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caractère ; gens folides, ferieux, appliqués , qui favoient fuivre un principe & prévoir de loin une conféquence. Je ne ferois pas furpris que les Grecs, fans fonger aux fuites, euffent traité étourdiment le pour & le contre de toutes chofes, qu'ils euffent fait des facrifices, en difputant fi les facrifices pouvoient toucher les Dieux, & qu'ils euffent confulté les Oracles, fans être affurés que les Oracles ne fuffent pas de pures illufions. Apparemment les Philofophes s'intéreffoient affez peu au Gouvernement pour ne fe pas foucier de choquer la Religion dans leurs difputes, & peut-être le Peuple n'avoit pas affez de foi aux Philofophes pour abandonner la Religion, ni pour y rien changer fur leur parole; & enfin la paffion dominante des Grecs étoit de difcourir fur toutes les matières à quelque prix que ce pût être. Mais il eft fans doute plus étonnant que les Romains, & les plus habiles d'entre les Romains, & ceux qui favoient le mieux combien la Religion tiroit à conféquence pour la politique, aient ofé publier des Ouvrages, où non-feulement ils mettoient leur Re

ligion en question, mais même la tournoient entiérement en ridicule. Je parle de Cicéron, qui dans fes Livres de la Divination n'a rien épargné de ce qui étoit le plus faint à Rome. Après qu'il a fait voir affez vivement à ceux contre qui il difpute, quelle extrême folie c'étoit de confulter des entrailles d'animaux, il les réduit à répondre que les Dieux qui font tout-puiffans, changent les entrailles dans le moment du facrifice, afin de marquer par elles leur volonté & l'avenir. Cette réponse étoit de Chryfippe, d'Antipater & de Poffi donius, tous grands Philofophes, & Chefs du parti des Stoïciens. Ah! que dites-vous? reprend Cicéron; il n'y a point de vieilles fi crédules que vous. Croyezvous que le même veau ait le foie bien difpofe, s'il eft choifi pour le facrifice par une certaine perfonne ; & mal difpofé, s'il est choifi par une autre? Cette difpofition de foie peut-elle changer en un inftant,pour s'accommoder à la fortune de ceux qui facrifient? Ne voyez vous pas que c'est le hafard qui fait le choix des victimes? l'expérience même ne vous l'apprend-elle? Car fouvent les entrailles d'une victime font tout-à-fait funeftes, & celles de la victime qu'on immole

immédiatement après, font les plus heureuses du monde. Que deviennent les menaces de ces premières entrailles? ou comment les Dieux fe font-ils appaifés fi promptement? Mais vous dites qu'un jour il ne fe trouva point de cœur à un bœuf que Céfar facrifioit, & que comme cet animal ne pouvoit pas pourtant vivre fans en avoir un, il faut nécessairement qu'il fe foit retiré dans le moment du Jacrifice. Eft-il poffible que vous aviez affez d'efprit pour voir qu'un bœuf n'a pu vivre fans cœur,& que vous n'en ayiez pas affer pour voir que ce cœur n'a pu en un moment S'envoler je ne fais où ? Et un peu après il ajoute: Croyez-moi, vous ruinez toute la Phyfique pour défendre l'Art des Arufpices. Car ce ne fera pas le cours ordinaire de la Nature qui fera naître & mourir toutes chofes, & il y aura quelques corps qui viendront de rien, & retourneront dans le néant. Quel Phyficien a jamais foutenu cette opinion? Il faut pourtant que les Arufpices ta foutiennent.

Je ne donne ce paffage de Cicéron que comme un exemple de l'extrême liberté avec laquelle il infultoit à fa Religion qu'il fuivoit lui-même ; en mille autres endroits, il ne fait pas plus de grace aux poulets facrés,

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au vol des oifeaux, & à tous les miracles dont les Annales des Pontifes étoient remplies.

Pourquoi ne lui faifoit on pas fon procès fur fon impiété? Pourquoi tout le Peuple ne le regardoit-il pas avec horreur? Pourquoi tous les Colléges des Prêtres ne s'élevoient-ils pas contre lui? Il y a lieu de croire que chez les Payens la Religion n'étoit qu'une pratique, dont la fpéculation étoit indifférente. Faites comme les autres, & croyez ce qu'il vous plaira. Ce principe eft fort extravagant; mais le Peupfe qui n'en reconnoiffoit pas l'impertinence, s'en contentoit, & les gens d'efprit s'y foumettoient aifément, parce qu'il ne les gênoit guère.

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Auffi voit-on que toute la Religion Payenne ne demandoit que des cérémonies & nuls fentimens du cœur. Les Dieux font irrités, tous leurs foudres font prêts à tomber; comment les appaifera-t-on ? Faut-il fe repentir des crimes qu'on a commis? faut-il rentrer dans les voies de la juftice naturelle, qui devroit être entre tous les hommes? Point du tout : il faut feulement prendre un veau de telle couTome II,

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leur, né en tel temps, l'égorger avec un tel couteau, & cela défarmera tous les Dieux encore vous eft-il permis de vous moquer en vous-même du facrifice, fi vous voulez; il n'en ira pas plus mal.

Apparemment il en étoit de même des Oracles; y croyoit qui vouloit, mais on ne laiffoit pas de les confulter. La coutume a fur les hommes une force qui n'a nullement befoin d'être appuyée de la raison.

CHAPITRE VIII.

Que d'autres que des Philofophes ont auffi affez fouvent fait peu de cas des Oracles.

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ES Hiftoires font pleines d'Oracles, ou méprifés par ceux qui les recevoient, ou modifiés à leur fantaisie. Pactias (1), Lydien, & Sujet des Perses, s'étant refugié à Cumes, Ville Grec

(1) Hérodote, l. 1.

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