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à Rome fes os qui avoient été représentés par la Vigne rompue.

Tout le monde favoit affurément que l'Empereur fongeoit à faire la guerre aux Parthes, & qu'il ne confultoit l'O. racle que fur cela ; & l'Oracle eut l'efprit de lui rendre une réponse allégorique, & fi générale, qu'elle ne pouvoit manquer d'être vraie. Car que Trajan retournât à Rome victorieux, mais bleffé, ou ayant perdu une partie de fes Soldats; qu'il fût vaincu, & que fon armée fût mife en fuite; qu'il y arrivât feulement quelque divifion; qu'il en arrivât dans celles des Parthes ; qu'il en arrivât même dans Rome, en l'abfence de l'Empereur; que les Parthes fuffent abfolument défaits; qu'ils ne fuffent défaits qu'en partie; qu'ils fuffent abandonnés de quelques uns de leurs Alliés, la Vigne rompue convenoit merveilleufement à tous ces cas différens ; il y eût eu bien du malheur, s'il n'en fût arrivé aucun; & je crois que les os de l'Empereur reportés à Rome, fur quoi l'on fit tomber l'explication de l'Oracle, étoient pourtant la feule chofe à quoi l'Oracle n'avoi point pensé.

A

propos de cette Vigne, je ne crois pas devoir oublier une fpèce d'Oracle qui s'accommodoit à tout, dont Apulée nous apprend que les Prêtres de la Déeffe de Syrie avoient été les inventeurs. Ils avoient fait deux Vers dont le fens étoit: Les Bœufs attelés cou pent la terre, afin que les campagnes produifent leurs fruits. Avec ces deux Vers, il n'y avoit rien à quoi ils ne répondiffent. Si on les venoit confulter fur un Mariage, c'étoit la même chofe, des Bœufs attelés enfemble, des campagnes fécondes. Si on les confultoit fur quelque terre que l'on vouloit acheter, voilà des Bœufs pour la labourer, voilà des champs fertiles. Si on les confultoit fur un Voyage, les Boeufs font attelés & tout prêts à partir, & ces campagnes fécondes vous promettent un grand gain. Si on alloit à la Guerre, ces Bœufs fous le joug ne vous annoncentils pas que vous y mettrez auffi vos ennemis? Cette Déeffe de Syrie apparemment n'aimoit pas à parler, & elle avoit trouvé moyen de fatisfaire par une feule réponse à toutes fortes de queftions.

Ceux qui recevoient ces Oracles am

bigus, prenoient volontiers la peine d'y ajufter l'événement, & fe chargoient eux-mêmes de le juftifier. Souvent ce qui n'avoit eu qu'un fens dans l'intention de celui qui avoit rendu l'Oracle, fe trouvoit en avoir deux après l'événement; & le fourbe pouvoit fe repofer fur ceux qu'il fourboit, du foin de fauver fon honneur. Quand le faux Prophète Alexandre répondit à Rutilien, qui lui demandoit quels Précep· teurs il donneroit à fon fils, qu'il lui donnât Pythagore & Homère, il entendit tout fimplement qu'on lui fìt étudier la Philofophie & les Belles-Lettres. Le jeune homme mourut peu de jours après, & on repréfentoit à Rutilien que fon Prophète s'étoit bien mépris. Mais Rutilien trouvoit avec beaucoup de fubtilité la mort de fon fils annoncée dans l'Oracle, parce qu'on lui donnoit pour Précepteurs Pythagore & Homère qui étoient morts.

CHAPITRE XVII.

Fourberies des Oracles manifefte ment découvertes.

IL n'eft plus queftion de deviner les

fineffes des Prêtres par des moyens qui pourroient eux-mêmes paroître trop fins un temps a été qu'on les a décou vertes de toutes parts aux yeux de toute la Terre; ce fut quand la Religion Chrétienne triompha hautement du Paganisme fous les Empereurs Chré◄ tiens.

Théodoret dit que Théophile, Evêque d'Alexandrie, fit voir à ceux de cette Ville les Statues creuses où les Prêtres entroient par des chemins cachés pour y rendre les Oracles.

Lorfque, par l'ordre de Conftantin; on abattit le Temple d'Efculape à Eges en Cicile, on en chaffa, dit Eufebe dans la vie de cet Empereur, non pas un Dieu ni un Démon, mais le fourbe qui avoit fi long-temps impofé à la crédulité des Peuples. A cela il ajoute en général que, dans les

Simulacres des Dieux abattus, on n'y trouvoit rien moins que des Dieux ou des Démons; non pas même quelques malheureux Spectres obfcurs & ténébreux, mais feulement du foin & de la paille, ou des ordures, ou des os de morts. C'eft de lui que nous apprenons l'Hiftoire de ce Théotecnus qui confacra dans la Ville d'Antioche une Statue de Jupiter Dieu de l'Amitié, à laquelle il fit fans doute rendre des Oracles, puifqu'Eufebe dit que ce Dieu avoit des Prophètes. Théotecnus fe mit parlà en fi grand crédit, que Maximin le fit Gouverneur de toute la Province. Mais Lucinius étant venu à Antioche, & fe doutant de l'impofture, il fit mettre à la queftion les Prêtres & les Prophètes de ce nouveau Jupiter. Ils avouèrent tout, & furent punis du dernier fupplice, eux & leurs affociés ; & avant eux tous, Théotecnus leur Maître. Le même Eufebe nous affure, encore au 4. Liv. de la Prép. Ev., que de fon temps les plus fameux Prophètes d'entre les Payens & leurs Théologiens les plus célèbres, dont quelquesuns mêmes étoient Magiftrats dans leurs Villes, avoient été obligés par les tour

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