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la Terre eft entre elle & le Soleil, & toute la moitié obfcure de la Terre eft tournée vers toute la moitié lumineufe de la Lune. L'ombre de la Terre se jette donc vers la Lune; fi elle tombe fur le Corps de la Lune, elle noircit cette moitié lumineufe que nous voyons, & à cette moitié lumineufe qui avoit le jour, elle lui dérobe le Soleil. Voilà donc une Eclipfe de Lune pendant notre nuit, &une Eclipfe de Soleil pour la Lune pendant le jour dont elle jouiffoit. Ce qui fait qu'il n'arrive pas des Eclipfes toutes les fois que la Lune eft entre le Soleil & la Terre, ou la Terre entre le Soleil & la Lune, c'eft que fouvent ces trois Corps ne font pas exactement rangés en ligne droite, & que par conféquent celui qui devroit faire l'Eclipse, jette fon ombre un peu à côté de celui qui en devroit être couvert.

Je fuis fort étonnée, dit la Marquife, qu'il y ait fi peu de myftère aux Eclipfes, & que tout le monde n'en devine pas la caufe. Ah! vraiment, répondis-je, il y a bien des Peuples, qui de la manière dont ils s'y prennent, ne la devineront encore de long-temps, Dans toutes les Indes Orientales on croit que quand le Soleil & la Lune s'éclipfent, c'est qu'un

certain Dragon qui a les griffes fort noires, les étend fur ces Aftres dont il veut fe faifir; & vous voyez pendant ce temps-là les rivières couvertes de Têtes d'Indiens qui fe font mis dans l'eau jufqu'au col, parce que c'eft une fituation très dévote felon eux, & très-propre à obtenir du Soleil & de la Lune qu'ils fe défendent bien contre le Dragon. En Amérique on étoit perfuadé que le Soleil & la Lune étoient fâchés quand ils s'éclipfoient, & Dieu fait ce qu'on ne faifoit pas pour le raccommoder avec eux. Mais les Grecs qui étoient fi raffinés n'ont-ils pas cru long-temps que la Lune étoit enforcelée, & que des Magiciennes la faifoient defcendre du Ciel pour jetter fur les herbes une certaine écume malfaifante? Et nous, n'eûmesnous pas belle peur il n'y a que trentedeux ans, à une certaine Eclipfe de Soleil, qui a la vérité fut totale? Une infinité de Gens ne fe tinrent-ils pas enfermés dans des Caves? & les Philofophes qui écrivirent pour nous raffurer, n'écrivirent-ils pas en vain ou à-peu

* En 1654.

près ceux qui s'étoient refugiés dans les Caves en fortirent-ils ?

En vérité, reprit-elle, tout cela eft trop honteux pour les hommes ; il devroit y avoir un Arrêt du Genre humain, qui défendît qu'on parlât jamais d'Eclipfe, de peur que l'on ne conferve la mémoire des fottifes qui ont été faites ou dites fur ce chapitre-là. Il faudroit donc, repliquai-je, que le même Arrêt abolit la mémoire de toutes chofes & défendit qu'on parlât jamais de rien; car je ne fache rien au monde qui ne foit le monument de quelque fottife des hommes.

Dites moi, je vous prie, une chofe, dit la Marquife; ont-ils autant de peur des Eclipfes dans la Lune, que nous en avons ici? Il me paroîtroit tout à fait burlefque que les Indiens de ce Payslà fe miffent à l'eau comme les nôtres s; que les Américains cruffent notre Terre fâchée contre eux; que les Grecs s'ima→ ginaffent que nous fuffions enforcelés, & que nous allaffions gâter leurs herbes, & qu'enfin nous leur rendiffions la confternation qu'ils caufent ici-bas. Je n'en doute nullement, répondis-je. Je voudrois bien favoir pourquoi Meffieurs de

la Lune auroient l'efprit plus fort que nous. De quel droit nous feront-ils peur fans que nous leur en faffions? Je croirois même, ajoutai - je en riant, que comme un nombré prodigieux d'hommes ont été affez fous, & le font encore affez pour adorer la Lune; il y a des gens dans la Lune qui adorent auffi la Terre, & que nous fommes à genoux les uns devant les autres. Après cela, dit-elle, nous pouvons bien prétendre à envoyer des influences à la Lune, & à donner des crifes à fes malades; mais comme il ne faut qu'un peu d'esprit & d'habileté dans les gens de ce Pays-là, pour détruire tous ces honneurs dont nous nous flattons, j'avoue que je crains toujours que nous n'ayons quelque défavantage.

Ne craignez rien, répondis je ; il n'y a pas d'apparence que nous foyons la feule fotte espèce de l'Univers. L'ignorance eft quelque chofe de bien propre à être généralement répandu; & quoique je ne faffe que deviner celle des Gens de la Lune, je n'en doute non plus que des nouvelles les plus sûres qui nous viennent de là.

Et quelles font ces nouvelles sûres, interrompit elle? ce font celles, répon

dis-je, qui nous font rapportées par ces Savans qui y voyagent tous les jours avec des Lunettes d'approche. Ils vous diront qu'ils y ont découvert des terres, des mers, des lacs, de très-hautes montagnes, des abymes très-profonds.

Vous me furprenez, reprit-elle. Je conçois bien qu'on peut découvrir fur la Lune des montagnes & des abymes, cela fe reconnoît apparemment à des inégalités remarquables; mais comment diftinguer des terres & des mers? On les diftingue, répondis-je, parce que les eaux qui laiffent paffer au travers d'elles-mêmes une partie de la lumière, & qui en renvoient moins, paroiffent de loin comme des taches obfcures, & què les terres qui par leur folidité la renvoient toute, font des endroits plus bril lans. L'illuftre M. Caffini, l'homme du monde à qui le Ciel eft le mieux connu, a découvert fur la Lune quelque chofe qui fe fépare en deux, fe réunit enfuite, & fe va perdre dans une espèce de puits. Nous pouvons nous flatter avec bien de l'apparence que c'est une rivière. Enfin, on connoît affez toutes ces différentes parties pour leur avoir donné des noms, & ce font fouvent des noms de Savans. Un en

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