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rayons réfléchis partent de plus haut que les rayons directs, nous devons les avoir plutôt, & les perdre plus tard.

Sur ce pied-là, je dois me dédire de ce que je vous avois dit, que la Lune ne devoit point avoir de Crépufcules, faute d'être environnée d'un air épais ainfi que la Terre. Elle n'y perdra rien; fes Crépuscules lui viendront de cette espèce d'Air épais qui environne le Soleil, & qui en renvoie les rayons dans des lieux où ceux qui partent directement de lui ne peuvent aller. Mais ne voilà-t-il pas auffi, dit la Marquife, des Crépuscules affurés pour toutes les Planètes, qui n'auront pas befoin d'être enveloppées chacune d'un Air groffier, puifque celui qui enveloppe le Soleil feul peut faire cet effet-là pour tout ce qu'il y a de Planètes dans le Tourbillon? Je croirois affez volontiers que la Nature, felon le penchant que je lui connois à l'économie, ne fe feroit fervie que de ce feul moyen. Cependant, repliquai-je, malgré cette économie

il

y auroit à l'égard de notre Terre deux caufes de Crépufcules, dont l'une, qui eft l'Air épais du Soleil, feroit aflez inutile, & ne pourroit être qu'un objet de curiofité pour les Habitans de l'Ob

il fe

fervatoire. Mais il faut tout dire peut qu'il n'y ait que la Terre qui pouffe hors de foi des vapeurs & des exhalaifons affez groffières pour produire des Crépufcules; & la Nature aura eu raifon de pourvoir par un moyen général aux befoins de toutes les autres Planetes, qui feront, pour ainfi dire, plus pures, & dont les évaporations feront plus fubtiles. Nous fommes peut être ceux d'entre tous les Habitans des Mondes de notre Tourbillon, à qui il falloit donner à refpirer l'Air le plus groffier & le plus épais. Avec quel mépris nous regarderoient les Habitans des autres Planètes, s'ils favoient cela ?

Ils auroient tort, dit la Marquife; on n'est pas à méprifer pour être enveloppé d'un Air épais, puifque le Soleil luimême en a un qui l'enveloppe. Ditesmoi, je vous prie, cet Air n'eft-il point produit par de certaines vapeurs que vous m'avez dit autrefois qui fortoient du Soleil, & ne fert-il point à rompre la première force des rayons, qui auroit peut-être été exceffive? Je conçois que le Soleil pourroit être naturellement voilé, pour être plus proportionné à nos ufages. Voilà, Madame, répondis

je, un petit commencement de Syftême que vous avez fait affez heureufement. On y pourroit ajouter que ces vapeurs produiroient des efpèces de pluies qui retomberoient dans le Soleil pour le rafraîchir, de la même manière que l'on jette quelquefois de l'eau dans une forge dont le feu eft trop ardent. Il n'y a rien qu'on ne doive préfumer de l'adreffe de la Nature; mais elle a une autre forte d'adreffe toute particulière pour fe dérober à nous, & on ne doit pas s'affurer aifément d'avoir deviné fa manière d'agir, ni fes deffeins. En fait de découvertes nouvelles, il ne fe faut pas trop preffer de raifonner, quoiqu'on en ait toujours affez d'envie; & les vrais Philofophes font comme les Eléphans, qui en marchant ne pofent jamais le fecond pied à terre, que le premier ne foit bien affermi. La comparaifon me paroît d'autant plus jufte, interrompit. elle, que le mérite de ces deux espèces, Eléphans & Philofophes, ne confifte nullement dans les agrémens extérieurs. Je confens que nous imitions le jugement des uns & des autres ; apprenez-moi encore quelques-unes des dernières Découvertes, & je vous promets de ne point faire de Syftême précipité.

Je viens de vous dire, répondis je, toutes les nouvelles que je fais du Ciel, & je ne crois pas qu'il y en ait de plus fraîches. Je fuis bien fâché qu'elles ne foient pas auffi furprenantes & auffi merveilleufes que quelques Observations que je lifois l'autre jour dans un Abrégé des Annales de la Chine, écrit en Latin. On voit des mille Etoiles à la fois qui tombent du Ciel dans la Mer avec un grand fracas, ou qui fe diffolvent & s'en vont en pluie. Cela n'a pas été vu pour une fois à la Chine ; j'ai trouvé cette Obfervation en deux temps affez éloignés, fans compter une Etoile qui s'en va crever vers l'Orient comme une fufée, toujours avec grand bruit. Il eft fâcheux que ces fpectacles-là foient réfervés pour la Chine, & que ces Paysci n'en aient jamais eu leur part. Il n'y a pas long-temps que tous nos Philofophes fe croyoient fondés en expérience, pour foutenir que les Cieux & tous les Corps céleftes étoient incorruptibles & incapables de changement; & pendant ce temps-là d'autres hommes à l'autre bout de la Terre voyoient des Etoiles fe diffoudre par milliers: cela eft affez différent. Mais, dit-elle, n'ai-je pas toujours ouidire que les Chinois étoient de fi grands

Aftronomes? Il eft vrai, repris - je; mais les Chinois y ont gagné à être féparés de nous par un long efpace de Terre, comme les Grecs & les Romains à être féparés par une longue fuite de fiècles; tout éloignement eft en droit de nous en impofer. En vérité, je crois toujours de plus en plus qu'il y a un certain Génie qui n'a point encore été hors de notre Europe, ou qui du moins ne s'en eft pas beaucoup éloigné. Peut-être qu'il ne lui eft pas permis de fe répandre dans une grande étendue de Terre à la fois, & que quelque fatalité lui prefcrit des bornes affez étroites. Jouiffons-en tandis que nous le poffédons: ce qu'il y a de meilleur, c'eft qu'il ne fe renferme pas dans les fciences & dans les fpéculations féches; il s'étend avec autant de fuccès jufqu'aux chofes d'agrément,fur lefquelles je doute qu'aucun Peuple nous égale. Ce font celles-là, Madame, auxquelles il vous appartient de vous occuper, & qui doiventcomposer toute votre Philofophie.

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