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ces Dieux qui n'avoient encore nulle expérience.

Les Empereurs Romains, qui étoient intéreflés à faire valoir la divinité de leurs prédéceffeurs, puifqu'une pareille divinité les attendoit, auroient dû tâcher à rendre plus célèbres les Oracles des Empereurs déifiés comme Augufte, fi ce n'eût été que les Peuples, accoutumés à leurs anciens Oracles, ne pouvoient prendre la même confiance pour les autres. Je croirois bien même que quelque penchant qu'ils euffent aux plus ridicules fuperftitions, ils fe moquoient de ces nouveaux Oracles, & en général, de toutes les nouvelles Inftitutions de Dieux. Le moyen qu'on prît l'aigle qui fe lâchoit du bûcher. d'un Empereur Romain, pour l'ame de cet Empereur qui alloit prendre fa place au Ciel?

Pourquoi donc le Peuple avoit-il été trompé à la première inftitution des Dieux & des Oracles? en voici, je crois, la raifon. Pour ce qui regarde les Dieux, le Paganifme n'en a eu que de deux fortes principales: ou des Dieux, que l'on fuppofoit être effentiellement de nature divine; ou des Dieux qui

ne l'étoient devenus qu'après avoir été de nature humaine. Les premiers avoient été annoncés par les Sages ou par les Légiflateurs avec beaucoup de myf tère, & le Peuple ni ne les voyoit, ni ne les avoit vus. Les feconds, quoiqu'ils euffent été hommes aux yeux de tout le monde, avoient été érigés en Dieux par un mouvement naturel des Peuples, touchés de leurs bienfaits. On fe formoit une idée très-relevée des uns, parce qu'on ne les voyoit point ; & des autres, parce qu'on les aimoit: mais on n'en pouvoit pas faire autant pour un Empereur Romain, qui étoit Dieu par ordre de la Cour, & non pas par l'amour du Peuple, & qui, outre cela, venoit d'être homme publique

ment.

Quant aux Oracles, leur premier établiffement n'eft pas non plus difficile à expliquer. Donnez-moi une demi-douzaine de perfonnes à qui je puiffe perfuader que ce n'eft pas le foleil qui fait le jour, je ne défefpérerai pas que des Nations entières n'embraffent cette opinion. Quelque ridicule que foit une penfée, il ne faut que trouver moyen de la maintenir pen

dant quelque temps; la voilà qui devient ancienne, & elle eft fuffifamment prouvée. Il y avoit fur le Parnaffe un trou, d'où il fortoit une exhalaifon qui faifoit danser les chèvres, & qui montoit à la tête. Peut-être quelqu'un qui en fut entêté fe mit à parler fans fa voir ce qu'il difoit, & dit quelque vérité. Auffi-tôt il faut qu'il y ait quel

que chose de divin dans cette exhalaifon; elle contient la fcience de l'avenir: on commence à ne s'approcher plus de ce trou qu'avec refpect; les cérémonies fe forment peu-à-peu. Ainfi naquit. apparemment l'Oracle de Delphes; & comme il devoit fon origine à une exhalaifon qui entêtoit, il falloit abfo. Jument que la Pythie entrât en fureur pour prophétifer. Dans la plupart des autres Oracles, la fureur n'étoit pas néceffaire. Qu'il y en ait une fois un d'établi, vous jugez bien qu'il va s'en établir mille. Si les Dieux parlent bien là, pourquoi ne parleront-ils point ici? Les Peuples, frappés du merveilleux de la chofe, & avides de l'utilité qu'ils en efpèrent, ne demandent qu'à voir naítre des Oracles en tous lieux; & puis, l'ancienneté furvient à tous ces Oracles,

Les

qui leur fait tous les biens du monde. nouveaux n'avoient garde de réuffir tant; c'étoit les Princes qui les établiffoient. Les Peuples croient bien mieux à ce qu'ils ont fait euxmêmes.

Ajoutez à tout cela, que dans le temps de la première inftitution & des Dieux & des Oracles, l'ignorance étoit beaucoup plus grande qu'elle ne fut dans la fuite. La Philofophie n'étoit point encore née, & les fuperftitions les plus extravagantes n'avoient aucune contradiction à effuyer de fa part. Il eft vrai que ce qu'on appelle le Peuple n'eft jamais fort éclairé : cependant, la groffièreté dont il est toujours, reçoit encore quelque différence felon les fiècles; du moins il y en a où tout le monde eft Peuple, & ceux-là font fans comparaifon les plus favorables à l'établissement des erreurs. Ce n'eft donc pas merveille, fi les Peuples faifoient moins de cas des nouveaux Oracles que des anciens; mais cela n'empêchoit pas que les anciens ne reffemblaffent parfaitement aux nouveaux. Ou un Démon alloit fe loger dans un Temple d'Epheftion, pour y rendre

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des Oracles, dès qu'il avoit plu. à Alexandre d'en faire élever un à Ephef tion comme à un Dieu; ou, s'il fe rendoit des Oracles dans ce Temple fans Démon, il pouvoit bien s'en rendre de même dans le Temple d'Apollon Pythien. Or, il feroit, ce me femble, fort étrange & fort furprenant qu'il n'eût fallu qu'une fantaifie d'Alexandre pour envoyer un Démon en pofsetsion d'un Temple, & faire naître par-là une éternelle occafion d'erreur à tous les hommes..

CHAPITRE XI I.

Lieux où étoient les Oracles.

Nous all Ous allons entrer préfentement dans le détail des artifices que pratiquoient les Prêtres: cela renferme beaucoup de chofes de l'antiquité affez agréables & affez particulières.

confé

Les Pays montagneux, & & par quent pleins d'antres & de cavernes, étoient les plus abondans en Oracles. Telle étoit la Béotie, qui ancienne

ment

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