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que, les Perfes ne manquèrent pas d'envoyer demander qu'on le leur livrât. Les Cuméens firent auffi-tôt confulter l'Oracle des Branchides, pour favoir comment ils en devoient ufer. L'Oracle répondit qu'ils livraflent Pactias. Ariftodicus, un des premiers de Cumes, qui n'étoit pas de cet avis, obtint par fon crédit qu'on envoyât une feconde fois vers l'Oracle, & même il fe fit mettre du nombre des Députés. L'Oracle ne lui fit que la réponse qu'il avoit déjà faite. Ariftodicus peu fatisfait, s'avifa en fe promenant autour du Temple, d'en faire fortir de petits oifeaux qui y faifoient leurs nids.. Auffitôt il fortit du Sanctuaire une voix qui lui crioit: Déteftable mortel, qui te donne la hardieffe de chaffer d'ici ceux qui font fous ma protection? Eh quoi! grand Dieu, répondit bien vîte Ariftodicus, vous nous ordonnez bien de chaffer Pactias qui eft fous la nôtre? Oui, je vous l'ordonne, reprit le Dieu, afin que vous qui êtes des impies, vous périfiez plutôt, & que vous ne veniez plus importuner les Oracles fur vos affaires.

Il paroît bien que le Dieu étoit pouffé à bout, puifqu'il avoit recours aux injures; il paroit bien auffi qu'Arifto

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dicus ne croyoit pas trop que ce fût un Dieu qui rendît ces Oracles, puifqu'il cherchoit à l'attraper par la comparaifon des oiseaux; & après qu'il l'eut attrapé en effet, apparemment il le crut moins Dieu que jamais. Les Cuméens eux-mêmes n'en devoient être guère perfuadés, puifqu'ils croyoient qu'une feconde députation pouvoit le faire dédire, ou que du moins il penseroit mieux à ce qu'il devoit répondre. Je remarque ici en paffant, que, puifqu'Ariftodicus tendoit un piége à ce Dieu il falloit qu'il eût prévu qu'on ne lui laifferoit pas chaffer les oifeaux d'un afyle fi faint fans en rien dire, & que par conféquent les Prêtres étoient extrêmement jaloux de l'honneur de leurs Temples.

Ceux d'Egine (1) ravageoient les cô tes de l'Attique, & les Athéniens fe préparoient à une expédition contre Egine, lorfqu'il leur vint de Delphes un Oracle qui les menaçoit d'une ruine entière, s'ils faifoient la guerre aux Eginètes plutôt que dans trente ans mais, ces trente ans paffés, ils

(1) Hérodote, 1. 5.

n'avoient qu'à bâtir un Temple à Eaque, & entreprendre la guerre, & alors tout devoit leur réuffir. Les Athé niens qui brûloient d'envie de fe venger, coupèrent l'Oracle par la moitié; ils n'y déférèrent qu'en ce qui regardoit le Temple d'Eaque, & ils le bâtirent fans retardement : mais pour les trente ans, ils s'en moquèrent; ils a!lèrent auffi-tôt attaquer Egine, & eurent tout l'avantage. Ce n'eft point un particulier qui a fi peu d'égard pour les Oracles; c'eft tout un Peuple, & un Peuple très-fuperftitieux.

Il n'eft pas trop aifé de dire comment les Peuples Payens regardoient leur Religion. Nous avons dit qu'ils fe contentoient que les Philofophes fe foumiffent aux cérémonies; cela n'eft pas tout-à-fait vrai. Je ne fache point que Socrate refufât d'offrir de l'encens aux Dieux, ni de faire fon perfonnage comme les autres dans les Fêtes pu bliques; cependant le Peuple lui fit fon procès fur les fentimens particuliers qu'on lui imputait en matière de Religion, & qu'il falloit prefque deviner en lui, parce qu'il ne s'en étoit jamais expliqué ouvertement. Le Peu

ple entroit donc en connoiffance de ce qui fe traitoit dans les Ecoles de Philofophie; & comment fouffroit-if qu'on y foutînt hautement tant d'opinions contraires au culte établi, & fouvent à l'existence même des Dieux? Du moins il favoit parfaitement ce qui fe jouoit fur les Théâtres. Ces fpectacles étoient faits pour lui, & il eft fûr que jamais les Dieux n'ont été traités avec moins de refpect que dans les Comédies d'Ariftophane. Mercure dans le Plutus vient fe plaindre de ce qu'on a rendu la vue au Dieu des richeffes, qui auparavant étoit aveugle; & de ce que Plutus commençant à favorifer également tout le monde, les autres Dieux à qui on ne fait plus de facrifices pour avoir du bien, meurent tous de faim. Il pouffe la chofe jufqu'à demander un emploi, quel qu'il foit, dans une maifon bourgeoife pour avoir du moins de quoi manger. Les oifeaux d'Ariftophane font encore bien libres. Toute la Pièce roule fur ce qu'une certaine ville des oifeaux, que l'on a deffein de bâtir dans les airs, interromproit le commerce qui eft entre les Dieux & les. hommes,

rendroit les oifeaux maîtres de tout, & réduiroit les Dieux à la dernière misère. Je vous laiffe à juger fi tout cela eft bien dévot. Ce fut pourtant ce même Ariftophane qui commença à exciter le Peuple contre la prétendue impiété de Socrate. Il y a là je ne fais quoi d'inconcevable, qui fe trouve fouvent dans les affaires du monde.

Il est toujours conftant par ces exemples, & il le feroit encore par une infinité d'autres, s'il en étoit befoin, que le Peuple étoit quelquefois d'humeur à écouter des plaifanteries fur fa Religion. Il en pratiquoit les cérémonies feulement pour le délivrer des inquié tudes qu'il eût pu avoir en ne les pratiquant pas; mais au fond, il ne paroît pas qu'il y eût trop de foi. A l'égard des Oracles, il en ufoit de même. Le plus fouvent il les confultoit pour n'avoir plus à les confulter; & s'ils ne s'accommodoient pas à fes deffeins, il ne fe gênoit pas beaucoup pour leur obéir. Ainfi ce n'étoit peut-être pas une chose fi conftante, même parmi le Peuple, que les Oracles fuffent rendus par des Divinités.

Après cela il feroit fort inutile de

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