s'accroît encore lorsqu'on sait que ces effrayantes condamnations furent longtemps prononcées à la simple majorité d'une voix, sans que l'accusé fût même entendu de tous ses juges ou confronté avec ses accusateurs, et après une instruction écrite, parfois

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