Page images
PDF
EPUB

Céfar & de Pompée, & dans ce défordre général de l'Univers, l'Oracle ait été muet, comme le veut Lucain; qu'enfin après la fin de cette guerre, lorfque Ciceron écrivoit fes Livres de Philofophie, il commença à fe rétablir affez pour donner lieu à Quintus de dire qu'il étoit encore au monde, & affez peu pour donner lieu à Ciceron de fuppofer qu'il n'y étoit plus.

Quand Dorimaque, au rapport de Polybe, brûla les portiques du Temple de Dodone, renverfa de fond en comble le lieu facré de l'Oracle, pilla ou ruina toutes les offrandes, un Auteur de ce temps là auroit bien pu dire que l'Oracle de Dodone ne parloit plus. Cela n'empêcheroit pas que dans le fiècle fuivant on ne trouvât un autre Auteur qui en rapporteroit quelque réponse.

*

CHAPITRE III.

Hiftoire de la durée de l'Oracle de •Delphes, & de quelques autres Oracles.

Nous ne faurions mieux prouver que

vers le temps de la naiffance de J. C. où l'on parle tant du filence de l'Oracle de Delphes, il n'avoit pas ceffé toutà-fait, mais étoit feulement interrompu, qu'en rapportant toutes les occalions différentes où l'on trouve depuis ce temps-là qu'il a parlé.

Suétone, dans la vie de Néron, dit que l'Oracle de Delphes l'avertit qu'il fe donnât de garde des 73 ans ; que Néron crut qu'il ne devoit mourir qu'à cet âge-là, & ne fongea point au vieux Galba, qui, étant âgé de 73 ans, lui ôta l'Empire. Cela le perfuada fi bien de fon bonheur, qu'ayant perdu par un naufrage des chofes d'un très-grand prix, il fe vanta que les poiffons les lui rapporteroient.

Il falloit qu'il eût reçu du même Oracle de Delphes quelque réponse

qui lui parût moins agréable, ou qu'il ne fe contentât plus d'être destiné à vivre 73 ans (1), lorsqu'il ôta aux Prêtres de Delphes les champs de Cirrhe pour les donner à des Soldats, qu'il enleva du Temple plus de 500 flatues, foit d'hommes, foit de Dieux, toutes de bronze, & que pour profaner ou pour abolir à jamais l'Oracle, il fit égorger des hommes à l'ouverture de la Caverne facrée d'où fortoit l'efprit divin.

Que l'Oracle, après une telle aventure, ait été muet jufqu'au temps de Domitien, en forte que Juvenal ait pu dire alors que Delphes ne parloit plus, cela n'eft pas merveilleux.

Cependant il ne faut pas qu'il ait été tout-à-fait muet depuis Néron jufqu'à Domitien; car voici comme parle Philoftrate dans la vie d'Apollonius de Tyane, qui a vu Domitien: Apollonius vifita tous les Oracles de la Grèce, & celui de Dodone, & celui de Delphes, & celui d'Amphiaraus, &c. Ailleurs il parle encore ainfi: Vous pouvez voir Apollon de Delphes illufire par les Oracles qu'il rend au milieu de la Grèce. Il répond à ceux qui

(1) Dion Caffius, Paufanias.

le confultent, comme vous le favez vousméme, en peu de paroles; & fans accompagner fa réponse de prodiges, quoiqu'il lui fut fort aifé de faire trembler le Parnaffe, d'arrêter la courfe du Cephife, & de changer les eaux de Caftalie en vin. Il vous dit fimplement la vérité, & ne s'amufe point à faire une montre inutile de fon pouvoir. Il eft affez plaifant que Philoftrate prétende faire valoir fon Apollon, parce qu'il n'étoit pas grand faifeur de miracles. Il pourroit y avoir en cet endroit-là quelque venin contre les Chrétiens.

Nous avons vu comment du temps de Plutarque, qui vivoit fous Trajan, cet Oracle étoit encore fur pied, quoique réduit à une feule Prêtreffe, après en avoir eu deux ou trois. Sous Adrien, Dion Chryfoftome dit qu'il confulta l'Oracle de Delphes, & il en rapporta une réponse qui lui parut affez embar raffée, & qui l'eft effectivement.

Sous les Antonins, Lucien dit qu'un Prêtre de Tyane alla demander à ce faux Prophète Alexandre, fi les Ora. cles qui fe rendoient alors à Didyme, à Claros & à Delphes, étoient véritablement des réponíes d'Apollon, ou des impoftures. Alexandre eut des égards

pour ces Oracles qui étoient de la na ture du fien, & répondit au Prêtre qu'il n'étoit pas permis de favoir cela. Mais quand cet habile Prêtre demanda ce qu'il feroit après la mort, on lui répondit hardiment: Tu feras Chameau, puis Cheval, puis Philofophe, puis Prophète auffi grand qu'Alexandre.

Après les Antonins, trois Empereurs fe difputèrent l'Empire, Severus Septimus, Pefcennius Niger, Clodius Albinus. On confulta Delphes, dit Spartien, pour favoir lequel des trois la République devoit fouhaiter ; & l'Oracle répondie en un Vers: Le Noir eft le meilleur, l'Africain eft bon, le Blanc eft le pire. Par le Noir on entendoit Pefcennius Niger, par l'Africain Sévère qui étoit d'Afrique, & par le Blanc Clodius Albinus. On demanda enfuite qui demeureroit le Maître de l'Empire; & il fut répondu : On verfera le fang du Blanc & du Noir, l'Africain gouvernera le Monde. On demanda encore combien de temps il gouverneroit; & il fut répondu : Il montera fur la Mer d'Italie avec vingt Vaiffeaux, fi cependant un Vaiffeau peut traverser la Mer; par où l'on entendit que Sévère règneroit vingt ans. Il eft vrai que

« PreviousContinue »