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& ne favons-nous pas certainement par l'Ecriture Sainte qu'il y a des Génies Miniftres des volontés de Dieu, & fes Meffagers auprès des hommes? N'est-il pas admirable que Platon ait découvert cette vérité par fes feules lumières nąturelles?

J'avoue que Platon a deviné une chofe qui eft vraie, & cependant je lui reproche de l'avoir devinée. La révélation nous affure de l'existence des Anges & des Démons, mais il n'est point permis à la raifon humaine de nous en affurer. On eft embarraffé de cet efpace infini qui eft entre Dieu & les hommes, & on le remplit de Génies & de Démons; mais de quoi remplira-t-on l'espace infini qui fera entre Dieu & ces Génies, ou ces Démons mêmes? Car de Dieu à quelque créature que ce foit, la diftance eft infinie, Comme il faut que l'action de Dieu traverse pour ainfi dire ce vuide infini pour aller jufqu'aux Démons, elle pourra bien aller auffi jufqu'aux hommes, puifqu'ils ne font plus éloignés que de quelques degrés qui n'ont nulle proportion avec ce premier éloignement. Lorfque Dieu traite avec les hommes

par le moyen des Anges, ce n'est pas à dire que les Anges foient nécessaires pour cette communication, ainfi que Platon le prétendoit; Dieu les y emploie pour des raifons que la Philofophie ne pénétrera jamais, & qui ne peuvent être parfaitement connues que de lui feul.

Selon l'idée que donne la comparaifon des triangles, on voit que Platon avoit imaginé les Démons, afin que de créature plus parfaite en créature plus parfaite on montât enfin jufqu'à Dieu, de forte que Dieu n'auroit que quelques degrés de perfection pardeffus la première des créatures. Mais il eft vifible que comme elles font toutes infiniment imparfaites à fon égard. parce qu'elles font toutes infiniment éloignées de lui, les différences de perfection qui font entr'elles, difparoiffent dès qu'on les compare avec Dieu; ce qui les élève les unes au-deffus des autres, ne les approche pourtant pas

de lui.

Ainfi, à ne confulter que la raison humaine, on n'a befoin de Démons, ni pour faire paffer l'action de Dieu jufqu'aux hommes ni pour mettre

entre Dieu & nous quelque chofe qui approche de lui, plus que nous ne pouvons en approcher.

il

Peut-être Platon lui-même n'étoitpas aufli fûr de l'exiftence de fes Démons, que les Platoniciens l'ont été depuis. Ce qui me le fait foupçonner, c'eft qu'il met l'Amour au nombre des Démons; car il mêle fouvent la galanterie avec la Philofophie, & ce n'est pas la galanterie qui lui réuflit le plus mal. Il dit que l'Amour eft fils du Dieu des Richeffes & de la Pauvreté ; qu'il tient de fon père la grandeur de courage, l'élévation des penfées, l'inclination à donner, la prodigalité, la confiance en fes propres forces, l'opinion de fon mérite, l'envie d'avoir toujours. la préférence; mais qu'il tient de fa mère cette indigence qui fait qu'il demande toujours, cette importunité avec laquelle il demande, cette timidité qui l'empêche quelquefois d'ofer demander, cette difpofition qu'il a à la fervitude, & cette crainte d'être méprifé qu'il ne peut jamais perdre. Voilà à mon fens une des plus jolies fables qui fe foient jamais faites. Il eft plaifant que Platon en fit quelquefois d'auffi ga

lantes & d'auffi agréables qu'avoit pu faire Anacréon lui-même, & quelquefois auffi ne raifonnât pas plus folidement que n'auroit fait Anacréon. Cette origine de l'Amour explique parfaitement bien toutes les bizarreries de fa nature; mais aufli on ne fait plus ce que c'eft que les Démons, du moment que l'Amour en eft un. Il n'y a pas -d'apparence que Platon ait entendu cela dans un fens naturel & philofophique, ni qu'il ait voulu dire que l'Amour fût un Etre hors de nous, qui habitât les airs. Affsurément il l'a entendu dans un fens galant, & alors il me femble qu'il nous permet de croire que tous fes Démons font de la même cípèce que l'Amour; & puifqu'il méle de gaieté de cœur des fables dans fon fyftême, il ne fe foucie pas beaucoup que le refte de fon fyftême paffe pour fabuleux. Jufqu'ici nous n'avons fait que répondre aux raifons qui ont fait croire que les Oracles avoient quelque chofe de furnaturel; commençons préfentement à attaquer cette opinion.

CHAPITRE VII.

Que de grandes Sectes de Philofophes Payens n'ont point cru qu'il y eût rien de furnaturel dans les Oracles.

Si au milieu de la Grèce même, où

tout retentiffoit d'Oracles, nous avions foutenu que ce n'étoient que des impoftures, nous n'aurions étonné perfonne par la hardieffe de ce paradoxe, & nous n'aurions point eu befoin de prendre des mesures pour le débiter fecrétement. La Philofophie s'étoit partagée fur le fait des Oracles; les Platoniciens & les Stoïciens tenoient leur parti mais les Cyniques, les Péripatéticiens & les Epicuriens s'en moquoient hautement. Ce qu'il y avoit de miraculeux dans les Oracles, ne l'étoit pas tant, que la moitié des Savans de la Grèce ne fuffent encore en liberté de n'en rien croise, & cela malgré le préjugé commun à tous les Grecs,

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