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elles l'efprit de fuperftition, de frayeur & de crainte ? Combien de machines pouvoient jouer dans ces ténèbres ? L'Hiftoire de l'Efpion de Démétrius nous apprend qu'il n'y avoit pas de fûreté dans l'Antre pour ceux qui n'y apportoient pas de bonnes intentions; & de plus, qu'outre l'ouverture facrée qui étoit connue de tout le monde l'Antre en avoit une fecrette qui n'étoit connue que des Prêtres. Quand on s'y fentoit entraîné par les pieds, on étoit fans doute tiré par des cordes, & on n'avoit garde de s'en appercevoir en y portant le mains, puifqu'elles étoient embarraffées de ces compofitions de miel qu'il ne falloit pas lâcher. Ces cavernes pouvoient être pleines de parfums & d'odeurs qui troubloient le cerveau ; ces eaux de Léthé & de Mnémofine pouvoient auffi être préparées pour le même effet. Je ne dis rien des fpectacles & des bruits dont on pouvoit être épouvanté ; & quand on fortoit de-là tout hors de foi, on difoit ce qu'on avoit vu ou entendu, à des gens qui, profitant de ce défordre le recueilloient comme il leur plaifoit, y changeoient ce qu'ils vou

foient, ou enfin en étoient toujours les interprètes.

Ajoutez à tout cela, que de ces Oracles qui fe rendoient par Songes, il y en avoit auxquels il falloit fe préparer par des Jeûnes, comme celui d'Amphiaraus (1) dans l'Attique ; que fi vos Songes ne pouvoient pas recevoir quelque interprétation apparente, on vous faifoit dormir dans le Temple fur nouveaux frais; que l'on ne manquoit jamais de vous remplir l'efprit d'idées propres à vous faire avoir des Songes, où il entrât des Dieux & des chofes exrraordinaires ; & qu'on vous faifoit dormir le plus fouvent fur des peaux de Victimes, qui pouvoient avoir été frottées de quelque drogue qui fît fon effet fur le cerveau.

Quand c'étoient les Prêtres, qui, en dormant fur les Billets cachetés avoient eux-mêmes les Songes prophétiques, il eft clair que la chose est encore plus aifée à expliquer. En vérité il y avoit du fuperflu dans les foins prenoient les Prêtres Payens pour cacher leurs impoftures. Si on étoit affez

(1) Philoftrate, l. 2 de la vie d'Apollonius.

que

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crédule & affez ftupide pour fe conten ter de leurs Songes & pour y ajouter foi, il n'étoit pas befoin qu'ils laiffaffent aux autres la liberté d'en avoir; ils pou voient fe referver ce droit à eux feuls, fans qu'on y eût trouvé à redire. De la maniere dont ces Peuples étoient faits, c'étoit leur faire trop d'honneur que de les fourber avec quelque précaution & quelque adrefle.

Croira t-on bien qu'il y avoit dans PAchaïe (1) un Oracle de Mercure qui fe rendoit de cette forte? Après beaucoup de cérémonies, on parle au Dieu à l'oreille, & on lui demande ce qu'on yeut. Enfuite on fe bouche les oreilles avec les mains; on fort du Temple, & les premières paroles qu'on entend au fortir de-là, c'est la réponse du Dieu. Encore, afin qu'il fût plus ailé de faire entendre, fans être apperçu, telles pa roles qu'on voudroit, cet Oracle ne fe rendoit que le foir.

(1) Paufanias.

CHAPITRE X V I.

U

Ambiguité des Oracles.

N des plus grands fecrets des Ora, cles, & une des chofes qui marquent autant que les hommes s'en mêloient c'eft l'ambiguité des réponfes, & Part qu'on avoit de les accommoder à tous les événemens qu'on pouvoit prévoir.

(1) Lorfqu'Alexandre tomba malade tout d'un coup à Babylone, quelques, uns des principaux de fa Cour allèrent paffer une nuit dans le Temple de Serapis, pour demander à ce Dieu s'il ne feroit point à propos de lui faire apporter le Roi afin qu'il le guérît. Le Dieu répondit qu'il valoit mieux pour Alexandre qu'il demeurât où il étoit. Serapis avoit raison; car s'il se le fût fait apporter & qu'Alexandre fût mort en chemin, ou même dans le Temple, que n'eût-on pas dit? Mais fi le Roi recou vroit fa fanté à Babylone, quelle gloire

(1) Arian, 1.7.

pour l'Oracle? S'il mouroit, c'eft qu'il lui étoit avantageux de mourir après des Conquêtes qu'il ne pouvoit ni augmenter, ni conferver. Il s'en fallut tenir à cette dernière interprétation, qui ne manqua pas d'être trouvée à l'avantage de Serapis, fi-tôt qu'Alexandre fut

mort.

:

Macrobe dit que quand Trajan eut pris le deffein d'aller attaquer les Parthes, on le pria d'en confulter l'Oracle de la Ville d'Heliopolis, auquel il ne falloit qu'envoyer un billet cacheté. Trajan ne fe fioit point trop aux Oracles; il voulut auparavant éprouver celui-là. Il y envoie un billet cacheté, où il n'y avoit rien; on lui en renvoie autant voilà Trajan convaincu de la divinité de l'Oracle. Il y envoie une feconde fois un autre billet cacheté par lequel il demandoit au Dieu s'il retourneroit à Rome, après avoir mis fin à la guerre qu'il entreprenoit. Le Dieu ordonna que l'on prit une Vigne qui étoit une des Offrandes de fon Temple, qu'on la mît par morceaux, & qu'on la portât à Trajan. L'événement, dit Macrobe, fut parfaitement conforme à cet Oracle; car Trajan mourut à cette Guerre, & on reporta

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