Page images
PDF
EPUB

Il paroît pourtant par les pièces même de ce fameux procès, que Rome avoit encore l'air extrêmement Payen; car Saint Ambroife demande à Symmaque s'il ne fuffit pas aux Payens d'avoir les places publiques, les portiques, les bains remplis de leurs fimulacres, & s'il faut encore que leur Autel de la Victoire foit placé dans le Capitole, qui eft le lieu de la Ville où il vient le plus de Chrétiens, afin que ces Chré tiens, dit-il, reçoivent malgré eux la fumée des facrifices dans leurs yeux, la mufique dans leurs oreilles, les cendres dans leur gofier, & l'encens dans leur nez.

Mais lors même que Rome étoit affiégée par Alaric, fous Honorius, elle étoit encore picine d'Idoles, Zozime dit que, comme tout devoit alors confpirer à la perte de cette malheureufe Ville, non-feulement on ôta aux Dieux leurs parures, mais que l'on fondit quelquesuns de ces Dieux qui étoient d'or ou d'argent, & que de ce nombre fut la Vertu ou la Force, après quoi auffi elle abandonna entièrement les Romains. Zozime ne doutoit pas que cette belle pointe ne renfermât la véritable cause de la prife de Rome.

On ne fait fi, fur la foi de cet Auteur, on peut recevoir l'Hiftoire fuivante. Honorius défendit à ceux qui n'étoient pas Chrétiens de paroître à la Cour avec un baudrier, ni d'avoir aucun commandement. Generid, Payen, & même Barbare, mais très-brave homme, qui commandoit les troupes de Pannonie & de Dalmatie, ne parut plus chez l'Empereur, mit bas le baudrier, & ne fit plus aucunes fonctions de fa charge. Honorius lui demandant un jour pourquoi il ne venoit pas au Palais en fon rang, felon qu'il y étoit obligé, il lui représenta qu'il y avoit une Loi qui lui ôtoit le baudrier & le commandement. L'Empereur lui dit que cette Loi n'étoit pas pour un homme comme lui; mais Generid répondit qu'il ne pouvoit recevoir une diftinction qui le féparoit d'avec tous ceux qui profeffoient le même culte. En effet, il ne reprit point les fonctions de fa charge, jufqu'à ce que l'Empereur, vaincu par la néceffité, eût lui-même rétracté fa Loi. Si cette Hiftoire eft vraie, on peut juger qu'Honorius ne contribua pas beaucoup à la ruine du Paganisme.

Mais enfin, tout l'exercice de Religion Payenne fut défendu fous peine de la vie, par une conftitution des Empereurs Valentinien III & Martien, l'an 451 de Jefus-Chrift. C'étoit à le dernier coup que l'on pût porter à cette fauffe Religion. On trouve pourtant que les mêmes Empereurs, qui étoient fi zélés pour l'avancement du Chriftia-v nifme, ne laiffoient pas de conferver quelques reftes du Paganisme, peutêtre affez confidérables. Ils prenoient, par exemple, le titre de Souverains Pontifes, & cela vouloit dire Souverains Pontifes des Augures, des Arufpices, enfin de tous les Collèges des Prêtres Payens, & Chefs de toute l'ancienne idolâtrie Romaine.

[ocr errors]

Zozime prétend que le grand Conftantin même, & Valentinien & Valens, reçurent volontiers des Pontifes Payens, & ce titre, & l'habit de cette dignité, qu'on leur alloit offrir felon la coutume à leur avénement à l'Empire mais que Gratien refufa l'équipage Pontifical; & que quand on le reporta aux Pontifes, le premier d'entr'eux dit tout en colère: Si Princeps

non vult appellari Pontifex, admodùm brevi Pontifex Maximus fiet. C'eft une pointe attachée aux mots latins, & fondée fur ce que Maxime fe révoltoit alors contre Gratien pour le dépouiller de l'Empire.

Mais un témoignage plus irréprochable fur ce chapitre là, que celui de Zozime, c'eft celui des infcriptions. On y voit le titre de Souverain Pontife donné à des Empereurs Chrétiens ; & même dans le fixième fiècle, deux cents ans après que le Chriftianifme étoit montéfurle Trône, l'Empereur Juftin (1) parmi toutes les autres qualités, prend celle de Souverain Pontife, dans une infcription qu'il avoit fait faire pour la Ville de Juftinopolis en Iftrie, à laquelle il donnoit fon nom.

Etre un des Dieux d'une fauffe Religion, c'est encore bien pis que d'en être le Souverain Pontife. Le Paganisme avoit érigé les Empereurs Romains en Dieux; & pourquoi non? Il avoit bien érigé la Ville de Rome en Déeffe. Les Empereurs Théodofe & Arcadius,

(1) Gruter..

quoique Chrétiens, fouffrent que Symmaque, ce grand défenfeur du Paganifme, les traite de votre Divinité, ce qu'il ne pouvoit dire que dans le fens & felon la coutume des Payens; & nous voyons des infcriptions en l'honneur d'Arcadius & d'Honorius qui portent : Un tel dévoué à leur Divinité & à leur Majefté.

Mais les Empereurs Chrétiens ne reçoivent pas feulement ces titres, ils fe les donnent eux-mêmes. On ne voit autre chofe dans les conftitutions de Théodose, de Valentinien, d'Honorius & d'Anaftafe. Tantôt ils nomment leurs Edits des Statuts Céleftes, des Oracles divins; tantôt ils difent nettement, la très-heureuse expédition de notre Divi nité, &c.

On peut dire que ce n'étoit-là qu'un ftyle de Chancellerie : mais c'étoit un fort mauvais ftyle, ridicule pendant le Paganifme même, & impie dans le Chriftianifme; & puis, n'eft-il pas merveilleux que de pareilles extravagances deviennent des manières de parler familières & communes, dont on ne peut plus fe paffer?

« PreviousContinue »