Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE II I.

Troisième Raifon des anciens Chré tiens. Convenance de leur opinion avec la Philofophie de

Platon.

JAMAIS AMAIS Philofophie n'a été plus à la mode qu'y fut celle de Platon chez les Chrétiens pendant les premiers fiècles de l'Eglife. Les Payens fe partageoient encore entre les différentes Sectes de Philofophes mais la conformité que l'on trouva qu'avoit le Platonisme avec la Religion, mit dans cette feule Secte prefque tous les Chrétiens favans. Delà vient l'eftime prodigieufe dont on s'entêta pour Platon; on le regardoit comme une espèce de Prophète, qui avoit deviné plufieurs points importans du Chriflianisme, fur-tout la fainte Trinité, que l'on ne peut guère nier qui ne foit affez clairement contenue dans fes écrits. Auffi ne manqua -t-on pas de prendre fes Ouvrages pour des Com

mentaires de l'Ecriture, & de concevoir la Nature du Verbe comme il l'avoit conçue. Il fe figuroit Dieu tellement élevé au-deffus des Créatures, qu'il ne croyoit pas qu'elles puffent être forties immédiatement de fes mains; & il mettoit entre elles & lui ce Verbe, comme un degré par lequel l'action de Dieu pût paffer jufqu'à elles. Les Chrétiens prirent cette même idée de Jéfus-Chrift & c'est-là peut-être la caufe pourquoi jamais héréfie n'a été ni plus généralement embraffée, ni foutenue avec plus de chaleur que l'Arianifme.

Ce Platonisme donc, qui fembloit faire honneur à la Religion Chrétienne lorfqu'il lui étoit favorable, se trouva tout plein de Démons; & de-là ils fe répandirent aifément dans le fyftême que les Chrétiens imaginèrent fur les

Oracles.

Platon veut que les Démons foient d'une nature moyenne entre celle des Dieux & celle des Hommes; que ce foient des Génies aëriens deftinés à faire tout le commerce des Dieux & de nous; que quoiqu'ils foient proche de nous, nous ne les puiffions voir; qu'ils pénètrent dans toutes nos penfées; qu'ils

[ocr errors]

aient de l'amour pour les bons, & de la haine pour les méchans; & que ce foit en leur honneur qu'on a établi tant de fortes de facrifices, & tant de cérémonies différentes.

Il ne paroît point par-là que Platon reconnût de mauvais Démons, auxquels on pût donner le foin des fourberies des Oracles. Plutarque (1) cependant affure qu'il en reconnoiffoit; & à l'égard des Platoniciens, la chofe eft hors de doute. Eufebe, dans fa Préparation Evangélique (2), rapporte quantité de paffages de Porphyre, où ce Philofophe Payen affure que les mauvais Démons font les auteurs des enchantemens, des philtres & des maléfices; qu'ils ne font que tromper nos yeux par des fpectres & par des fantômes ; que le menfonge eft effentiel à leur nature; qu'ils excitent en nous la plupart de nos paffions; qu'ils ont l'ambition de vouloir paffer pour des Dieux; que leurs corps aëriens & fpirituels fe nourriffent de fuffumiga. tion, de fang répandu, & de la graisse des facrifices; qu'il n'y a qu'eux qui

(1) Dialogue des Oracles qui ont ceffé.
(2) Liv. 4, 5, 6.

fa

fe mêlent de rendre des Oracles, & à qui cette fonction pleine de tromperie foit tombée en partage; & enfin à la tête de cette troupe de mauvais Démons, il met Hecate & Serapis.

Jamblique, autre Platonicien, en dit autant; & comme la plupart de ces choses-là font vraies, les Chrétiens reCurent le tout avec joie, & y ajoutèrent même un peu du leur (1); par exemple, que les Démons déroboient dans les écrits des Prophètes quelque connoiffance de l'avenir, & puis s'en faifoient honneur dans leurs Oracles.

Ce fyftême des Chrétiens avoit cela de commode, qu'il découvroit aux Payens, par leurs propres principes, T'origine de leur faux culte, & la fource de l'erreur où ils avoient toujours été. Ils étoient perfuadés qu'il y avoit quelque chose de furnaturel dans leurs Oracles, & les Chrétiens qui avoient à difputer contre eux, ne fongeoient point à leur ôter cette penfée. Les Démons dont on convenoit de part.& d'autre fervoient à expliquer tout ce furnaturel. On reconnoiffoit cette efpèce de

(1) Tertullien, dans fon Apologetique.
Tome II

1

miracle ordinaire qui s'étoit fait dans la Religion des Payens: mais on leur en faifoit perdre tout l'avantage par les Auteurs auxquels on l'attribuoit ; & cette voie étoit bien plus courte & plus ailée que celle de contefter le miracle même par une longue fuite de recherches & de railonnemens.

Voilà comment s'établit dans les premiers fiècles de l'Eglife, l'opinion qu'on y prit fur les Oracles des Payens. Je pourrois aux trois raifons que j'ai apportées en ajouter une quatrième, auffi bonne peut-être que toutes les autres; c'est que dans le fyftême des Oracles rendus par les Démons, il y a du mert veilleux; & fi l'on a un peu étudié l'efprit humain, on fait quelle force le mer-veilleux a fur lui. Mais je ne prétends pas m'étendre fur cette réflexion : ceux qui y entreront m'en croiront bien, fans que je me mette en peine de la prouver; & ceux qui n'y entreront pas, ne m'en croiroient pas peut-être après toutes

mes preuves.

Examinons préfentement l'une après l'autre les raisons qu'on a eues de croire les Oracles furnaturels.

« PreviousContinue »