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à le croire, car les résultats auxquels arrive M. Flourens établissent entre l'âme et le corps l'infranchissable distinction qu'admet l'instinct du genre humain. Sans doute le rôle de l'organisme est nettement précisé, sans doute il est nécessaire aux manifestations de l'intelligence, mais il ne les crée ni ne les absorbe.

La seconde partie du livre sera lue avec un autre genre d'intérêt que la première partie; on y trouve l'histoire des divers travaux entrepris depuis le commencement du XVIIIe siècle par les principaux physiologistes sur les diverses questions que M. Flourens a discutées et résolues dans l'autre partie de l'ouvrage. Cet exposé est plein d'intérêt, on y voit bien ce qui a manqué aux devanciers de M. Flourens pour trouver la solution du problème de la vie. Mais il nous semble que celle que luimême propose n'est pas entièrement à l'abri des critiques qu'il fait, et après avoir lu, nous répétons encore, sans bien connaître la réponse : Qu'est-ce que la vie?

Au moment de clore ce bulletin, nous recevons un nouvel ouvrage que M. VILLEMAIN vient de consacrer à Chateaubriand '.

Ce volume est le premier d'une série de livres qui seront publiés sur les principaux orateurs modernes. M. Villemain annonce l'inten tion d'introduire successivement dans cette galerie, les portraits de Fox, de Burke, de Canning, de lord Grey, du général Foy, et de MM. Lainé, de Serres, Royer-Collard. C'est une grande entreprise noblement et grandement inaugurée, car Chateaubriand est et demeurera la figure littéraire la plus imposante de ce siècle, dans un pays qui n'a produit ni Byron, ni Goethe. On peut, il est vrai, se demander si le nom de Chateaubriand sera jamais un nom politique, et s'il n'eût pas été ́ mieux placé en étant gravé sur les murailles du Panthéon poétique de la France, qu'en étant inscrit sur les dalles de la chapelle commémorative élevée aux gloires parlementaires. Nous posons la question. Nous essaierons plus tard de la résoudre, et nous consacrerons dans un de nos prochains numéros un article spécial à l'étude de cet important ouvrage. Il est cependant à présumer que M. Villemain, dans l'appréciation qu'il a dû faire des titres de Chateaubriand à la renommée, a su, mieux que personne, distinguer la stabilité des grandeurs littéraires de la vicissitude des fortunes politiques.

1 TRIBUNE MODERNE M. de Chateaubriand, par M. Villemain, Paris, 1858, Michel Lévy; 1 vol. in-8°.

JEAN CALAS ET SA FAMILLE'.

Après avoir raconté, dans des vers épiques, le sacrifice d'Iphigénie, le poëte Lucrèce s'écrie:

Tantum relligio potuit suadere malorum!

La religion, ou, pour mieux traduire Lucrèce, la superstition, a causé depuis lors bien d'autres calamités que l'immolation apocryphe de la fille du roi des rois; toutefois, il nous sera permis de constater dans cette histoire de l'esprit humain et de ses lamentables erreurs, que le dernier des criminels effets de la superstition dans l'occident de l'Europe, a été un effrayant châtiment infligé à un père, pour avoir, lui aussi, attenté aux jours de son enfant. Il reste seulement à savoir si c'est Jean Calas, comme le dit l'arrêt qui l'a condamné, ou si ce sont ses juges qui sont responsables du crime que leur a fait commettre l'antique relligio du poëte latin.

Ce procès n'est pas, en effet, aussi bien vidé qu'on est porté à le croire dans le monde protestant. Là, toutes les traditions aidant (nous ne parlons pas de la conviction qui se crée par la force même du sentiment paternel), on affirme que jamais un père n'aurait eu même la pensée de mettre à mort son fils de ses propres mains, parce que ce fils aurait manifesté l'intention d'abjurer sa religion, et on laisse au premier des Brutus ces actes de sévérité païenne. Pour les réformés, Jean Calas est donc, indépendamment de toute preuve judiciaire, innocent du crime qu'il aurait expié sur la roue, et sa mort est celle d'un martyr. Sur ce point, il n'y a jamais eu l'ombre d'un doute, et il ne viendrait pas plus à l'esprit d'un protestant de discuter l'innocence ou la culpabilité de Calas que la lumière du soleil.

Chez les catholiques, et surtout au sein des populations volontiers exaltées du midi de la France, il paraît qu'il n'en est pas encore ainsi. Là, on a cru au dix-huitième siècle, que dis-je? on croit encore que la reli

Jean Culas et sa famille, étude historique d'après les documents originaux, suivie des dépêches du comte de Saint-Florentin, ministre-secrétaire d'État et d'autres fonctionnaires publics et des lettres de la soeur A.-J. Fraisse, de la Visitation à Mile Anne Calas, par Athanase Coquerel fils, pasteur et suffragant de l'Église réformée de Paris. Paris, 1858, Joël Cherbuliez; 1 vol. in-12 de XVII et 522 pages.

gion qu'il professait exigeait que Jean Calas mît à mort son fils Marc-Antoine pour prévenir son apostasie, qu'il l'a pendu, en effet, et que le parlement de Toulouse a justement condamné Jean Calas. C'est une thèse que l'Univers religieux, par exemple, aime à discuter, et nous n'avons pas été peu surpris de la retrouver traitée avec un certain appareil dans un ouvrage tout récent qu'a publié M. de Bastard sur l'histoire des anciens parlements. Il est vrai que le nom de Bastard figure comme celui du premier président du parlement de Toulouse qui condamna l'infortuné Calas. On voit comment l'exagération de parti peut se combiner avec les traditions de famille, et pourquoi les historiens protestants en sont réduits à recommencer l'histoire de cet abominable procès.

C'est ainsi que se justifie l'ouvrage de M. A. Coquerel fils, que nous annonçons: non-seulement il était loin d'être inutile, mais encore nous croyons que le moment était venu de porter enfin d'une main ferme, sagace et impartiale, la lumière de la critique historique dans les détails de cette cause, que la mauvaise foi a si étrangement falsifiée depuis les éloquents pamphlets de Voltaire. M. Coquerel n'a point reculé devant les exigences et les labeurs de ces recherches, aussi ardues, aussi difficiles que minutieuses, et c'est ce qui donne un prix tout particulier, nous dirons même tout exceptionnel, à son livre. Dans un sujet très-restreint, M. Coquerel a su concentrer, en effet, une discussion judiciaire qui ne laisse aucune prise aux adversaires de la thèse qu'il soutient, car toutes ses allégations reposent sur des preuves historiques, dont un certain nombre, enfouies dans les archives de Toulouse et de Paris, étaient jusqu'à présent restées parfaitement inconnues. Reprenant tout le procès de Jean Calas depuis son origine, M. Coquerel cite, extrait ou analyse l'immense dossier des pièces qui le composent, et il arrive ainsi sans déclamation, sans emphase, par le simple exposé des faits, à conduire le lecteur, au milieu des péripéties les plus douloureuses, jusqu'à la fin de celle sanglante tragédie: il ne le quitte qu'après lui avoir arraché l'aveu, par la force même des preuves qu'il accumule, que Jean Calas était in

nocent.

Nous disons que M. Coquerel ne s'est livré à aucune déclamation. Le sujet, cependant, y prêtait. Que de rhéteurs, que de dramaturges l'ont déjà exploité! M. Coquerel ne jette pas même l'anathème sur ces juges de Toulouse, sur ces capitouls, sur ce parlement, qui ont montré dans toute cette procédure une légèreté, une mauvaise foi, et un désir de trouver des coupables qui dépassent toute imagination. M. Coquerel a préféré recher

cher la cause première de l'assassinat de Calas dans les tendances de l'esprit toulousain à celle date, et il montre très-bien sous quelle pression populaire a été commis cet attentat. Nous approuvons cette sage retenue, d'abord parce qu'elle respecte la vérité historique, puis, parce que, dominant l'ensemble de ces recherches, elle est le garant le plus sûr de la fidélité et de la vérité de toute l'argumentation.

Nous ne terminerons pas cette rapide appréciation de l'ouvrage de M. Coquerel sans signaler au lecteur un appendice extrêmement intéressant. Ce sont d'abord des dépêches adressées par les magistrats du Languedoc au comte de Saint-Florentin, et les réponses de ce ministre. Elles trahissent surtout les angoisses qu'avait laissées cet étrange procès dans la conscience des juges, et les premiers symptômes de l'indignation publique qui devait éclater bientôt d'un bout de l'Europe à l'autre. En outre, après le supplice de Jean Calas et l'acquittement du reste de sa famille (étrange contradiction, car si Calas était coupable, les siens étaient nécessairement ses complices), la plus jeune de ses filles, (Anne ou Nanette, fut enfermée, de par la loi de ce temps-là, dans un couvent de Visitandines. Si Nanette ne s'y convertit pas au catholicisme, elle sut dn moins s'attirer, par son excellent caractère et son esprit, l'affection des bonnes sœurs, et l'une d'elles, la sœur Anne-Julie Fraisse, resta pendant les dernières années de sa vie en correspondance suivie avec la jeune huguenote. Ce sont ces lettres, charmantes de pensée, de mouvements partis du cœur, et souvent aussi de style, que M. Coquerel a eu la bonne fortune de pouvoir publier à la suite de son histoire de la famille Calas. Une sensibilité exquise est répandue dans ces lettres de la religieuse septuagénaire, et la sœur Fraisse s'élève parfois, dans sa simplicité, jusqu'à la véritable éloquence. Cette correspondance restera comme un intéressant monument de la langue française au dix-huitième siècle, car elle a été écrite non-seulement en dehors de Paris, mais encore du fond d'un monastère du Languedoc. Enfin, les bibliographes remercieront M. Coquere! d'avoir réuni dans un dernier chapitre les titres et la description de tous les écrits, gravures, etc., auxquels a donné lieu, dans tous les pays de l'Europe, la mort de Jean Calas.

De quelle façon devons-nous maintenant conclure? Dirons-nous que l'histoire des Calas, par M. Athanase Coquerel, mettra désormais une fin aux âpres discussions qui se sont élevées, qui s'élèvent encore sur ce triste sujet? Nous le voudrions: nous ne l'espérons pas. L'esprit de l'homme est désespérément malin, et dans une cause où il semble que

la religion, l'honneur du pays natal, celui des familles et des tribunaux sont intéressés, il serait bien difficile de demander à ceux qui sont placés sous ces influences directes, même après un siècle écoulé, l'impartialité dont M. Coquerel a donné l'exemple. Quoi qu'il en soit de ce but secondaire, nous ne craignons pas d affirmer que le livre de M. Coquerel suffira à tout esprit droit et qui cherche la vérité pour elle-même, et dans les œuvres de la critique historique, c'est assurément le plus fécond résultat auquel il soit permis à un auteur d'arriver.

J.

ROBERT EMMET.1 vol. in-18. Paris, chez Michel Lévy.

Robert Emmet était un jeune homme irlandais, qui, dans les premières années de ce siècle, tenta de soulever sa patrie contre la domination anglaise. Le moment n'était guère opportun, la grande insurrection de 1798 était encore trop fraîche dans la mémoire de la nation, pour qu'elle s'exposât volontiers aux chances nouvelles d'une lutte sanglante et inégale; mais Robert Emmet était de nature enthousiaste: rêvant la libération de l'Irlande, il voyait le but, sans arrêter ses regards sur les obstacles qui l'en séparaient. Dans un voyage qu'il fit en France, il eut l'occasion d'entretenir le premier consul de ses plans d'insurrection. Napoléon préparait alors, à Boulogne, l'expédition qui se termina, comme on sait, par une campagne d'Allemagne. Le soulèvement de l'Irlande devait coïncider avec la descente de l'armée française sur les côtes britanniques. Cette puissante diversion donnait peut-être quelque chance de succès à une rebellion conduite par des hommes dévoués et énergiques. La conspiration fut ourdie dans le plus grand secret, mais un accident, l'explosion d'un magasin à poudre, donna l'éveil et précipita la crise. Au jour de l'action, Robert Emmet, suivi par cinquante hommes environ, fut défait presque sans combat; il erra pendant quelque temps dans le pays; une occasion lui fut offerte de s'enfuir, mais il la refusa et revint à Dublin où l'attirait un amour qui était alors un mystère et qui devait plus tard fournir au poëte de l'Irlande quelques-unes de ses strophes les plus touchantes. La police ne tarda pas à dépister le patriote rebelle: Robert Emmet fut saisi et jugé. Il voulut être son propre avocat et le discours qu'il prononça devant le tribunal est demeuré célèbre, car il n'est pas le plaidoyer d'un individu, mais l'acte d'accusation d'un pays. Une telle défense ne devait pas le faire

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