Page images
PDF
EPUB

des Princes naturellement intéreffés à leur garder le fecret, & qui dans le cas où ils fe trouvoient, avoient quelque railon particulière de faire valoir les Oracles.

Dans ces

Sanctuaires ténébreux étoient cachées toutes les machines des Prêtres, & ils y entroient par des conduits fouterreins. Rufin nous décrit le Temple de Sérapis tout plein de chemins couverts; & pour rapporter un témoignage encore plus fort que le fien l'Ecriture Sainte ne nous apprend-elle pas comment Daniel découvrit l'impofture des Prêtres de Bélus, qui favoient bien rentrer fecrétement dans fon Temple pour prendre les viandes qu'on y avoit offertes? Il me femble que cette Hiftoire feule devoit décider toute la queftion en notre faveur. Il s'agit là d'un des miracles du Paganisme qui étoit cru le plus univerfellement, de ces victimes que les Dieux prenoient la peine de venir manger eux-mêmes. L'Ecriture attribue t-elle ce prodige aux Démons? Point du tout, mais à des Prêtres impofteurs: & c'est-là la feule fois où l'Ecriture s'étend un peu fur un prodige du Paganisme; &

en ne nous avertiffant point que tous les autres n'étoient pas de la même nature, elle nous donne à entendre fort clairement qu'ils en étoient. Combien, après tout, devoit-il être plus aifé de perfuader aux Peuples que les Dieux defcendoient dans des Temples pour leur parler, leur donner des inftructions utiles, que de leur perfuader qu'ils venoient manger des membres de chèvres & de moutons? & files Prêtres mangeoient bien en la place des Dieux, à plus forte raifon pouvoient-ils parler auffi en leur place.

Les voûtes des Sanctuaires augmentoient la voix, & faifoient un retentiffement qui imprimoit de la terreur : auffi voyez-vous dans tous les Poëtes que la Pythie pouffoit une voix plus qu'humaine; peut-être même les trompettes qui multiplioient le fon, n'étoientelles pas alors tout-à-fait inconnues; peut être le Chevalier Morland n'at-il fait que renouveller un fecret que les Prêtres Payens avoient su avant lui, & dont ils avoient mieux aimé tirer du profit en ne le publiant pas, que de l'honneur en le publiant. Du moins le Père Kirker affure qu'A

lexandre avoit une de ces trompettes avec laquelle il fe faifoit entendre de toute fon armée en même temps.

Je ne veux pas oublier une bagatelle, qui peut fervir à marquer l'extrême application que les Prêtres avoient à fourber. Du Sanctuaire ou du fond des Temples, il fortoit quelquefois une (1) vapeur très-agréable, qui rempliffoit tout le lieu où étoient les confultans. C'étoit l'arrivée du Dieu qui parfumoit tout. Jugez fi des gens qui pouffoient jufqu'à ces minuties prefque inutiles l'exactitude de leurs impoftures, pouvoient rien négliger d'ef fentiel.

CHAPITRE XIII.

Diftinctions de jours & autres Myftères des Oracles.

LE

ES Prêtres n'oublioient aucune forte de précaution. Ils marquoient à leur gré de certains jours où il n'étoit point (1) Plut. Dial. des Or.

permis de confulter l'Oracle. Cela avoit un air mystérieux, ce qui eft déjà beaucoup en pareilles matières; mais la principale utilité qu'ils en retiroient, c'eft qu'ils pouvoient vous renvoyer fur ce prétexte, s'ils avoient des raifons pour ne pas vouloir vous répondre, ou que pendant ce temps de filence ils prenoient leurs mefures & faifoient leurs préparatifs.

A l'occafion de ces prétendus jours malheureux, il fut rendu à Alexandre un des plus jolis Oracles qui ait jamais été. Il étoit allé à Delphes pour confulter le Dieu; & la Prêtreffe, qui prétendoit qu'il n'étoit point alors permis de l'interroger, ne vouloit point entrer dans le Temple. Alexandre, qui étoit brufque, la prit par le bras pour l'y mener de force, &. elle s'écria: Ah! mon fils, on ne peut te réfifter. Je n'en veux pas davantage, dit Alexandre, cet Oracle me fuffit.

Les Prêtres avoient encore un fecret pour gagner du temps, quand il leur plaifoit. Avant que de confulter l'Oracle, il falloit facrifier; & fi les entrailles des victimes n'étoient pas heureufes, le Dieu n'étoit pas encore en hu

meur de répondre. Et qui jugeoient des entrailles des victimes? les Prêtres. Le plus fouvent même, ainfi qu'il paroît. par beaucoup d'exemples, ils étoient feuls à les examiner; & tel qu'on obligeoit à recommencer le facrifice, avoit pourtant immolé un animal dont le coeur & le foie étoient les plus beaux du monde.

Ce qu'on appelloit les myftères & les cérémonies fecrètes d'un Dieu, étoit fans doute un des meilleurs artifices que les Prêtres euffent imaginé pour leur fûreté. Ils ne pouvoient fi bien couvrir leur jeu, que bien des gens ne foupçonnaffent la fourberie. Ils s'avisèrent d'établir de certains myftères qui engageoient à un fecret inviolable ceux qui y étoient initiés.

Il est vrai qu'il y avoit de ces myftères dans des Temples qui n'avoient point d'Oracles; mais il y en avoit auffi dans beaucoup de Temples à Oracles, par exemple dans celui de Delphes. Plutarque, dans ce Dialogue fi fouvent cité, dit qu'il n'y avoit perfonne à Delphes, ni dans tout ce pays, qui ne fût initié aux myftères. Ainfi, tout étoit dans la dépendance des Prêtres;

« PreviousContinue »