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rapporter des Hiftoires de grands Ca pitaines, qui ne fe font pas fait une affaire de paffer pardeffus des Oracles ou des aufpices. Ce qu'il y a de remarquable, c'eft que cela s'eft pratiqué même dans les premiers fiècles de la République Romaine, dans ces temps d'une heureuse groffiéreté, où l'on étoit fi fcrupuleufement attaché à la Reli gion, & où, comme dit Tite - Live, dans l'endroit même que nous allons citer de lui, on ne connoiffoit, point encore cette Philofophie qui apprend à méprifer les Dieux (1). Papirius faifoit la guerre aux Samnites, & dans les conjonctures ou l'on étoit, l'armée Romaine fouhaitoit avec une extrême ardeur que l'on en vînt à un combat.. Il fallut auparavant confulter les poulets facrés ; & l'envie de combattre étoit fi générale, que, quoique les poulets ne mangeaffent point quand on les mit hors de la cage, ceux qui avoient foin d'obferver l'aufpice, ne laiffèrent pas de rapporter au Conful qu'ils avoient fort bien mangé. Sur cela le Conful promet en même temps

(1) Tite Live, liv. 10, Tite-Live,

afes foldats & la bataille & la victoire. Cependant il y eut contestation entre les Gardes des poulets fur cet Aufpice qu'on avoit rapporté à faux., Le bruit en vint jufqu'à Papirius, qui dit qu'on lui avoit rapporté un Aufpice favorable, & qu'il s'en tenoit-là; que fi on ne lui avoit pas dit la vérité, c'étoit l'affaire de ceux qui prenoient les Aufpices, & que tout le mal devoit tomber fur leur tête. Auffi-tôt il ordonna qu'on miît ces malheureux aux premiers rangs, & avant que l'on eût encore donné le fignal de la bataille, un trait partit fans que l'on 'fût de quel côté, & alla percer le Garde des poulets qui avoit rapporté l'Aufpice à faux. Dès que le Conful fut cette nouvelle, il s'écria: Les Dieux font ici préfens, le criminel eft puni, ils ont déchargé toute leur colère fur celui qui la méritoit; nous n'avons plus que des fujets d'efpérances. Aufli- tôt il fit donner le fignal, & il remporta une victoire entière fur les Samnites.

Il y a bien de l'apparence que les Dieux eurent moins de part que Papirius à la mort de ce pauvre Garde de poalets, & que le Général en voulut Tome II, Ꮓ

tirer un fujet de raffurer les foldats que le faux Aufpice pouvoit avoir ébranlés. Les Romains favoient déja de ces fortes de tours dans le temps de leur plus grande fimplicité.

Il faut donc avouer que nous aurions grand tort de croire les Aufpices ou les Oracles plus miraculeux que les Payens ne les croyoient eux-mêmes. Si nous n'en fommes pas auffi désabufés que quelques Philofophes & quelques Généraux d'armées, foyons- le du moins autant que le Peuple l'étoit quelquefois..

Mais tous les Payens méprifoientils les Oracles? Non, fans doute. Eh bien! quelques Particuliers qui n'y ont point eu d'égard, fuffifent-ils pour les décréditer entiérement ? A l'autorité de ceux qui n'y croyoient pas, il ne faut qu'oppofer l'autorité de ceux qui y croyoient.

Ces deux autorités ne font pas égales. Le témoignage de ceux qui croient une chofe déjà établie, n'a point de force pour l'appuyer; mais le témoignage de ceux qui ne la croient pas, a de la force pour la détruire. Ceux qui croient, peuvent n'être pas inf truits des raifons de ne point croire;

mais il ne fe peut guère que ceux qui n croient point, ne foient point instruits des raifons de croire.

C'est tout le contraire quand la chose s'établit: le témoignage de ceux qui la croient, eft de foi même plus fort que le témoignage de ceux qui ne la croient point; car naturellement ceux qui la croient, doivent l'avoir examinée & ceux qui ne la croient point, peuvent ne l'avoir pas fait.

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Je ne veux pas dire que dans l'un ni dans l'autre cas, l'autorité de ceux qui croient ou ne croient point, foit de décifion; je veux dire feulement, que fi on n'a point d'égard aux raisons fur lesquelles les deux partis fe fondent, l'autorité des uns eft tantôt plus recevable tantôt celle des autres. Cela vient en général de ce que pour quitter une opinion commune, ou pour en recevoir une nouvelle, il faut faire quelque ufage de fa raifon, bon ou mauvais; mais il n'eft point befoin d'en faire aucun pour rejetter une opinion nouvelle, ou pour en prendre une qui eft commune. Il faut des forces pour réfifter au torrent, mais il n'en faut point pour le fuivre.

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Et il n'importe fur le fait des Oracles. que parmi ceux qui y croyoient quelque chofe de divin & de furnaturel il fe trouve des Philofophes d'un grand nom, tels que les Stoïciens. Quand les Philofophes s'entêtent une fois d'un préjugé, ils font plus incurables que le Peuple même, parce qu'ils s'entêtent également & du préjugé & des fauffes raifons dont ils le foutiennent. Les Stoïciens en particulier, malgré le fafte de leur fecte, avoient des opinions qui font pitié. Comment n'euffent-ils pas cru aux Oracles? Ils croyoient bien aux fonges. Le grand Chryfippe ne retranchoit de fa créance aucun des points. qui entroient dans celle de la moindre femmelette,

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CHAPITRE IX.

Que les anciens Chrétiens euxmêmes n'ont pas trop cru que les Oracles fuffent rendus par les Démons.

Quo

UOIQU'IL paroiffe que les Chréiens favans des premiers fiècles ai

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