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TROISIEME SOIR.

Particularités du Monde de la Lune. Que les autres Planètes font habitées auffi.

LA

A Marquife voulut m'engager pendant le jour à pourfuivre nos Entretiens; mais je lui représentai que nous ne devions confier de telles rêveries qu'à la Lune & aux Etoiles, puifqu'auffi bien elles en étoient l'objet. Nous ne manquâmes pas à aller le foir dans le Parc, qui devenoit un lieu confacré à nos Converfations favantes.

J'ai bien des nouvelles à vous apprendre, lui dis-je; la Lune que je vous difois hier, qui, felon toutes les apparences, étoit habitée, pourroit bien ne l'être point; j'ai pensé à une chofe qui met les Habitans en péril. Je ne fouffrirai point cela, répondit-elle. Hier vous m'aviez préparée à voir ces Gens-là venir ici au premier jour, & aujourd'hui ils ne feroient feulement pas au monde ? Vous ne vous jouerez point ainfi de moi. Vous m'avez fait croire

les Habitans de la Lune; j'ai furmonté la peine que j'y avois; je les croirai. Vous allez bien vite, repris-je; il faut ne donner que la moitié de fon efprit aux chofes de cette efpèce que l'on croit, & en réserver une autre moitié libre, où le contraire puiffe être admis s'il en eft befoin. Je ne me paye point de fentences, repliqua-t-elle; allons au fait. Ne faut-il pas raifonner de la Lune comme de Saint-Denis? Non, répondis-je; la Lune ne reffemble pas autant à la Terre que Saint-Denis reffemble à Paris. Le Soleil élève de la Terre & des Eaux des exhalaifons & des vapeurs, qui montant en l'air jufqu'à quelque hauteur, s'y affemblent, & forment les nuages. Ces nuages fufpendus voltigent irrégulièrement autour de notre Globe, & ombragent tantôt un Pays, tantôt un autre. Qui verroit la Terre de loin, remarqueroit fouvent quelques changemens fur fa furface, parce qu'un grand Pays couvert par des nuages, feroit un endroit obfcur, & deviendroit plus lumineux dès qu'il feroit découvert. On verroit des taches qui changeroient de place, ou s'affembleroient diverfement, ou dif paroîtroient tout-à-fait. On verroit donc auffi ces mêmes changemens fur la fur

face de la Lune, fi elle avoit des nuages autour d'elle; mais tout au contraire, toutes les taches font fixes, fes endroits lumineux le font toujours, & voilà le malheur. A ce compte là, le Soleil n'élève point de vapeurs ni d'exhalaisons de deflis la Lune. C'est donc un Corps infiniment plus dur & plus folide que notre Terre, dont les parties les plus fubtiles fe dégagent ailément d'avec les autres, & montent en haut dès qu'elles font mifes en mouvement par la chaleur. Il faut que ce foit quelques amas de rochers & de marbres, où il ne se fait point d'évaporation; d'ailleurs elles fe font fi naturellement & fi néceffairement où il y a des eaux, qu'il ne doit point y avoir d'eaux où il ne s'en fait point. Qui font donc les Habitans de ces rochers qui ne peuvent rien produire, & de ce Pays qui n'a point d'eaux ? Et quoi, s'écria t-elle, il ne vous fouvient plus que vous m'avez affuré qu'il y avoit dans la Lune des Mers que l'on diftinguoit d'ici? Ce n'eft qu'une conjecture, répondis-je, j'en fuis bien fâché. Ces endroits obfcurs qu'on prend pour des Mers, ne font peut-être que de grandes cavités. De la diftance où nous fommes," il eft permis de ne pas deviner tout-à

fait jufte. Mais, dit-elle, cela fuffira-tit pour nous faire abandonner les Habitans de la Lune? Non pas tout à-fait, Madame répondis je; nous ne nous déterminerons ni pour eux, ni contre eux. Je vous avoue ma foibleffe, repliqua-t-elle; je ne fuis point capable d'une fi parfaite détermination, j'ai befoin de croire. Fixez-moi promptement à une opinion fur les Habitans de la Lune; confervons les, ou anéantiffonsles pour jamais, & qu'il n'en foit plus parlé mais confervons-les plutôt, s'il fe peut; j'ai pris pour eux une inclination que j'aurois de la peine à perdre. Je ne laifferai donc pas la Lune déferte, repris - je; repeuplons - la, pour vous faire plaifir. A la vérité, puifque l'apparence des taches de la Lune ne change point, on ne peut pas croire qu'elle ait des nuages autour d'elle, qui ombra. gent tantôt une partie, tantôt une autre; mais ce n'eft pas à dire qu'elle ne pouffe point hors d'elle de vapeurs ni d'exhalaifons. Nos nuages que nous voyons portés en l'air, ne font que des exhalaifons & des vapeurs, qui, au fortir de la Terre, étoient féparées en trop petites parties pour pouvoir être vues, & qui ont rencontré un peu plus haut

un froid qui les a refferrées & rendues vifibles, par la réunion de leurs parties; après quoi ce font de gros nuages qui flottent en l'Air, où ils font des Corps étrangers, jufqu'à ce qu'ils retombent en pluies. Mais ces mêmes vapeurs & ces mêmes exhalaisons se tiennent quelquefois affez difperfées pour être imperceptibles, & ne fe ramaffent qu'en formant des rofées très-fubtiles, qu'on ne voit tomber d'aucune nuée. Je fuppofe donc qu'il forte des vapeurs de la Lune, car enfin il faut qu'il en forte; il n'eft pas croyable que la Lune foit une maffe, dont toutes les parties foient d'une égale folidité, toutes également en repos les unes auprès des autres, toutes incapables de recevoir aucun changement par l'action du Soleil fur elles. Nous ne connoiffons aucun Corps de cette nature, les marbres mêmes n'en font pas; tout ce qui eft le plus folide change & s'altère, ou par le mouvement fecret & invifible qu'il en a en lui-même, ou par celui qu'il reçoit de dehors. Mais les vapeurs de la Lune ne fe raffembleront point autour d'elle en nuages, & ne retomberont point fur elle en pluies; elles ne formeront que des rofées. Il fuffit pour cela que l'Air, dont apparemment

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