Page images
PDF
EPUB

tion cette forme littéraire qui met à la portée de tous le résumé d'études variées et consciencieuses, et il aura rendu à l'Allemagne d'une part, et de l'autre à tous ceux qui, en Europe, s'intéressent à ce grand centre d'activité intellectuelle un service véritable. Son programme paraît promettre quelque chose de semblable; c'est pourquoi, en appelant l'attention sur cette entreprise, nous lui souhaitons prospérité et succès.

FRANCE.

Les mémoires biographiques, tels que les composent quelquefois les Allemands et fort souvent les Anglais et les Américains, sont fort rares en France. A l'entassement souvent indigeste de documents de toute nature, rapports, articles de journaux, fragments de mémoires intimes, lettres, etc., le lecteur français préfère un récit condensé, où l'auteur s'est donné la peine de choisir, de classer, d'analyser ou de développer, suivant les exigences du plan qu'il s'est tracé. Cette méthode, croyons-nous, est la bonne. Cependant, elle offre le risque de suppressions plus ou moins arbitraires, qui ne sont pas peut-être du goût de tous les dilettantes, et nous en connaissons qui préfèrent l'abondance intarissable des monographies d'outre-Manche à la sobriété des biographies françaises. Nous n'avons pas l'intention de discuter ici cette question, mais il faut avouer que ceux qui aiment avant tout les pièces originales, et qui ne s'en remettent qu'à euxmêmes du soin de juger un personnage illustre, prendront fait et cause pour les biographes anglais et américains, et trouveront la Vie de Mozart, par Nissen, aussi intéressante que le roman le mieux conduit, malgré ses vastes développements. M. le chanoine GOSCHLER doit être de cet avis, car il vient d'emprunter aux documents rassemblés de toute part par Nissen une série de lettres de Mozart et de sa famille1, qu'il a réunies suivant l'ordre chronologique, et qu'il a traduites et annotées. M. le chanoine Goschler fait bien comprendre la valeur des biographies composées de pareils matériaux. L'intérêt y est souvent parfaitement nul, car les événements importants peuvent s'y trouver, par suite des accidents de la correspondance, noyés dans de longues redites ou à peine indiqués.

[ocr errors]

⚫ MOZART Vie d'un artiste chrétien au dix-huitième siècle, extraite de sa correspondance authentique, traduite et publiée pour la première fois en français, par L. GOSCHLER, chanoine honoraire. Paris, 1857, chez Douniol.

Pourquoi, d'ailleurs, nous intéresserions-nous à des situations domestiques qui composent la vie journalière des familles, et en quoi les lettres de Mozart auraient-elles, sous ce rapport, plus de prix à nos yeux que celles du premier venu? Nous n'aurions donc élevé aucune plainte si le traducteur eût promené ses ciseaux dans ces longueurs et ces inutilités. D'un autre côté, il est certain que cette correspondance nous initie à la vie de Mozart mieux que ne le ferait le récit le plus fidèle, et que l'illustre maestro se meut, pour ainsi dire, dans une maison de verre, où rien n'échappe à nos regards. Cette double observation nous semble indiquer la marche à suivre, et le défaut, ainsi que le réel intérêt, de cette biographie épistolaire, qui débute avec Mozart à l'âge de six ans. Réduite d'un tiers, elle n'y aurait rien perdu, et nous croyons même que le lecteur en aurait su quelque gré à M. le chanoine Goschler.

La traduction nous a paru généralement fidèle, et si elle est un peu trop uniformément terne et monotone, la faute en est assurément aux correspondances de Mozart et de sa famille, qui ne brillent pas, en général, par l'esprit et la vivacité. C'est curieux à constater chez l'auteur de Don Juan et de la Flûte enchantée, mais cette contradiction n'a rien qui doive nous étonner: le génie musical se passe volontiers du génie littéraire; sans cela, consentirait-il à revêtir de ses créations les plus sublimes les plus vulgaires des platitudes?

La vie sociale et littéraire a fourni à Mme ANCELOT le sujet d'un agréable petit volume. Les Salons de Paris, foyers éteints, sont le tableau parfois piquant, souvent intéressant de quelques-unes de ces réunions que l'on appelle un salon. Demi-familières, demi-lettrées ou artistiques, ces réunions offrent un vif attrait, et elles prêtent autant à l'esprit d'observation du moraliste qu'elles enrichissent les collections d'anecdotes destinées à servir à l'histoire intime de notre temps. C'est ainsi, et en cherchant à mêler le piquant de ses récits avec les réflexions plus sérieuses que lui inspirent ces mouvants tableaux, que l'aimable authoress nous introduit d'abord dans le salon de Mme Lebrun, puis dans celui du baron Gérard, de la duchesse d'Abrantès, de Charles Nodier, de M. de Lancy, de Mme Récamier, du vicomte d'Arlincourt, et enfin du marquis de Custine, et que nous voyons passer devant nous les noms qui remplissent la première moitié de notre siècle.

Paris, 1858; 1 vol. in-18.

Mme Ancelot est un auteur dramatique elle réussit surtout dans les portraits et la mise en scène; les premiers sont très-souvent fort bien saisis, même par un seul trait; la seconde est bien trouvée et pittoresque. Quant aux jugements littéraires et politiques nous serions fort tenté de chercher ici chicane à Mae Ancelot, qui nous semble décider bien facilement en quelques phrases de ce qui mériterait un examen un peu plus approfondi ; mais Mme Ancelot est légitimiste: de plus il y a des concessions qu'elle ne fera jamais, si ces concessions devaient diminuer le renom de M. Ancelot : tout s'explique donc sans qu'il soit besoin d'en dire davantage. Nous sommes d'ailleurs charmé que Mme Ancelot ne se soit jamais laissé prendre à la fausse bonhomie de Nodier et à cette officine de renommée où chacun travaillait à la fois et pour soi et pour tous, et qu'elle ait eu le courage de dire la vérité sur l'intérieur de Mme d'Abrantès et sur la vie de cette malheureuse femme, qui cachait la misère la plus lamentable sous les dehors de la frivolité, et qui en était réduite à faire de la prose pour vivre, ce qui n'empêcha pas la veuve de Junot de mourir, pour ainsi dire, à l'hôpital. Mme Ancelot analyse avec beaucoup de finesse et de tact les causes de cette décadence.

Les réimpressions sont aussi bien à lordre du jour que les travaux inédits. En même temps que M. VILLEMAIN publiait son étude sur Chateaubriand, et inaugurait ainsi de la manière la plus brillante sa Tribune moderne, il publiait une nouvelle édition de sa traduction de la République de Cicéron', qui avait été accueillie avec une grande faveur, mêlée de quelques critiques, en 1823. M. Villemain paraît avoir tenu compte de ces observations dans sa traduction, mais, à l'exception d'une préface nouvelle, la République de 1823 et celle de 1858 n'ont pas entre elles une bien grande différence. M. Villemain s'est contenté de ses premiers travaux, et il ne s'est guère occupé des nombreuses recherches que la découverte du cardinal Angelo Mai a suscitées, surtout en Allemagne, dans le champ encore si obscur de la constitution romaine. Cependant, pour M. Villemain, comme pour nous, la République de Cicéron, composée l'an 53 avant l'ère chrétienne, n'est pas l'idéal d'une

La République de Cicéron, traduite d'après le texte découvert par M. Mai, avec un discours préliminaire et des suppléments historiques par M. Villemain, 1 vol. in-8°. Paris, 1858.

constitution rêvée, pour ainsi dire, par son illustre auteur, comme Platon avait rêvé sa République, mais bien le tableau de la constitution. romaine, telle qu'elle fonctionnait antérieurement aux réformes des Gracches, et postérieurement à la seconde guerre punique. A ce point de vue, la République de Cicéron ne serait donc qu'un simple complément de Polybe, et depuis trente ans combien d'ingénieux travaux ont succédé à l'histoire de Niebuhr! Mais, cette réserve faite, la traduction de M. Villemain n'en reste pas moins un modèle de sage et élégante interprétation, et son discours préliminaire un chef-d'œuvre d'exposition et de clarté historique. Malheureusement, depuis la première édition de M. Villemain, la République de Cicéron n'a guère vu grossir le nombre des fragments qui la composent, et nous en sommes encore réduits à ses deux premiers livres, et au magnifique Songe de Scipion. Les savants ne désespèrent pas cependant du succès de nouvelles recherches, surtout dans les bibliothèques d'Italie, car la République de Cicéron a été lue assez tard dans le moyen âge, comme on peut le voir par exemple aux citations qu'en ont faites Gerbert et Jean de Salisbury (douzième siècle).

De M. Villemain à M. COUSIN la distance n'a jamais été bien grande depuis les beaux jours de la Sorbonne, mais ici encore nous nous trouvons en présence d'une réimpression. M. Cousin publie la troisième édition de ses Fragments et Souvenirs' consacrés, comme l'on sait, en majeure partie à l'Allemagne et aux récits d'un voyage à la fois philosophique et littéraire qu'y fit M. Cousin, il y a plus d'un quart de siècle. Tout le monde a lu ces charmantes Impressions de voyage que remplissent les noms de Kant et de Goethe et qui promènent le lecteur de Francfort à Gættingue, à Berlin, à Dresde et à Weimar. Le seconde partie du volume est un peu plus bigarrée: c'est la célèbre Notice sur Santa-Rosa, le patriote italien qui a mérité que sa vie fût écrite par le traducteur des Lois de Platon; puis des discours académiques, et enfin ces différents Essais sur J-J. Rousseau dont l'origine est assez différente, mais que les amis du philosophe genevois seront charmés de trouver réunis. Personne n'était plus qualitié que M. Cousin pour pénétrer dans le style de Rousseau, et saisir sur le fait les procédés de sa composition, et l'on ne saurait trop recommander cette minutieuse étude à ceux qui veulent savoir par quels

• Fragments et Souvenirs, par M. V. COUSIN, 3me édit. Paris, 1858; 1 vol. in-8°.

labeurs le génie passe souvent pour imposer ses idées à ses contemporains et à la postérité.

Enfin, puisque nous nous occupons de nouvelles éditions, nous signalerons aussi celle que M. D. NISARD vient de donner de ses Études de critique littéraire qui nous ont si vivement intéressé, il y a quelques an nées, et qui n'ont rien perdu, ou presque rien, de leur agrément et de leurs spirituelles vérités. La littérature facile nous semble, en effet, encore à l'ordre du jour, et les vies de Carrel et de Mirabeau, ou l'excursion en Angleterre, pourraient fournir encore matière à bien des rapprochements piquants, et tels surtout que ne les a jamais dédaignés M. Nisard. Nous nous félicitons d'ailleurs de ces réimpressions: elles prouvent que le goût des lectures sérieuses se maintient, quoi qu'on en dise, et que ce n'est pas le public qui fait défaut aux auteurs qui le respectent et se respectent eux-mêmes dans leurs œuvres.

L'école des chartes et l'école normale ont donné en France une vive impulsion aux études historiques, surtout aux monographies elles ont servi à renouer la chaîne qu'avaient brisée la révolution française et le premier empire, et les savants travaux des bénédictins ont trouvé depuis lors de nombreux continuateurs. Parmi ces patients et habiles explorateurs du passé comptait M. Ernest de FREVILLE, de Rouen, qu'une mort prématurée vient d'enlever à sa famille à l'âge de quarante-six ans. M. de Fréville s'était fait connaître et avait pris une place distinguée au milieu des érudits de notre époque par plusieurs travaux estimés sur l'histoire de France au moyen âge. Après sa mort on a publié son Mémoire sur le commerce maritime de Rouen dont l'intérêt et la solidité des recherches ajoutent encore aux regrets qu'inspire à tous ceux qui l'ont connu la perte de M. de Fréville. Ce Mémoire est précédé d'une Notice de M. Chéruel, l'excellent éditeur de Saint-Simon, notice dans laquelle la vie modeste et laborieuse d'Ernest de Fréville est racontée avec l'affection et la sympathie qu'il méritait si bien. Quant au Mémoire en lui-même, le premier volume est particulièrement consacré à

'Paris, 1858; 1 vol. in-12.

2

⚫ Mémoire sur le commerce maritime de Rouen, depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du seizième siècle, par Ernest de Fréville. Rouen et Paris, 1857; 2 vol. in-8°.

« PreviousContinue »