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maffent assez à dire que les Oracles étoient rendus par les Démons, ils ne laiffoient pas de reprocher fouvent aux Payens qu'ils étoient joués par leurs Prêtres. Il falloit que la chofe fût bien vraie, puifqu'ils la publioient aux dépens de ce fyftême des Démons, qu'ils croyoient leur être fi favorable.

Voici comment parle Clément Alexandrin au troifième Livre des Tapif feries. Vante-nous, fi tu veux, ces Oracles pleins de folie & d'impertinence, ceux de Claros, d'Apollon Pythien, de Didime, d'Amphilocus; tu peux encore y ajouter les Augures, & les Interprètes des fonges & des prodiges. Fais-nous paroître auffi devant l'Apollon Pythien, ces gens qui devinoient par la farine ou par l'orge, & ceux qui ont été fi eftimés, parce qu'ils parloient du ventre. Que les fecrets des Temples des Egyptiens,· & que la Nécromancie des Etrufques demeu rent dans les ténèbres; toutes ces chofes ne font certainement que des impoftures extrayagantes, & de pures tromperies pareilles à celle des jeux de Dés. Les chèvres qu'on a dreffées à la divination, & les corbeaux qu'on a infruits à rendre des Oracles, ne font, pour ainfi dire, que les Affociés de ces Charlatans qui fourbent tous les hommes.

Eufebe au commencement du qua trième Livre de fa Préparation Evangélique propofe dans toute leur étendue les meilleures raifons qui foient au monde, pour prouver que tous les Oracles ont pu n'être que des impoftures; & ce n'eft que fur ces mêmes raifons que je prétends m'appuyer dans la fuite, quand je viendrai au détail des fourberies des Oracles.

J'avoue cependant que quoiqu'Eufebe fût fi bien tout ce qui pouvoit empêcher qu'on les crût furnaturels, il n'a pas laiffé de les attribuer aux Démons; & il femble que l'autorité d'un homme fi bien inftruit des raifons des deux partis, eft d'un grand préjugé pour le parti qu'il embraffe.

Mais remarquez qu'Eufebe, après avoir fort bien prouvé que les Oracles ont pu n'être que des impoftures des Prêtres, affure, fans détruire ni affoiblir ces premières preuves, qu'ils ont pourtant été le plus fouvent rendus par des Démons. Il falloit qu'il apportât quelque Oracle non fufpect, & rendu dans de telles circonftances, que quoique beaucoup d'autres puffent être imputés à l'artifice des Prêtres, celui-là n'y

pût jamais être imputé: mais c'eft ce qu'Eufebe ne fait point du tout. Je vois bien que tous les Oracles peuvent n'avoir été que des fourberies, mais je ne le veux pourtant pas croire. Pourquoi? parce que je fuis bien aife d'y faire entrer les Démons. Voilà une affez pitoyable espèce de raifonnement. Ce feroit autre chose, fi Eusebe, dans les circonftances des temps où il s'eft trouvé, n'avoit ofé dire ouvertement que les Oracles ne fuffent pas l'ouvrage des Démons, mais qu'en faifant femblant de le foutenir, il eût infinué le contraire avec le plus d'adreffe qu'il

eût pu.

C'est à nous à croire l'un ou l'autre, felon que nous eftimerons plus oa moins Eusebe. Pour moi, je crois voir clairement que dans l'endroit dont il eft question, il n'y a placé les Démons que par manière d'acquit, & par un refpect forcé qu'il a eu pour l'opinion

commune.

Un paffage d'Origène dans fon Livre feptième contre Čelfe, prouve assez bien qu'il n'attribuoit les Oracles aux Démons que pour s'accommoder au temps, & à l'état où étoit alors cette

grande difpute entre les Chrétiens & les Payens. Je pourrois, dit-il, me fervir de l'autorité d'Ariftote & des Péripatéticiens, pour rendre la Pythie fort fufpečte ; je pourrois tirer des Ecrits d'Epicure & de fes Secateurs une infinité de chofes qui décréditeroient les Oracles, & je ferois voir aifément que les Grecs eux-mêmes n'en faifoient pas trop de cas mais j'accorde que ce n'étoient point des fictions ni des impoftures; voyons fi en ce cas-là même, à examiner la chofe de près, il feroit befoin que quelque Dieu s'en fût mêlé, & s'il ne feroit pas plus raisonnable d'y faire préfider de mauvais Démons, & des génies ennemis du genre humain.

Il paroît affez que naturellement Origène eût cru des Oracles ce que nous en croyons; mais les Payens qui les produifoient pour un titre de la divinité de leur Religion, n'avoient garde de confentir qu'ils ne fuffent qu'un artifice de leurs Prêtres. Il falloit donc, pour gagner quelque chofe fur les Payens, leur accorder ce qu'ils foutenoient fi opiniâtrément, & leur faire voir que quand même il y auroit eu du furnaturel dans les Oracles, ce n'étoit pas à dire que la vraie Divinité

y eût eu part; alors on étoit obligé de mettre les Démons en jeu.

Il est vrai, qu'abfolument parlant, il valoit mieux en exclure tout-à-fait les Démons, & que l'on eût donné parlà une plus grande atteinte à la Religion Payenne: mais tout le monde n'e pénétroit peut-être pas fi avant dans cette matière; & l'on croyoit faire bien affez, forfque par l'hypothèle des Démons, qui fatisfait à tout avec deux paroles, on rendoit inutiles aux Payens toutes les chofes miraculeufes qu'ils pouvoient jamais alléguer en faveur de leur faux culte.

Voilà apparemment ce qui fut caufe que dans les premiers fiècles de l'Eglife, on embraffa fi généralement cè Syftême fur les Oracles. Nous perçons encore affez dans les ténèbres d'une antiquité fi éloignée, pour y démêler que les Chrétiens ne prenoient pas tant cette opinion, à cause de la vérité qu'ils y trouvoient, qu'à caufe de la facilité qu'elle leur donnoit à combattre le Paganifme; & s'ils renaifoient dans les temps où nous fommes, délivrés comme nous des raifons étrangères qui les déterminoient à ce parti, je ne doute

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