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droit s'appelle Copernic, un autre Archimède, un autre Galilée; il y a un promontoire des fonges, une mer des pluies, une mer de nectar, une mer de crifes; enfin la defcription de la Lune eft fi exacte, qu'un Savant qui s'y trou veroit préfentement ne s'y égareroit non plus que je ferois dans Paris.

Mais, reprit elle, je ferois bien aife de favoir encore plus en détail comment eft fait le dedans du Pays. Il n'eft pas poffible, repliquai-je, que Meffieurs de l'Obfervatoire vous en inftruifent ; il faut le demander à Aftolfe, qui fut conduit dans la Lune par Saint Jean. Je vous parle d'une des plus agréables folies de l'Ariofte, & je fuis sûr que vous ferez bien aile de la favoir. J'avoue qu'il eût mieux fait de n'y pas mêler Saint Jean, dont le nom eft fi digne de respect; mais enfin c'eft une licence poétitique, qui peut feulement paffer pour un peu trop gaie. Cependant tout le Poëme eft dédié à un Cardinal, & un grand Pape l'a honoré d'une approbation éclatante que l'on voit au-devant de quelques éditions. Voici de quoi il s'agit. Roland, neveu de Charlemagne, étoit devenu fou, parce que la belle

Angélique lui avoit préféré Médor: Un jour Aftoife, brave Paladin, se trouva dans le Paradis Terreftre qui étoit fur la cime d'une montagne très haute où fon Hippogrife l'avoit porté. Là il rencontra Saint Jean, qui lui dit, que pour guérir la folie de Roland, il étoit néceffaire qu'ils fiffent enfemble le voyage de la Lune. Aftolfe qui ne demandoit qu'à voir du Pays, ne fe fait point prier, & auffi-tôt voilà un chariot de feu qui enlève par les airs l'Apêtre & le Paladir. Comme Aftolfe n'étoit pas grand Philofophe, il fut fort furpris de voir la Lune beaucoup plus grande qu'elle ne lui avoit paru de deffus la Terre. Il fut bien plus furpris encore de voir d'autres fleuves, d'autres lacs, d'autres montagnes, d'autres villes, d'autres forêts, & ce qui m'auroit bien furpris auffi, des Nymphes qui chaffoient dans ces forêts. Mais ce qu'il vit de plus rare dans la Lune, c'étoit un Vallon où fe trouvoit tout ce qui fe perdoit fur la Terre de quelque espèce qu'il fût, & les couronnes, & les richeffes, & la renommée, & une infinité d'espćrances, & le temps qu'on donne au jeu, & les aumônes qu'on fait faire

après fa mort, & les vers qu'on préfente aux Princes, & les foupirs des Amans.

Pour les foupirs des Amans, interrompit la Marquife, je ne fais pas fi du temps de l'Ariofte ils étoient perdus ; mais en ce temps ci, je n'en connois point qui aillent dans la Lune. N'y eûtil que vous, Madame, repris-je, vous y en avez fait aller un affez bon nombre. Enfin la Lune eft fi exacte à recueillir ce qui fe perd ici bas, que tout y eft; mais, l'Ariofte ne vous dit cela qu'à l'oreille, tout y eft jufqu'à la donation de Conftantin. C'eft que les Papes ont prétendu être maîtres de Rome & de l'Italie, en vertu d'une donation que l'Empereur Conftantin leur en avoit faite; & la vérité eft qu'on ne fauroit dire ce qu'elle eft devenue. Mais devinez de quelle forte de chofe on ne trouve point dans la Lune? de la folie. Tout ce qu'il y en a jamais eu fur la Terre, s'y eft très-bien confervé. En récompenfe, il n'eft pas croyable combien il y a dans la Lune d'Elprits perdus. Ce font autant de phioles pleines d'une liqueur fort fubtile, & qui s'évapore aifément fi elle n'eft enfermée; & fur chacune de ces phioles eft écrit le nom de celui à qui

l'Esprit appartient. Je crois que l'Ariofte les met toutes en un tas; mais j'aime mieux me figurer qu'elles font rangées bien proprement dans de longues galeries. Aftolfe fut fort étonné de voir que les phioles de beaucoup de gens qu'il avoit crus très-fages, étoient pourtant bien pleines; & pour moi je fuis perfuadé que la mienne s'eft remplie confidérablement depuis que je vous entretiens de vifions, tantôt philofophiques, tantôt poétiques. Mais ce qui me confole, qui me confole, c'eft qu'il n'eft pas poflible que par tout ce que je vous dis, je ne vous faffe avoir bientôt auffi une petite phiole dans la Lune. Le bon Paladin ne manqua pas de trouver la fienne parmi tant d'autres. Il s'en faifit avec la permiffion de Saint Jean, & reprit tout fon Esprit par le nez com. me de l'eau de la Reine d'Hongrie; mais P'Ariofte dit qu'il ne le porta pas bienloin, & qu'il le laiffa retourner dans la Lune par une folie qu'il fit à quelque temps de là. Il n'oublia pas la phiole de Roland, qui étoit le fujet du voyage. Il eut affez de peine à la porter; car l'Esprit de ce Héros étoit de fa nature affez pefant, & il n'y en manquoit pas une feule goutte. Enfuite l'Ariofte, felon fa louable coutume de dire tout ce qu'il

lui

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lui plaît, apoftrophe fa Maîtreffe, & lui dit en de fort beaux vers: Qui montera aux Cieux ma Belle, pour en rapporter l'Esprit que vos charmes m'ont fait perdre? Je ne me plaindrois pas de cette perte là, pourvu qu'elle n'allât pas plus loin ; mais s'il faut que la chofe continue comme elle a commencé, je n'ai qu'à m'attendre à de venir tel que j'ai décrit Roland. Je ne crois pourtant pas que pour ravoir mon Efprit il foit befoin que j'aille par les Airs jufques dans la Lune; mon Efprit ne loge pas ft. haut; il va errant fur vos yeux, fur votre bouche, & fi vous voulez bien que je m'en reffaififfe, permettez que je le recueille avec mes lèvres. Cela n'eft-il pas joli? Pour moi, à raisonner comme l'Ariofte, je ferois d'avis qu'on ne perdît jamais l'ECprit que par l'Amour; car vous voyez qu'il ne va pas bien loin, & qu'il ne faut que des lèvres qui fachent le recouvrer: mais quand on le perd par d'autres voies, comme nous le perdons, par exemple à philofopher préfentement, il va droit dans la Lune, & on ne le rattrape pas quand on veut. En récompenfe, répondit la Marquife, nos phioles feront honorablement dans le quartier des-phioles philofophiques; au lieu que nos Efprits iroient peut-être errans fur quelqu'un Tome II,

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