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ment, dit Plutarque, en avoit une trèsgrande quantité. Remarquez en passant que les Béotiens étoient en réputation d'être les plus fottes gens du monde c'étoit-là un bon pays pour les Oracles des fots & des cavernes !

Je ne crois point que le premier établiffement des Oracles ait été une impofture méditée; mais le Peuple tomba dans quelque fuperftition qui donna lieu à des gens un peu plus raffinés d'en profiter. Car les fottifes du Peuple font telles affez fouvent, qu'elles n'ont pu être prévues ; & quelquefois ceux qui le trompent ne fongeoient à rien moins, & ont été invités par luimême à le tromper. Ainfi ma pensée eft qu'on n'a point mis d'abord des Oracles dans la Béotie, parce qu'elle eft montagneufe; mais que l'Oracle de Delphes ayant une fois pris naiffance dans la Béotie de la manière que nous avons dit, les autres que l'on fit à fon imitation dans le même pays furent mis dans des cavernes, parce que les Prêtres en avoient reconnu la commodité.

Cet ufage enfuite fe répandit prefque par-tout. Le prétexte des exhalaiTome II.

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fons divines rendoit les cavernes néceffaires; & il femble de plus que les cavernes infpirent d'elles-mêmes je ne fais quelle horreur qui n'eft pas inutile à la fuperftition. Dans les chofes qui ne font faites que pour frapper l'imagination des hommes, il ne faut rien négliger. Peut être la fituation de Delphes a-t-elle bien fervi à la faire regarder comme une ville fainte. Elle étoit à moitié chemin de la montagne du Parnaffe, bâtie fur un peu de terreplein, & environnée de précipices qui la fortifioient fans le fecours de l'art. La partie de la montagne qui étoit audeffus, avoit à peu près la figure d'un théâtre, & les cris des hommes & le fon des trompettes fe multiplioient dans les rochers. Croyez qu'il n'y avoit pas jufqu'à ces échos qui ne valuffent leur prix.

La commodité des Prêtres & la majefté des Oracles demandoient donc également des cavernes ; auffi ne voyez-vous pas un fi grand nombre de Temples prophétiques en plat pays : mais s'il y en avoit quelques-uns, on favoit bien remédier à ce défaut de leur fituation; au lieu de cavernes na

turelles, on en faifoit d'artificielles c'est-à-dire, de ces Sanctuaires qui étoient des espèces d'antres où réfidoit particulièrement la Divinité, & où d'autres que les Prêtres n'entroient jamais.

Quand la Pythie fe mettoit fur le Trépied, c'étoit dans fon Sanctuaire, lieu obfcur & éloigné d'une certaine petite chambre (1) où fe tenoient ceux qui venoient confulter l'Oracle. L'ouverture même de ce Sanctuaire étoit couverte de feuillages de laurier; & ceux à qui on permettoit d'en approcher, n'avoient garde d'y rien voir.

D'où croyez-vous que vienne la diverfité avec laquelle les anciens parlent de la forme de leurs Oracles? c'eft qu'ils ne voyoient point ce qui se passoit dans le fond de leurs Temples.

Par exemple, ils ne s'accordent point les uns avec les autres fur l'Oracle de Dodone; & cependant que devoit-il y avoir de plus connu des Grecs? Ariftote, au rapport de Suidas, dit qu'à Dodone il y a deux colonnes fur l'une defquelles eft un baffin d'airain,

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(1) Plutarq., Dial: des Oracles qui ont ceffé.

& fur l'autre la ftatue d'un enfant qui tient un fouet dont les cordes étant auffi d'airain font du bruit contre le baffin lorfquelles y font pouffées par le vent.

Démon, felon le même Suidas, dit que l'Oracle de Jupiter Dodonéen eft tout environné de baffins, qui, auffi-tôt que l'un eft pouffé contre l'autre, se communiquent ce mouvement en rond, & font un bruit qui dure affez de temps.

D'autres difent que c'étoit un chêne réfonnant qui fecouoit fes branches & fes feuilles lorfqu'il étoit confulté, & qui déclaroit fes volontés par des Prêtreffes nommées Dodonides.

Il paroît bien par tout cela qu'il n'y avoit que le bruit de conftant, parce qu'on l'entendoit de dehors; mais comme on ne voyoit point le dedans du lieu où fe rendoit l'Oracle, on ne favoit que par conjecture ou par le rapport infidèle des Prêtres, ce qui caufoit le bruit. Il fe trouve pourtant dans l'Hiftoire, que quelques perfonnes ont eu le privilége d'entrer dans ces Sanctuaires: mais ce n'étoit pas des gens moins confidérables qu'Alexandre

& Vefpafien. Strabon rapporte de Callifthène, qu'Alexandre entra feul avec le Prêtre dans le Sanctuaire d'Ammon & que tous les autres n'entendirent l'Oracle que de dehors.

Tacite dit auffi que Vefpafien étant à Alexandrie, & ayant déjà des deffeins fur l'Empire, voulut confulter l'Oracle de Sérapis; mais qu'il fit auparavant fortir tout le monde du Temple. Peut être cependant n'entra-t-il pas pour cela dans le Sanctuaire. A ce compte, les exemples d'un tel privilége feront très rares; car mon Auteur avoue qu'il n'en connoît point d'autres que ces deux-là, fi ce n'eft peut-être qu'on y veuille ajouter ce que Tạcite dit de Titus, à qui le Prêtre de la Vénus de Paphos ne voulut découvrir qu'en fecret beaucoup de grandes chofes qui regardoient les deffeins qu'il méditoit alors: mais cet exemple prouve encore moins que celui de Vefpafien, la liberté que les Prêtres accordoient aux Grands d'entrer dans les Sanctuaires de leurs Temples. Sans doute il falloit un grand crédit pour les obliger à la confidence de leurs Myftères, & même ils ne la faifoient qu'à

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