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M. VEUILLOT ET LE PARTI CATHOLIQUE.

MÉLANGES RELIGIEUX, HISTORIQUES, POLITIQUES ET LITTÉRAIRES '.

Par Louis VEUILLOT
RÉDACTEUR EN CHEF DE L'UNIVERS.

Il y a dans les choses humaines une certaine pente qu'on ne remonte point.

M. Thiers disait : « J'ai connu trois journalistes, Carrel, Rémusat et moi. » L'historien futur dira que la France a eu trois journaux le National, les Débats et l'Univers.

L'Univers est un des événements du dix-neuvième siècle. Il a créé le parti catholique, il lui a prêté un organe, il lui a fait abandonner l'attitude de la défensive pour celle de l'attaque, il a suscité des embarras aux gouvernements, il a obtenu que le pouvoir comptât avec lui. L'histoire des quinze dernières années consacrera un chapitre à l'Univers. Or l'Univers est M. Veuillot; il est l'unité du journal. Dans les Débats, le caractère commun domine la physionomie individuelle des collaborateurs, et fait planer au-dessus d'eux je ne sais quelle personnalité collective; dans l'Univers, au contraire, les rédacteurs se modèlent sur leur chef, si bien que, sous des noms divers, il semble qu'on entende toujours M. Veuillot. Celui-ci ne parait pas disposé à méconnaitre l'importance du rôle qu'il joue dans la presse. Depuis que les journaux tendent à remplacer les livres, on nous a donné beaucoup de

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livres faits avec des articles de journaux. Toutefois, on s'était borné, ou à peu près, à recueillir des travaux de critique littéraire dans des volumes de format-Charpentier. M. Veuillot n'est pas aussi modeste il publie ses premiers-Paris, et il en publie six volumes in-octavo, quelque chose comme quatre mille pages de vieilles gazettes. L'auteur s'est soumis par là à une épreuve redoutable. Le journal politique est fait pour être lu jour par jour, et l'action qu'il exerce, l'autorité dont il jouit se composent d'impressions sans cesse produites, mais aussi effacées et modifiées sans cesse. La position change, lorsque les improvisations quotidiennes du journaliste sont fixées sur les pages d'un livre qui sera lu comme un livre, c'est-à-dire avec suite. Les termes de comparaison se rapprochent et se multiplient. Les redites se font sentir. Les vacillations d'opinions deviennent plus marquées, plus choquantes. L'événement a peut-être déjoué de trop confiantes prévisions.

Tout cela est arrivé à M. Veuillot. On sourit en lisant ses prophéties. Tantôt c'est la France qui est définitivement républicaine, tantôt c'est l'Angleterre qui va se coaliser avec la Russie contre le mouvement de 1848. Il y a douze ans, la Revue des Deux Mondes était tout près de sa fin; aujourd'hui, le journaliste reconnaît qu'elle est plus florissante que jamais. De pareilles erreurs sont vénielles, sans doute. Plus un homme est énergique dans ses convictions, plus il en appelle avec confiance à l'avenir pour la justification de ses vues. Saint Bernard ne garantissait-il pas la victoire aux croisés, et Joseph de Maistre n'est-il pas célèbre par un assez grand nombre de prédictions que l'événement s'est plu à tourner en ridicule? Malheureusement, ce n'est pas là le seul tour que la collection. des articles de M. Veuillot lui ait joué. On savait que sa ligne politique avait fléchi, on n'était guère préparé à voir se dérouler une série de changements si brusques et si complets. En 1846, l'Univers avait déjà soutenu une campagne pour la liberté de l'enseignement, et il était à la veille d'en entreprendre

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une autre. Il avait, dans ces luttes, élevé un drapeau, trouvé un cri de ralliement, fondé un parti. Il comptait à la tribune un puissant auxiliaire dans l'éloquence de M. de Montalembert. Il était intervenu dans les élections, et avait réussi à imposer quelques mandats impératifs. Bref, la discussion semblait servir l'Univers, et l'Univers ne cachait plus ses espérances. On se proposait l'exemple d'O'Connell, celui de la Belgique. On se promettait de vendre ses services au parti le plus offrant, et de devenir ainsi maître de la situation. Qu'y a-t-il d'étonnant, si l'on se sentait alors quelque faiblesse pour la liberté de la presse, la liberté d'association et le régime parlementaire? Aussi M. Veuillot célébrait-il d'un ton dithyrambique « la largeur et la beauté de la voie nouvelle que l'Eglise catholique ouvrait à ses éternelles destinées. >> Le mouvement, continuait-il, inauguré avec tant de labeurs dans les dernières années de la Restauration, et qui n'était peut-être alors que l'instinct supérieur de la vie cherchant à se dégager des mortelles étreintes du passé, se développe aux yeux, splendide comme l'annonce du jour... La religion a besoin de la liberté, la liberté a besoin de la religion, et elles jettent entre elles les bases d'une loyale alliance. Voilà le grand fait de ce siècle. Nous disons que ce fait est heureux, et il n'est pas un cœur droit, il n'est pas un esprit élevé qui ne le salue avec des tressaillements d'espérance et d'amour. » Et plus loin: «L'abbé Siéyès a eu plus de mémoire et de science théologique que d'invention, lorsqu'il a tracé, au flambeau de ses études sacerdotales, cette célèbre Déclaration des droits de l'homme, dont la charte de 1830 n'est qu'une édition corrigée sur l'avis des événements et sur les besoins de la France. En entrant dans la charte, nous entrons donc chez nous. » Enfin les voltairiens étaient représentés comme seuls intéressés à rétablir la religion d'Etat, « ce siége d'évêque du dehors, où Louis XIV lui-même n'a pu s'asseoir complétement. >>

J'ai transcrit ces curieux passages pour aider le lecteur à

mesurer les progrès que l'Univers a faits depuis dix ans. Mais ce journal n'est pas arrivé au terme d'un seul bond. La révolution de février changea le zèle libéral de M. Veuillot en ardeur démocratique. En 1845, le parti républicain était, selon lui, écrasé par le mépris, et n'offrait que les débris impuissants d'une faction qui ne méritait même plus qu'on la surveillåt. En 1848, au contraire, nous lisons que la théologie catholique a proclamé le droit divin des peuples, que la république existait dans ce principe comme l'enfant dans le sein de sa mère, que la révolution française est un écoulement du christianisme, et que la monarchie a définitivement perdu sa cause.

Cependant on se lasse de tout, même des droits de l'homme, et vers le milieu de 1850 l'Univers était devenu légitimiste et fusionniste. Ce n'était pas sa dernière évolution. La veille du 2 décembre, l'empire n'était encore pour lui «qu'un césarisme brutal appuyé sur la démagogie armée et insolente; » dès le lendemain, les amis du journal s'étonnaient de le voir si bien consolé. Je ne veux pas dire que ces changements ne puissent s'expliquer; M. Veuillot n'est pas le seul que l'expérience ait refroidi ou désabusé; il fait lui-même, et d'assez bonne grâce, l'aveu de ses variations; au fond, dit-il, il n'a jamais été que d'un parti, celui de l'Eglise. A la bonne heure; seulement il ne fallait pas identifier tour à tour la cause de l'Eglise avec des régimes si divers, avec les principes de 89, la charte de 1830 et la constitution de 1852.

D'ailleurs, si le caractère de l'homme ne souffre pas de la mobilité politique de l'écrivain, il faut bien avouer que les Mė– langes de M. Veuillot y perdent un peu de leur intérêt. De quel droit solliciter notre sympathie pour d'interminables discussions sur l'enseignement, lorsque vous désavouez aujourd'hui le principe qui vous mettait jadis la plume à la main? Que nous importe l'insistance avec laquelle vous réclamiez la liberté comme en Belgique, du moment que vous déclarez vos préférences pour un concordat comme en Autriche?

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