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point qu'ils ne fuiviffent prefque tous

le nôtre.

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Jufqu'ici nous n'avons fait que lever les préjugés qui font contraires à notre opinion & que l'on tire ou du Syftême de la Religion Chrétienne, ou de la Philofophie, ou du fentiment général des Payens, & des Chrétiens mêmes. Nous avons répondu à tout cela, non pas en nous tenant fimplement fur la défenfive, mais le plus fouvent même en attaquant. Il faut préfentement attaquer encore avec plus de force, & faire voir, par toutes les circonftances particulières qu'on peut remarquer dans les Oracles, qu'ils n'ont jamais mérité d'être attribués à des Génies.

CHAPITRE X.

Oracles corrompus.

ON corrompoit les Oracles avec

une facilité qui faifoit bien voir qu'on avoit affaire à des hommes. La Pythie Philippife, difoit Démofthene, lorfqu'il

fe plaignoit que les Oracles de Delphes étoient toujours conformes aux intérêts de Philippe.

(1) Quand Cléomène, Roi de Sparte, voulut dépouiller de la Royauté Démarate l'autre Roi, fous prétexte qu'il n'étoit pas fils d Arifton fon prédéceffeur, & qu'Arifton lui-même s'étoit plaint qu'il lui étoit né trop peu de temps après fon mariage, on envoya à l'Oracle fur une queftion fi difficile; & en effet, elle étoit de la nature de celles qui ne peuvent être décidées que par les Dieux. Mais Cléomène avoit pris les devans auprès de la Supérieure des Prêtreffes de Delphes; elle déclara que Démarate n'étoit point fils d'Arifton. La fourberie fut découverte quelque temps après, & la Prêtreffe privée de fa dignité. Il falloit bien venger l'honneur de l'Oracle, & tâcher de le ré parer.

(2) Pendant qu'Hippias étoit Tyran d'Athènes, quelques Citoyens qu'il avoit bannis obtinrent de la Pythie, à force d'argent, que quand il viendroit

(1) Herodote, l. 6.
(2) Hérodote, 1. s.

des Lacédémoniens la confulter fur quoi que ce pût être, elle leur dit tou-" jours qu'ils euffent à délivrer Athènes de la tyrannie. Les Lacédémoniens, à qui on redifoit toujours la même chofe à tout propos, crurent enfin que les Dieux ne leur pardonneroient jamais de méprifer des ordres fi fréquens, & prirent les armes contre Hippias, quoiqu'il fût leur allié.

Si les Démons rendoient les Oracles, les Démons ne manquoient pas de complaifance pour les Princes qui étoient une fois devenus redoutables, & on peut remarquer que l'Enter avoit bien des égards pour Alexandre & pour Augufte. Quelques Hiftoriens difent nettement qu'Alexandre voulut d'autorité abfolue, être fils de Jupiter Ammon, & pour l'intérêt de fa vanité, & pour l'honneur de fa mère, qui étoit foupçonnée d'avoir eu quelque Amant moins confidérable que Jupiter. On y a ajouté qu'avant que d'aller au Temple, il fit avertit le Dieu de fa volonté, & que le Dieu l'exécuta de fort bonne grace. Les autres Auteurs tiennent tout au moins que les Prêtres imaginèrent d'eux-mêmes ce moyen de flat

ter Alexandre. Il n'y a que Plutarque qui fonde toute cette divinité d'Alexandre fur une méprife du Prêtre d'Ammon, qui, en faluant ce Roi, & lui voulant dire en Grec : O mon fils, prononça dans ces mots S au lieu d'une N, parce qu'étant Lybien, il ne favoit pas trop bien prononcer le Grec, & ces mots, avec ce changement, fignifioient: O fils de Jupiter. Toute la Cour ne manqua pas de relever cette faute du Prêtre à l'avantage d'Alexandre; & fans doute le Prêtre lui-même la fit paffer pour une infpiration du Dieu qui avoit conduit fa langue, & confirma, par des Oracles, fa mauvaise prononciation. Cette dernière façon de conter P'Hiftoire eft peut-être la meilleure. Les petites origines conviennent affez aux grandes choses.

Augufte fut fi amoureux de Livie," qu'il l'enleva à fon mari toute groffe qu'elle étoit, & ne fe donna pas le loifir d'attendre qu'elle fût accouchée pour l'époufer. Comme l'action étoit un peu extraordinaire (1), on en confulta l'Oracle. L'Oracle, qui favoit faire fa cour, ne fe contenta pas de l'ap

(1) Prudence,

prouver; il affura que jamais un mariage ne réuffiffoit mieux que quand on époufoit une perfonne déjà groffe. Voilà pourtant, ce me femble, une étrange maxime.

Il n'y avoit à Sparte que deux mai fons dont on pût prendre des Rois. Lifander, un des plus grands hommes que Sparte ait jamais eus, forma le deffein dôter cette diftinction trop avanta-. geufe à deux familles, & trop inju rieuse à toutes les autres, & d'ouvrir le chemin de la royauté à tous ceux qui se sentiroient affez de mérite pour y prétendre. Il fit pour cela un plan fi compolé, & qui embraffoit tant de chofes, que je m'étonne qu'un homme d'efprit en ait pu efpérer quelque fuccès. Plutarque dit fort bien que c'étoit comme une démonftration de Mathématique, à laquelle on n'arrive que par de longs circuits. Il y avoit une femme dans le Pont qui prétendoit être groffe d'Apollon. Lifander jetta les yeux fur ce fils d'Apollon, pour s'en fervirquand il feroit né. C'étoit avoir des vues bien étendues. Il fit courir le bruit que les Prêtres de Delphes gardoient d'anciens Oracles qu'il ne leur étoit pas permis de lire, parce qu'Apollon avoit

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