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falloit qu'on les laiffât fur l'autel ; après quoi on fermoit le Temple, où les Prêtres favoient bien rentrer fans qu'on s'en apperçût : ou bien il falloit mettre ces billets entre les mains des Prêtres, afin qu'ils dormiffent deffus & reçuffent en fonge la réponse qu'il y falloit faire; & dans l'un & l'autre cas, ils avoient le loifir & la liberté de les ouvrir. Ils favoient pour cela plufieurs fecrets, dont nous voyons quelquesuns mis en pratique par le faux Prophète de Lucien. On peut les voir dans Lucien même, fi l'on eft curieux d'apprendre comment on pouvoit décacheter les billets des Anciens, fans qu'il y parût.

Affurément on s'étoit fervi de quelqu'un de ces fecrets pour ouvrir le billet que ce Gouverneur de Cilicie dont parle Plutarque, avoit envoyé à l'Oracle de Mopfus, qui étoit à Malle, Ville de cette Province. Le Gouver neur ne favoit que croire des Dieux; il étoit obfédé d'Epicuriens, qui lui avoient jetté beaucoup de doutes dans l'efprit. Il fe réfolut, comme dit agréablement Plutarque, d'envoyer un efpion chez les Dieux, pour apprendre

ce

te qui en étoit. Il lui donna un' billet bien cacheté pour le porter à l'Oracle de Mopfus. Cet Envoyé dormit dans le Temple, & vit en fonge un homme. fort bien fait, qui lui dit Noir. Il por ta cette réponse au Gouverneur. Elle parut très - ridicule à tous les Epicuriens de fa Cour, mais il en fut frappé d'étonnement & d'admiration ; & en leur ouvrant fon billet, il leur montra ces mots qu'il y avoit écrits: T'immolerai-je un bœuf blanc ou noir? Après ce miracle, il fut toute fa vie fort dévot au Dieu Mopfus. Nous éclaircirons enfuite ce qui regarde le fonge; il fuffit préfentement que le billet avoit pu être décacheté & refermé avec adreffe. Il avoit toujours fallu le porter au Temple, & il n'eût pas été nécessaire qu'il fût forti des mains du Gouverneur fi un Démon eût dû y répondre.

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Si les Prêtres n'ofoient fe hazarder à décacheter les billets, ils tâchoient de favoir adroitement ce qui amenoit les gens à l'Oracle. D'ordinaire c'étoient des gens confidérables, qui avoient dans la tête quelque deffein ou quelque paffion qui n'étoit pas inconnue Tome II. Cc

dans le monde. Les Prêtres avoient tant de commerce avec eux, à l'occafion des facrifices qu'll falloit faire, ou des délais qu'il falloit obferver avant que l'Oracle parlât, qu'il n'étoit pas trop difficile de tirer de leur bouche, ou du moins de conjecturer quel étoit le fujet de leur voyage. On leur faifoit recommencer facrifices fur facrifices, jufqu'à ce qu'on fe fût éclairci. On les mettoit entre les mains de certains menus Officiers du Temple, qui fous prétexte de leur en montrer les antiquités, les ftatues, les peintures, les offrandes, favoient l'art de les faire parler fur leurs affaires. Ces Antiquaires, pareils à ceux qui vivent aujourd'hui de ce métier en Italie, fe trouvoient dans tous les Temples un peu confidérables. Ils favoient par cœur tous les miracles qui s'y étoient faits; ils vous faifoient bien valoir la puiffance & les merveilles du Dieu; ils vous contoient fort au long l'histoire de chaque préfent qu'on lui avoit confacré. Sur cela Lucien dit affez plaifamment que tous ces gens-là ne vivoient & ne fubfiftoient que de fables, & que dans la Grèce on eût été bien

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fâché d'apprendre des vérités dont il n'eût rien coûté. Si ceux qui venoient confuiter l'Oracle ne parloient point leurs Domeftiques fe taifoient-ils ? II faut favoir que dans une Ville à Oracle, il n'y avoit prefque que des Offi ciers de l'Oracle. Les uns étoient Prophètes & Prêtres ; les autres Poëtes qui habilloient en vers les Oracles rendus en profe; les autres fimples Interprètes; les autres petits Sacrificateurs qui immoloient les victimes, & en examinoient les entrailles; les autres vendeurs de parfums ou d'encens, ou de bêtes pour les facrifices; les autres Antiquaires ; les autres enfin n'étoient que des Hôteliers, que le grand abord des Etrangers enrichiffoit. Tous ces gens-là étoient dans les intérêts de l'Oracle & du Dieu; & fi par le moyen des Domeftiques des Etrangers ils découvroient quelque chofe qui fût bon à favoir, vous ne devez pas douter que les Prêtres n'en fuffent

avertis.

Le faux Prophète Alexandre, qui avoit établi fon Oracle dans le Pont, avoit bien jufques dans Rome des correfpondans, qui lui mandoient les af

faires les plus fecrètes de ceux qui l'alloient confulter.

Par ces moyens on pouvoit répondre même fans avoir befoin de recevoir de billet; & ces moyens n'étoient pas fans doute inconnus aux Prêtres de l'Apollon de Claros, s'il eft vrai qu'il fuffifoit de leur dire le nom de ceux qui les confultoient. Voici comme Tacite en parle au 2° Liv. des Annales. Germanicus alla confulter Apollon de ClaTos. Ce n'eft point une femme qui y rend les Oracles comme à Delphes, mais un homme qu'on choifit dans de certaines familles, & qui eft prefque toujours de Milet. Il suffit de lui dire le nombre & les noms de ceux qui viennent le confulter; enfuite il se retire dans une grotte, & ayant pris de l'eau d'une fource qui y eft, il vous répond en vers à ce que vous avez dans l'efprit, quoique le plus fouvent it foit très-ignorant.

Nous pourrions remarquer ici que l'on confioit bien à une femme l'Oraclé de Delphes, parce qu'il n'étoit queftion que d'y faire la Démoniaque; mais que comme celui de Claros avoit plus de difficulté, on ne le donnoit qu'à un homme. Nous pourrions remarquer encore que l'ignorance du Pro

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